La Fontaine | Certaine fille, un peu trop fière, Prétendait trouver un mari Jeune, bien fait et beau, d'agréable manière, Point froid et point jaloux : notez ces deux points-ci. Cette fille voulait aussi Qu'il eût du bien, de la naissance, De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir? Le destin se montra soigneux de la pourvoir : Il vint des partis d'importance. La belle les trouva trop chétifs de moitié : " Quoi? moi! quoi! ces gens-là! l'on radote, je pense. A moi les proposer! hélas! ils font pitié : Voyez un peu la belle espèce! " L'un n'avait en l'esprit nulle délicatesse; L'autre avait le nez fait de cette façon-là : C'était ceci, c'était cela; C'était tout, car les précieuses Font dessus tout les dédaigneuses. Après les bons partis, les médiocres gens Vinrent se mettre sur les rangs. Elle de se moquer. " Ah! vraiment je suis bonne De leur ouvrir la porte! Ils pensent que je suis Fort en peine de ma personne : Grâce à Dieu, je passe les nuits Sans chagrin, quoique en solitude. " La belle se sut gré de tous ces sentiments; L'âge la fit déchoir : adieu tous les amants. Un an se passe, et deux, avec inquiétude; Le chagrin vient ensuite; elle sent chaque jour Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour; Puis ses traits choquer et déplaire; Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire Qu'elle échappât au temps, cet insigne larron. Les ruines d'une maison Se peuvent réparer : que n'est cet avantage Pour les ruines du visage? Sa préciosité changea lors de langage. Son miroir lui disait : " Prenez vite un mari. " Je ne sais quel désir le lui disait aussi : Le désir peut loger chez une précieuse. Celle-ci fit un choix qu'on n'aurait jamais cru, Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse De rencontrer un malotru. | |