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Alphonse Karr

Jean Baptiste Alphonse),'Karr , est un écrivain français, né à Paris la 24 novembre 1808, mort à Saint-Raphaël (Var) le 29 septembre 1890. Fils d'un pianiste et petit-fils d'un humaniste qui avait pris une part active à la préparation des éditions classiques des Deux-Ponts, il fit de brillantes études au collège Bourbon  (lycée Condorcet), mais dut y accepter, pour vivre, une place de répétiteur avant d'y être chargé d'une classe de cinquième.

Son premier roman, Sous les Tilleuls (1822, 2 volumes), où il est facile de reconnaître des réminiscences toutes personnelles, fut d'abord écrit en vers et même, lorsque sur les conseils de Bohain, directeur du Figaro, il l'eut mis en prose, il garda quelques traces de sa première forme. 
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Du bonheur

« On se plaint de toutes parts que le bonheur est difficile à atteindre.

Cependant il y a tant de choses dont beaucoup de gens font leur félicité que, dans le nombre, on doit en trouver quelqu'une à sa taille.

Nous non plus, nous ne croyons pas au bonheur sans nuages; peut-être ne peut-il exister autrement; peut-être le bonheur n'est-il qu'un contraste, mais il y a une foule de petits bonheurs qui suffisent pour parfumer la vie.

Les savants ont beaucoup de ces petits bonheurs.

Certes le rabbin qui, après plusieurs années de recherches dans les livres saints et dans les ouvrages des anciens auteurs, est parvenu à découvrir que le buisson dans lequel Dieu parla à Moïse est l'aubépine, dut se trouver heureux pendant plus de vingt minutes.

Non moins que celui qui démontra que les tables de la Loi que Dieu donna sur le Sinaï étaient faites de saphir. Une femme peut être fort heureuse de l'effet d'une robe ou d'un noeud de ruban.

Un homme, de trois parties gagnées aux échecs ou aux dominos sur un joueur reconnu fort.

Pour tous ces bonheurs-là, nous ne donnerions pas la branche de chèvrefeuille qui est sur notre table en ce moment.

D'aucuns aiment à regarder couler l'eau ou à pêcher à la ligne. Ce sont deux bonheurs méprisés généralement et quelque peu tombés dans la dérision; aussi nous voulons les réhabiliter.

Nous sommes véhémentement tenté de réunir ces deux bonheurs en un, parce que, pour nous, le résultat a toujours été le même, et que, pour notre part, rien ne prouve qu'il y ait des poissons dans la rivière.

Mais, selon les pêcheurs émérites, il y a un plaisir particulier, et que nous comprenons, à suivre des yeux la plume qui flotte sur l'eau, à sentir sa respiration s'arrêter à la première secousse que lui donne le poisson; les secousses deviennent plus fortes, et, à leur nature, à la manière dont la plume est entraînée horizontalement ou perpendiculairement, d'un trait ou par saccades, on peut deviner quel est le poisson qui mord; on tire la ligne, et la résistance se communique jusqu'à la main, et l'on amène le poisson se débattant et frétillant : c'est une victoire.

Pour nous, dans un séjour que nous fîmes sur les bords de la Marne, il y a quelques années, nous examinâmes sérieusement lequel paraîtrait le moins ridicule aux yeux du public de pêcher à la ligne ou de regarder couler l'eau.

Car nous tenons singulièrement à ce petit bonheur.

Nous nous décidâmes pour la pêche à la ligne, et le matin, dès que le jour pénétrait à travers nos vitres sans rideaux, nous nous mettions en route avec trois grandes gaules de coudrier sur le dos et nous suivions le cours de la Marne jusqu'à ce qu'il se présentât un endroit convenable.

Un petit coin surtout avait pour nous des charmes particuliers. Il fallait, pour, y parvenir, quitter la blouse et le pantalon de toile, et traverser la rivière en nageant, puis grimper péniblement à l'aide des racines et des branches pendantes. On arrivait la blouse et le pantalon toujours un peu mouillés, mais on était sous des saules épais, dans une petite île escarpée, verte comme une émeraude, sur un beau gazon tout semé de vergissmeinnicht et de grandes cloches blanches doucement odorantes qui s'entortillaient après les joncs.

Là, nous tendions nos lignes et nous relisions quelques lettres bien chères, puis une douce rêverie s'emparait de nous, et, les yeux fixés sur l'eau, qui coulait en murmurant, penchant les joncs et les vergissmeinnicht, nous laissions danser notre imagination et nos idées vaguement dessinées au murmure de l'eau, au frissonnement des feuilles, harmonieuse et céleste musique, jusqu'au moment où le soleil disparaissait derrière les saules.

Il faut dire aussi que c'était un lieu enchanté : sur l'autre rive, la vue était bornée par de vieux saules, et plus près de l'eau par des buissons d'aubépine, et par-dessus l'aubépine s'élevaient de belles vignes sauvages dont les pampres rouges retombaient jusque dans l'eau : on ne voyait rien, on ne soupçonnait rien au delà ; seulement de temps en temps un martin-pêcheur au plumage vert et fauve s'élançait de sa retraite de verdure, et, déployant ses brillantes ailes, rasait l'eau, rapide comme le vent, et disparaissait dans les joncs.

C'était bien beau, avec le silence, l'oubli de la ville, et d'heure en heure le son lointain de l'horloge, et les abeilles qui bourdonnaient dans les fleurs, et un parfum d'eau et de verdure, et un air pur dont s'emplissaient les poumons avides.

Et plus que tout cela, de belles illusions, de naïves croyances et un espoir mort depuis. Adonc quand le soleil ne lançait plus que de faibles et obliques rayons à travers le feuillage étroit des saules, nous relevions les lignes auxquelles il n'y avait pas de poisson, nous traversions la rivière, et, les gaules sur le dos, nous rentrions allègre et plein de bonnes et fraîches pensées. »
 

(A. Karr, extrait de Sous les tilleuls).

Encouragé par le succès, Alphonse Karr donna toute une série de romans et de nouvelles empreints à la fois de sentimentalisme et d'humour et très goûtés du public : Une Heure trop tard (1833); Fa dièze (1834); Vendredi soir (1835); le Chemin le plus court (1836, 2 volumes); Einerley (1838); Geneviève (1838, 2 vol.); Clotilde (1839) ; Am Rauchen (1842), etc.

Vers la même époque, il passa plusieurs saisons sur les côtes normandes, surtout à Etretat et à Sainte-Adresse, et contribua pour une large part à répandre parmi les artistes et les gens de lettres le goût de ces sortes de villégiatures jusqu'alors à peu près ignorées. 

Au mois de novembre 1839, il fonda les Guêpes, petites brochures mensuelles dont il fut, ou peu s'en faut, l'unique rédacteur et où il put librement donner carrière à sa verve satirique comme aux confidences variées dont, en tout temps, il se montra prodigue : l'un de ses « bourdonnements » lui attira de la part de Louise Colet une tentative de représailles à main armée.

C'est encore dans les Guêpes qu'il mit en circulation quelques-uns des paradoxes ou, pour parler exactement, quelques-uns des « truismes » qui ont le plus contribué à sa réputation d'homme d'esprit, tels que : « La propriété littéraire est une propriété », ou bien encore : « 1° La peine de mort est abolie; 2° Que messieurs, les assassins commencent ». La révolution de 1848 interrompit les Guêpes

Candidat malheureux pour la Constituante, - dans la Seine-Inférieure (Seine Maritime), Alphonse Karr publia le Livre des cent vérités (1848), et fonda le Journal, feuille politique destinée à soutenir la politique de Cavaignac et qui ne survécut pas à la dictature provisoire de son inspirateur. 

En 1852, il reprit au Siècle ses « bourdonnements » avant de les réunir sous le titre collectif de Mélanges philosophiques que portent les volumes suivants : Une Poignée de vérités; Trois Cents Pages et Menus Propos

Un peu après l'annexion de Nice, Alphonse Karr était venu s'y fixer et y entreprendre un commerce de fleurs dont il essaya de tirer un parti plus ou moins lucratif. Sa production littéraire ne s'était past ralentie, mais l'attention publique s'était portée ailleurs. Deux incursions dramatiques, la Pénélope normande (Comédie-Française, 1860), pièce en cinq actes, tirée d'un de ses romans et les Roses jaunes (id., 1866), comédie en un acte, ne tinrent pas longtemps non plus l'affiche. 

De cette seconde période datent de nouvelles séries de Guêpes, publiées, soit isolément, soit dans l'Opinion nationale et le Figaro, ainsi que de très nombreux recueils de même nature : les Dents du Dragon (1869); la Promenade des Anglais (1874); Plus ça change... (1875); Plus c'est la même chose (1875); le Credo du jardinier (1875); Notes de voyage d'un casanier (1877); Grains de bon sens (1880); Pendant la pluie (1880); A l'Encre verte (1881); Au Soleil (1883); la Soupe aux cailloux (1884); le Règne des champignons (1885); le Pot aux roses (1887). 

Citons à part l'Esprit d'Alphonse Karr (1877), extrait par lui-même de ses propres oeuvres et le Livre de bord (1879, 4 vol.), souvenirs personnels où il épancha une dernière fois ses rancunes et ses désillusions. (M. Tx.).

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