| Arbogast ou Arbogaste. - Général d'origine barbare au service de l'armée romaine sous les empereurs Gratien et Théodose et plus tard ministre de Valentinien Il. Tandis que Philostorgius, sans spécifier sa nationalité, le nomme un barbare, d'autres auteurs, comme Zosime et Eunape, disent qu'il était un Franc originaire de la "petite" Gaule. Suivant les uns, il aurait été fils de parents Lètes; d'autres, comme Sulpice Alexandre dans Grégoire de Tours, prétendent que c'était un chef franc ayant eu des différends avec ses compatriotes Sunnon et Marcomir. Le poète Claudien l'appelle un Germain exilé. Toujours est-il qu'il avait pris du service dans l'armée de Gratien, qui l'envoya, en 380, sous les ordres de Baudon, au secours de Théodose, pressé par les Goths. Tenus en respect par ces deux généraux, ceux-ci acceptèrent la paix (382) et finirent par s'établir en Thrace, à titre de foederati du peuple romain. Arbogast revint en Occident en 388, lors de l'expédition de Théodose contre l'usurpateur Maxime, le meurtrier de Gratien. D'après Orose et Zosime, c'est lui qui, après des marches forcées à travers les Alpes, surprit inopinément l'usurpateur à Aquilée, où ce dernier s'était retiré après sa défaite sur les bords de la Save et où il fut mis à mort par ses propres soldats. Envoyé immédiate. ment après en Gaule contre Victor, le fils de Maxime, Arbogast tua cet usurpateur de sa propre main, soumit sans coup férir les généraux Syrus et Charietto et se fit donner des otages par les chefs francs Sunnon et Marcomir, qui avaient profité de la guerre de Théodose avec Maxime pour passer le Rhin et dévaster la Gaule. Pour récompenser le vaillant général de ces services signalés, Théodose, en partant pour l'Orient, le laissa auprès de l'empereur Valentinien ll, en qualité de premier ministre. Comme tel, il déploya une grande énergie. Régnant de fait à la place du jeune monarque, il tint, pendant plusieurs années, les destinées de l'empire d'Occident entre ses mains. Toutefois, un conflit ne tarda pas à éclater entre Valentinien, jaloux de ressaisir le pouvoir, et son ambitieux ministre. Tandis que celui-ci, favorisant les barbares avec ostentation au détriment des Romains, donnait toutes les charges, tant militaires que civiles, à des Germains et surtout à des Francs, l'empereur, avec non moins d'ostentation, accordait toute sa confiance aux Romains et ne dissimulait pas sa profonde aversion pour les parvenus barbares; mais bientôt Valentinien, enfermé dans son palais de Vienne, n'eut plus personne à sa disposition qui eût le courage de lui obéir. Cette antipathie réciproque fut encore envenimée par un désaccord complet en matière religieuse. Une demande, adressée par la Sénat à l'effet d'obtenir de l'empereur le rétablissement du culte des Dieux à Rome, fut chaudement appuyée par Arbogast qu'un auteur appelle "cultorem sordidissimum idolorum" et refusée par Valentinien, qui, après avoir été arien, se flattait d'être un orthodoxe zélé. Cette lutte de tous les jours devait aboutir à une catastrophe. L'évêque de Milan, Ambroise, mandé à Vienne pour administrer le baptême à l'empereur, devait tenter de le réconcilier avec son ministre; mais il n'avait pas encore passé les Alpes qu 'il apprit en route la mort de Valentinien, survenue le 15 mai 392. L'empereur, d'après le récit de Philostorgius, avait été assailli et tué par les sicaires d'Arbogast, et pendu à un arbre pour faire croire à un suicide ( P. Orose, VII, 35). Barbare, le meurtrier de Valentinien ne pouvait guère songer à se faire proclamer empereur. Il préféra faire nommer une de ses créatures, le rhéteur Eugène, et régner à sa place. Théodose, soit qu'il lui répugnât de porter les armes contre un ancien serviteur, soit qu'il ne se sentit pas assez fort pour engager la lutte, hésita longtemps à venger le meurtre de Vienne. Il ne s'y décida que lorsque Eugène, s'appuyant sur le parti des païens dont le centre se trouvait à Rome même dans certaines familles patriciennes, fut forcé par Arbogast de relever l'autel de la Victoire, dont la rétablissement avait été réclamé par Symmaque au nom du Sénat, et de prendre des mesures défavorables au christianisme. Pendant que l'empereur d'Orient se préparait à la guerre, l'usurpateur et son ministre ne restaient pas inactifs : pendant l'hiver de 392 à 393, ils entreprirent une expédition contre les Francs Sunnon et Marcomir qui, obligés d'accepter la paix, s'engagèrent à leur fournir un fort contingent de troupes en cas de guerre. Après avoir assuré la paix en Gaule, Eugène et Arbogast revinrent en Italie dans le courant de l'été 393 ; là, sans tenir compte des remontrances d'Ambroise, ils continuèrent à soutenir et à favoriser le paganisme. La guerre entre l'Occident et l'Orient, devenue inévitable, prit un caractère religieux et fut déclarée en 394. Avant de marcher contre Théodose dont tes troupes s'avançaient vers l'Italie, Arbogast fit voeu de changer à son retour l'église de Milan en écurie et de forcer tous les moines à servir dans l'armée, si les dieux lui accordaient la victoire. Après une vaine tentative de la part d'Arbogast de barrer le chemin à son adversaire impérial dans les Alpes Juliennes, une bataille s'engagea sur les bords du Frigidus (aujourd'hui le Wipbach, affluent de l'Isonzo). Après une lutte acharnée qui dura deux jours, les 5 et 6 septembre, Théodose remporta la victoire; il la dut à la trahison et à la défection d'Arbitrius, chargé par Arbogast de couper la retraite à l'ennemi avec un corps d'armée de 20 000 hommes. Eugène, fait prisonnier, fut décapité par un soldat, en présence de Théodose. Arbogast parvint à se sauver; mais après avoir erré dans la montagne pendant deux jours, il se tua de son épée (8 septembre 394). Les auteurs chrétiens portent naturellement sur Arbogast un jugement peu favorable. Les historiens païens, par contre, le comblent de leurs éloges et parlent avec admiration de son désintéressement et de son incorruptibilité. Mais les uns et les autres sont d'accord à lui reconnaître de grandes qualités militaires. Les soldats l'adoraient; il partageait avec eux les fatigues et les privations de la vie des camps. Quoiqu'entré bien jeune au service des Romains, il n'en assimila jamais les habitudes et la culture intellectuelle; de propos délibéré, il resta barbare. A cette fierté il joignit une ambition sans bornes et une volonté de fer qui, pour atteindre son but, ne reculait point devant les moyens violents. En somme, Arbogast fut un des grands capitaines de son époque et en même temps un homme d'Etat d'une grande habileté politique; mais la violence de son caractère et son ambition immodérée lui furent funestes, causèrent sa perte et amenèrent sa fin tragique. (L. Will). | |