| Pauline Virginie Déjazet est un actrice née à Paris le 30 août 1798, et morte dans cette même ville le 1er décembre 1875. La carrière active de cette femme étonnante, dont on peut bien dire que le talent égala la renommée, ne comprend guère un espace moindre de soixante-douze années, car elle joua la comédie jusqu'à la fin de ses jours, et elle avait environ cinq ans lorsqu'elle se montra pour la première fois en public sur une scène enfantine, le petit théâtre des Jeunes-Comédiens, situé dans l'ancien jardin des Capucines, sur l'emplacement actuel de la rue de la Paix. Dès ce moment elle donnait l'idée de ce qu'elle serait un jour, et elle obtint un grand succès dans un vaudeville-monologue de Ponet, intitulé Fanchon toute seule. Au bout d'un an elle passait au théâtre des Jeunes-Artistes de la rue de Bondy, et de là à celui des Jeunes-Elèves de la rue de Thionville (Dauphine), où elle restait jusqu'à sa suppression en 1807. Elle fut alors engagée au Vaudeville pour jouer des rôles d'enfants; mais malgré l'accueil qu'elle reçut dans le rôle de la fée Nabotte de la Belle au bois dormant, on ne sut pas l'utiliser à ce théâtre, qu'elle quitta pour entrer aux Variétés. Son heure n'était pas venue encore, et elle se décida à partir pour la province. Elle alla passer deux ou trois ans à Lyon et à Bordeaux, et revint à Paris pour entrer, en 1820, au nouveau théâtre qui se fondait sous le nom de Gymnase-Dramatique. C'est là que commencèrent ses triomphes dans l'emploi des soubrettes et dans celui des travestis, qui surtout fit sa fortune, grâce à l'aisance et à la grâce avec lesquels elle portait le costume masculin. Un esprit plein de malice, un filet de voix charmante à l'aide duquel elle chantait et détaillait le couplet de la façon la plus exquise, une diction d'une justesse irréprochable, une gaieté pleine d'entrain et parfois une verve endiablée, enfin l'art de dire les choses les plus égrillardes et de lancer les plaisanteries les plus risquées sans que le goût le plus pur eût rien it lui reprocher, tel était l'ensemble des qualités rares qui, pendant près de trois quarts de siècle, fit de Déjazet l'une des premières comédiennes et des plus aimées de son temps. Pendant les sept années qu'elle passa au Gymnase, elle se distingua surtout dans les pièces suivantes : la Meunière, le Comédien d'Etampes, Caroline, la Petite Soeur, le Bureau de loterie, Partie et Revanche, la Nouvelle Clary, la Loge du Portier, les Grisettes, le Mariage enfantin, le Coiffeur et le Perruquier, le Baiser au porteur, le Bal champêtre, la Haine d'une femme, le Plus Beau Jour de la Vie, Rodolphe, l'Ecarté, les Femmes romantiques, la Famille normande, etc. Elle quitta ce théâtre en 1828 pour entrer aux Nouveautés de la place de la Bourse, qui allaient faire leur inauguration, et elle resta là trois ans; les pièces qu'elle y joua furent celles-ci : le Mariage impossible, Henri IV en famille, l'Ecole de Brienne, le Fils de l'homme. Puis, les Nouveautés ayant disparu, et le Palais-Royal à son tour ouvrant ses portes, elle entra à ce théâtre, qui devait consacrer définitivement sa renommée et ou elle demeura treize années. Elle joua là successivement : la Fille de Dominique, Indiana et Charlemagne, la Comtesse du tonneau, les Chansons de Béranger, Madame Favart, le Marquis de Létorières, les Beignets à la Cour, Sophie Arnould, la Marquise de Pretentailles, les Premières Armes de Richelieu, le Philtre champenois, Sous clef, Frétillon, l'Enfance de Louis XII, le Tailleur et la Fée, Voltaire en vacances, la Fiole de Cagliostro, le Capitaine Charlotte, la Périchole. Pourtant, en 1845, Déjazet rentra aux Variétés, cette fois en triomphatrice, s'y montra dans Gentil Bernard, la Gardeuse de dindons, le Moulin à paroles, Mademoiselle de Choisy, le Marquis de Lauzun, puis retourna au Vaudeville, où on la vit dans Ouistiti, la Douairière de Brionne, les Paniers de la Comtesse et quelques autres ouvrages. Après une nouvelle et courte apparition aux Variétés, où elle joua les Trois Gamins, après une autre apparition à la Gaîté, où elle créa le Sergent Frédéric et Bonaparte à Brienne, elle va faire une longue tournée en province, puis revient à Paris pour prendre, avec son fils (Eugène Déjazet), la direction du théâtre des Folies-Nouvelles, auquel elle donne le nom de Théâtre-Déjazet. Là, chose étonnante, cette actrice merveilleuse retrouve un regain de succès et, à l'âge de soixante-cinq ans, fait courir tout Paris, qui vient l'admirer dans une série de jeunes rôles où sa légèreté, sa grâce, son élégance produisent aux yeux de tous l'illusion la plus complète. Ce ne sont pas des succès, ce sont des triomphes éclatants qu'elle obtient dans ces premières pièces de Victorien Sardou, qui, ne pouvant se faire jouer nulle part, obtient d'elle la plus aimable hospitalité : Monsieur Garat, les Prés Saint-Gervais, les Premières Armes de Figaro. Elle joue encore quelques autres pièces, puis, l'incurie de son fils ayant entravé la prospérité de son théâtre, elle recommence ses pérégrinations en province, et enfin, en 1874, à l'âge de soixante-seize ans, reparaîft une dernière fois devant le public parisien, à l'Opéra, dans une représentation organisée à son bénéfice et dans laquelle elle joue Monsieur Garat et chante la Lisette de Béranger. Déjazet a été certainement l'une des actrices les plus prodigieuses de son temps. (Arthur Pougin). | |