Baudelaire 1857 | Horloge dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : Souviens-toi! Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi Se planteront bientôt comme dans une cible; Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse; Chaque instant te dévore un morceau du délice A chaque homme accordé pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote : Souviens-toi! - Rapide, avec sa voix D'insecte, Maintenant dit : Je sais Autrefois, Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde! Remember! Souviens-toi! prodigue! Esto memor! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or! Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi. Le jour décroît; la nuit augmente, souviens-toi! Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide. Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard, Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge, Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!), Où tout te dira : Meurs, vieux lâche! il est trop tard! » | |