Baudelaire 1857 | I Dans ma cervelle se promène Ainsi qu'en son appartement, Un beau chat, fort, doux et charmant, Quand il miaule, on l'entend à peine, Tant son timbre est tendre et discret; Mais que sa voix s'apaise ou gronde, Elle est toujours riche et profonde. C'est là son charme et son secret. Cette voix, qui perle et qui filtre Dans mon fond le plus ténébreux, Me remplit comme un vers nombreux Et me réjouit comme un philtre. Elle endort les plus cruels maux Et contient toutes les extases; Pour dire les plus longues phrases, Elle n'a pas besoin de mots. Non, il n'est pas d'archet qui morde Sur mon coeur, parfait instrument, Et fasse plus royalement Chanter sa plus vibrante corde Que ta voix, chat mystérieux, Chat séraphique, chat étrange, En qui tout est, comme un ange, Aussi subtil qu'harmonieux. II De sa fourrure blonde et brune Sort un parfum si doux, qu'un soir J'en fus embaumé, pour l'avoir Caressée une fois, rien qu'une. C'est l'esprit familier du lieu; Il juge, il préside, il inspire Toutes choses dans son empire; Peut-être est-il fée, est-il dieu? Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime Tirés comme par un aimant, Se retournent docilement, Et que je regarde en moi-même, Je vois avec étonnement Le feu de ses prunelles pâles, Clairs fanaux, vivantes opales, Qui me contemplent fixement. | |