Baudelaire 1857 | Le Démon, dans ma chambre haute, Ce matin est venu me voir, Et, tâchant à me prendre en faute, Me dit : « Je voudrais bien savoir, Parmi toutes les belles choses Dont est fait son enchantement, Parmi les objets noirs ou roses Qui composent son corps charmant, Quel est le plus doux. » - Ô mon âme! Tu répondis à l'Abhorré : « Puisqu'en elle tout est dictame, Rien ne peut être préféré. Lorsque tout me ravit, j'ignore Si quelque chose me séduit. Elle éblouit comme l'Aurore Et console comme la Nuit; Et l'harmonie est trop exquise, Qui gouverne tout son beau corps, Pour que l'impuissante analyse En note les nombreux accords. Ô métamorphose mystique De tous mes sens fondus en un! Son haleine fait la musique, Comme sa voix fait le parfum! » Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire, Que diras-tu, mon coeur, coeur autrefois flétri, A la très belle, à la très bonne, à la très chère, Dont le regard divin t'a soudain refleuri? - Nous mettrons noire orgueil à chanter ses louanges, Rien ne vaut la douceur de son autorité; Sa chair spirituelle a le parfum des Anges, Et son oeil nous revêt d'un habit de clarté. Que ce soit dans la nuit et dans la solitude. Que ce soit dans la rue et dans la multitude; Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau. Parfois il parle et dit : « Je suis belle, et j'ordonne Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau. Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone. » | |