| Minos (personnage de la mythologie grecque) est le héros national de la Crète, placé aux confins de la mythologie et de l'histoire, comme Thésée à Athènes. Sa légende assez complète lui donne pour père Zeus et pour mère Europe; elle le fait régner sur la Crète et les îles de la mer Egée trois générations avant la guerre de Troie. Pour les mythologues de l'école d'Evhémère, il est le successeur même de Zeus; il a vécu dans la familiarité de ce dieu, et a appris de lui la pratique de la justice et la science des lois qu'il communique ensuite à ses sujets avec le concours de Talos. Le caractère maritime de sa domination se traduit dans la mythologie par les rapports qu'elle lui prêté avec Poseidon : c'est ce dieu qui, du sein des flots, lui envoie le taureau superbe et sans tache qui, destiné au sacrifice, est ensuite réservé par Minos et devient un objet d'amour pour Pasiphaé, son épouse (Minotaure). Les enfants de Minos sont très nombreux, tant de Pasiphae elle-même avec qui il engendre, entre autres, Deucalion, Ariane et Phèdre, que d'autres femmes; on lui attribuait également l'invention de la pédérastie et on le substituait à Zeus pour l'enlèvement de Ganymède. A ce point de vue comme à plusieurs autres, il se rencontre dans sa légende des faits transgressifs ou monstrueux, alors que, d'autre part, il est célébré comme un héros juste, vaillant, remarquable par son intelligence et sa bienfaisante activité. Ces contradictions, aue d'aucuns cherchèrent à résoudre en imaginant deux Minos, s'expliquent par ce fait que les peuples devenus tributaires de la Crète, en particulier le peuple athénien, se vengèrent de leur défaite en travestissant les actes du vainqueur. La légende la plus ancienne, celle qui est représentée par Homère et Hésiode, le connaît comme le roi au sens le plus élevé du mot, le civilisateur par la pratique de la justice et la suppression de la piraterie, l'auteur d'une législation qui servit de base à celle de Lycurgue à Sparte. C'est pour cela qu'après la mort, il est transporté aux Enfers pour y exercer avec Rhadamanthe, son frère, et Aeque les fonctions de juge des morts : et même il est le grand arbitre de ce suprême tribunal, Rhadamanthe jugeant les morts d'Asie et Aeque ceux d'Europe. Poètes et philosophes ont également contribué, du VIIIe au IVe siècle, à faire de lui, sous ces traits, une des figures les plus populaires de la légende hellénique. Un grand nombre d'oeuvres dramatiques, depuis Eschyle jusqu'au déclin de la tragédie, et plus tard les imitations dont elles furent l'objet chez les Romains, ont exploité les épisodes divers de son histoire fabuleuse, particulièrement ceux où le patriotisme athénien pouvait se donner carrière tant aux dépens du héros que de la Crète dont il avait assuré la domination sur les mers. De ce genre est l'histoire de l'humiliation que Minos aurait infligée à Athènes, en punition du meurtre de son fils Androgée. Pendant trois années successives, la ville dut expédier en Crète pour y être dévorés par le Minotaure, sept garçons et sept jeunes filles, jusqu'à ce que Thésée, aidé par Ariane, fille de Minos, eut réussi à tuer le monstre au fond du labyrinthe et à affranchir sa Cité du tribut. Le labyrinthe lui-même était l'oeuvre de l'artiste légendaire Dédale, dont la figure, associée à celle de Minos, a également une signification historique : de même que par les lois et les moeurs, le roi de Crète civilisa son pays par la pratique des beaux-arts. La mort de Minos est mise en rapport avec la fuite de Dédale qui gagne la Sicile; c'est en le poursuivant jusqu'à Kamikos, ville sur l'emplacement de laquelle s'éleva plus tard Agrigente, que Minos fut étouffé dans son bain par les filles du roi Cocalos, qui l'inondèrent d'eau bouillante. On montrait en Sicile son tombeau; lors de la fondation d'Agrigente, les ossements en furent retirés et rendus aux Crétois qui les placèrent dans un sarcophage sur lequel on lisait : Tombeau de Minos, fils de Zeus; pour les Crétois, cette tombe devint celle de Zeus lui-même. Les mythologues modernes, tout en admettant que la figure mythologique de Minos peut avoir absorbé certains faits attribuables à une personnalité historique, dont la domination rayonna de la Crète, non seulement sur les îles, mais sur les côtes de la Carie et de l'Attique, s'étendant plus tard jusqu'en Sicile où elle subit un échec, ont cherché à interpréter son histoire comme un mythe solaire, l'ont mise en rapport avec les traditions phéniciennes sur Baal-Melqarth. Si Minos est le roi Soleil, opinion d'autant plus séduisante que le taureau qui joue un si grand rôle dans son mythe est le symbole habituel de cet astre, Pasiphaé elle-même, ainsi que son nom l'indique (celle qui luit), est une personnification de la lune. Mais cette idée n'est pas inconciliable avec celle d'un héros national de la Crète, ayant eu une existence réelle et considéré précisément comme une émanation, une hypostase de Zeus qui, lui aussi, incarne l'astre du jour. Son nom est rattaché par les uns au radical sanscrit Man, ce qui ferait de lui le premier homme, l'homme par excellence; par d'autres, au nom des Minyens d'Orchomène, dont une colonie aurait émigré vers la Crète, leur chef devenant le roi du pays. De toute façon, ce héros est une des figures les plus éminentes de la mythologie hellénique, une de celles au profit de qui s'est accomplie le plus heureusement la fusion de la religion venue d'Asie avec les traditions légendaires de la Crète. Minos est représenté sur les monnaies de ce pays, sous les traits d'un homme barbu, ceint du diadème, à la chevelure abondante et bouclée, au regard fier, à l'aspect imposant, tout à fait semblable à la figure traditionnelle de Zeus. Les vases peints et les bas-reliefs des sarcophages nous le montrent fréquemment dans ses fonctions de juge des enfers en compagnie d'Aeaque et de Rhadamanthe; les représentations qui le mettent en rapport avec le Minotaure et avec Thésée ne sont pas moins nombreuses. (J.-A. H.). | |