| Le Livre de la Genèse (du mot grec genesis, génération), souvent appelé le premier des livres de Moïse et par lequel s'ouvre la Bible, est d'un intérêt extraordinaire, qui s'est modifié assurément à mesure qu'on renonçait à des théories surannées qui y voyaient autre chose qu'un simple mythe cosmogonique, mais n'a pas faibli. Les vues qu'il présente sur les débuts de l'humanité, d'une part, la légende des patriarches à laquelle il donne de si grands et variés développements, d'autre part, constituent des objets d'étude singulièrement attrayants. L'examen de la langue, la comparaison des différents morceaux entrés dans la composition définitive, la discussion des théories proposées pour dater le livre et expliquer son contenu, soulèvent un monde de questions, qui continueront d'être agitées avec passion dans les écoles. Renvoyant à la page Pentateuque (et à celles des cinq livres qu'il contient) les points qui intéressent la critique proprement dite, nous voulons ici donner une analyse exacte de la Genèse, et définir avec précision ses principaux éléments. - - | Les premières lignes du Livre de la Genèse. | Les chapitres I à XI sont consacrés aux origines humaines, considérées par l'auteur comme la préface générale de l'histoire du peuple israélite qu'il se propose d'exposer. C'est d'abord un tableau magistral de la création ou plutôt de l'organisation du monde par la puissance suprême, oeuvre accomplie en sept journées et qui culmine dans la consécration du septième jour ou sabbat; puis une sorte d'apologue, contant comment le premier couple humain s'est fait condamner à une existence misérable pour avoir désobéi aux ordres de la divinité, vulgairement le « récit de la chute ». Les auteurs de cet ensemble de textes suivent alors la descendance d'Adam, notent le meurtre d'Abel par Caïn, indiquent quelle fut la postérité de ce dernier, puis résument l'histoire de l'humanité d'Adam à Noé sous la forme d'une généalogie : ici il est à noter que les personnages atteignent un âge extraordinaire; l'un d'eux est censé avoir vécu neuf cent soixante-neuf ans. - Adam et Eve sur une gravure du XIXe siècle. Noé, qui est le dernier de la liste, devient père à cinq cents ans seulement. L'espèce humaine s'étant corrompue, Dieu la détruit par une inondation à l'exception de Noé et de sa famille : le récit de cette catastrophe, vulgairement « le Déluge », présente de nombreuses répétitions. Dieu charge les trois fils de Noé, Sem, Cham et Japhet, de repeupler la terre; Cham, ayant manqué de respect à son père, est l'objet de sa malédiction, tandis que le patriarche annonce les brillantes destinées de Japhet et de Sem. Les peuples appartenant à l'horizon géographique de l'écrivain sont répartis, au chapitres X, entre les trois fils de Noé, considérés comme leurs tiges. L'humanité groupée dans les plaines de la basse Mésopotamie entreprend d'y construire une ville avec une tour démesurément élevée; Dieu, pour empêcher ce projet d'aboutir, confond les langues et disperse les humains : c'est le mythe de la « tour de Babel », c.-à-d. de Babylone. Par l'intermédiaire de huit personnages, dont l'âge détroit progressivement, l'écrivain rattache Sem à Abraham, l'ancêtre proprement dit du peuple israélite. Le reste de la Genèse (ch. XII à L) est consacré à l'exposition des destinées des trois patriarches, Abraham, Isaac et Jacob. Le premier, sur l'ordre divin, quitte la Mésopotamie et va planter ses tentes dans le pays de Chanaan, qui sera un jour la possession de ses descendants. On raconte les promesses faites à Abraham, sa séparation d'avec son neveu Loth, père des Ammonites et des Moabites, la victoire remportée par le patriarche sur les plus grands souverains de l'Asie et son entrevue avec Melchisédech, la naissance d'Ismaël, fils de la servante Agar, l'institution de la circoncision, l'intercession du patriarche en faveur de Sodome que Dieu détruit pour punir les crimes de ses habitants, enfin la naissance d'Isaac, fils d'Abraham et de sa femme légitime Sara, qui avait désespéré de jamais devenir mère. Le patriarche se montre prêt, dans sa foi sublime, à sacrifier son fils unique à la divinité, qui le lui demande; celle-ci, satisfaite de son obéissance, épargne Isaac et annonce ses brillantes destinées; Abraham fait l'acquisition d'une grotte sépulcrale à Hébron et se préoccupe de marier son fils Isaac à une femme qui n'appartienne pas à la race maudite de Chanaan. Après avoir rendu les derniers devoirs à son père, Isaac a de sa femme Rébecca des jumeaux, Esaü et Jacob; on nous raconte leurs démêlés, la manière dont Jacob s'empara du droit d'aînasse de son frère, sa fuite, l'apparition divine dont il fut honoré à Béthel, son séjour dans la patrie d'Abraham, sa condition de pâtre chez Laban et son double mariage avec Lia et Rachel, enfin son retour dans le pays de Chanson à la tête d'une nombreuse famille et de troupeaux considérables, sa réconciliation avec Esaü et son établissement en Chanaan. Après qu'on nous a entretenu de divers incidents concernant les douze fils de Jacob, nous voyons l'un d'eux, Joseph, victime de la mauvaise volonté de ses frères; emmené en Egypte comme esclave, il y arrive à une haute situation et, au travers de péripéties qui sont dans la mémoire de tous, voit toute la famille de Jacob, le patriarche compris, s'installer auprès de lui. Le livre se termine par la mort de Jacob et de Joseph. Au point de vue géographique, il est à noter que la Genèse représente les Israélites comme originaires de la haute Mésopotamie; sur l'ordre formel de divinité ils ont habité momentanément le pays de Chanaan avant de s'établir en Egypte, où. leur séjour, conformément aux promesses divines, ne sera non plus que temporaire. Au point de vue ethnographique, on n'oubliera pas que par Ismaël, fils d'Agar, ainsi que par le fait de sa concubine Kétura, Abraham est la souche de plusieurs tribus arabes; il est également et de très près apparenté aux Syriens (Araméens), aux Ammonites et aux Moabites; Isaac, pour sa part, est par Esaü la souche des Edomites. Notre analyse n'a pas fait ressortir un élément essentiel de la Genèse, à savoir les incohérences de son plan, les répétitions, redondances et contradictions dont elle est semée, traits qui, appuyés par des observations purement philologiques, ont établi pour la critique moderne d'une façon indéniable que nous sommes, ici en présence d'une oeuvre complexe; des morceaux de provenance et d'inspiration variées ont été tour à tour juxtaposés, soudés et confondus en un ensemble; on a notamment remarqué l'alternance singulière des noms divins, qui a servi à retrouver et à isoler le document dit élohiste du document dit yahviste. Il y a dans tout cela quelque chose qui déconcerte le goût occidental, mais à quoi les Orientaux ne répugnent pas; à côté de développements d'un intérêt médiocre et d'énumérations fatigantes se détachent des passages d'une inspiration sublime: le tableau de la création, le sacrifice d'Isaac, l'intercession d'Abraham, les scènes inoubliables où Joseph se fait reconnaître de ses frères; d'autres pages se distinguent, de leur côté, par un tour fin ou élégant : l'apologue de la chute, l'acquisition par Abraham d'une grotte sépulcrale, la demande en mariage de Rébecca, Isaac trompé par sa femme et son fils, les aventures de Jacob chez Laban, les songes de Joseph et de Pharaon. (Maurice Vernes). | |