Joli mois de mai, quand reviendras-tu? Le voilà revenu, gai, léger, pimpant comme un page. Il sourit et tout rit autour de lui. Ce mois de mai est vraiment le triomphe du printemps. Avril et mars gardent je ne sais quoi d'équivoque; il n'y fait jamais si doux la veille qu'on ait pleine assurance de ne point grelotter le lendemain. Tout autre est mai. Les gelées blanches et les giboulées lui sont inconnues; il laisse ces traîtrises à ses voisins. L'air s'habille de clarté; mille aromes y flottent, venus de la plaine et des bois : C'est comme un miel épars dans la lumière blonde, et tel est le charme de cette caresse printanière qu'il agit tout ensemble sur l'esprit, sur le cœur et sur les sens.
Il paraît qu'autrefois, dans un village des Hautes-Alpes, nommé les Andrieux, lorsque, après cent jours d'éclipse, le soleil reparaissait enfin sur l'horizon, quatre bergers postés sur la place annonçaient sa résurrection au son des fifres et des cornemuses.
« Dans chaque ménage, dit un annaliste local, on avait confectionné des omelettes, et tous les habitants, leur plat à la main, accouraient vers les sonneurs. Autour du plus âgé des habitants, décoré pour la circonstance du titre de « vénérable », s'enroulait une farandole que les sonneurs conduisaient jusqu'à un pont voisin. Le « vénérable » tenait son omelette élevée au-dessus de sa tête; chacun déposait la sienne sur les parapets du pont; puis les danses commençaient jusqu'à ce que le soleil eût inondé le village de ses rayons. Le cortège retournait alors dans le même ordre sur la place et reconduisait le « vénérable » jusqu'à sa porte. Chacun rentrait chez soi et l'on mangeait les omelettes en famille. Au soir, les jeux et les danses recommençaient et se prolongeaient bien avant dans la nuit. »
Voilà, certes! une façon originale de célébrer le retour du soleil. Mais en quel pays le printemps n'est-il pas salué comme un bienfaiteur? Je me trouvais, certain jour d'avril, en Basse-Bretagne, dans un paysage qui m'est familier et que je ne reconnaissais plus : au lieu du joli ciel clair qu'est d'habitude le ciel des fins d'avril, de lourdes nuées, pareilles à des haillons et dans les déchirures desquelles le soleil avait bien de la peine à glisser un rayon furtif, se traînaient lugubrement. La pluie tambourinait aux vitres, chassée par le vent du sud-ouest, ce terrible Circius auquel l'empereur Auguste fit élever, dit-on, un autel dans les Gaules. Il arrivait sur nous de la mer, et le gémissement qui le précédait avait quelque chose d'une plainte humaine.
« Écoutez! disaient les bonnes gens. C'est la plainte des criérien! »
Ces criérien sont les âmes « dévoyées » des naufragés, des pauvres marins disparus dans la tourmente et dont les ossements réclament en vain la sépulture. Et la plainte tout à coup grossissait, s'enflait; de brèves rafales couchaient les joncs du palus; la lande roulait comme une houle. Enfin le vent se déchaînait librement, régnait en maître sur tout l'espace, et son grand souffle éperdu, forcené, ne cessait pas trois et quatre jours durant...
Le mois de mai, s'il est bon prince, nous revanchera de ces mésaventures. Il chassera les lourdes nuées du « suroît », ramènera d'exil l'hirondelle, le rossignol, le loriot et le coucou, qui sont les quatre symphonistes du printemps, et refleurira la campagne dénudée :
Le mois de mai sans les roses,
Ce n'est plus le mois de mai...
Et, sans doute, aux portes de Paris, dans cette délicieuse banlieue de la Muette et du Trocadéro, au Bois et dans les fermes-modèles qu'on y a établies, nous reverrons encore, au petit jour, défiler en cohorte pressée les amateurs du « lait de mai ». C'est une coutume qui est demeurée vivace au milieu de la ruine de tant d'autres. Le « lait de mai », trait dans de grands bassins argentés et versé tout mousseux, a une saveur, un parfum et, pour tout dire, une vertu qui ne se rencontre point ailleurs. Peut-être, tout bonnement, doit-il cette supériorité incontestable à l'absence d'éléments hétérogènes, tels que la poudre d'amidon et l'eau de fontaine dont on l'additionne dans les villes. Au dire d'un vieux chroniqueur normand, c'est en Normandie même qu'aurait pris naissance la coutume du « lait de mai ». Quand fut levé, en avril de l'année 1418, le siège de Rouen, qui avait été marqué par une famine épouvantable, les survivants, affaiblis par une longue privation, se portèrent en grand nombre vers les fermes des environs pour y boire le lait du matin, qu'ils prisaient plus ravigorant qu'un autre. Joignez que la marche et l'air vif leur aiguisaient l'appétit. Toujours est-il qu'ils se trouvèrent fort bien de ce nouveau régime. Et ainsi s'établit de proche en proche l'habitude d'aller boire, au retour du printemps, à la fine pointe de l'aube, le lait écumeux qui rit dans la bassine de métal clair...
« On se lasse de tout, disait Virgile, sauf de comprendre. » Mais qui s'est jamais lassé du retour de la lumière, des oiseaux et des fleurs? La nature se répète chaque année, et, chaque année pourtant, nos yeux et nos cœurs participent à la joie de sa résurrection. Qu'elle est belle, la terre, dans son antique nouveauté!...
Ce matin, comme je courais les champs, j'ai surpris, à l'angle d'un vieux mur ruiné et tout rongé de lierre, un ménage d'hirondelles. Les petits levaient déjà la tête au bord du nid, cependant que le père et la mère traçaient de grandes paraboles dans le ciel et poussaient des cris aigus : il faisaient la chasse aux moucherons et, leur provision au bec, l'allaient porter aux petits. C'étaient des martinets de rochers, de cette espèce aux ailes longues et à la queue en fourche qui est si commune dans tout l'Ouest et le Midi. Nos hirondelles de villes, qu'on distingue en hirondelles de fenêtres et hirondelles de cheminée, sont les cousines germaines de ces martinets; elles en diffèrent un peu par la taille et la forme des pattes : mais les mœurs sont les mêmes et l'instinct social également développé. Une hirondelle a-t-elle été prise au lacet ou s'est-elle blessée? Toutes se ligueront pour briser le lien qui la tient captive ou lui fournir la becquée jusqu'à sa guérison. Un fait de cette sorte est attesté par divers chroniqueurs duXVIe siècle, qui en furent les témoins. La scène se passait sur les toits du collège des Quatre-Nations, aujourd'hui Collège de France. Une hirondelle, dans une de ses caracoles aventureuses, avait rasé de trop près la fenêtre d'une mansarde et s'y était pris la patte à un lacet. Tous ses efforts n'aboutissaient qu'à resserrer le lien. Elle se débattait et poussait des cris d'appel. Ses sœurs l'entendirent et accoururent. Il y en avait bien un millier qui faisaient un gros nuage noir autour de la mansarde. Chacune, en passant, donnait un coup de bec au lacet. En moins d'un quart d'heure, la prisonnière fut délivrée.
Les hirondelles sont comme les roses : on les a trop chantées. Théophile Gautier avait bien rajeuni le thème au moyen d'un ingénieux exotisme. Vous vous rappelez ses vers :
L'une dit :
« j'habite un triglyphe,
Au fronton d'un temple, à Balbeck;
Je m'y suspens avec ma griffe
Sur mes petits au large bec. »
Celle-ci :
« Voici mon adresse :
Rhodes, palais des Chevaliers;
Chaque hiver ma tente s'y dresse
Au chapiteau des noirs piliers. »
La troisième :
« Je ferai halte,
Car l'âge m'alourdit un peu,
Aux blanches terrasses de Malte,
Entre l'eau bleue et le ciel bleu. »
Exquise fantaisie d'un vrai poète, mais qui n'a point prévalu contre le ridicule jeté pour jamais sur ces « fidèles messagères du printemps » par un stupide refrain de café-concert :
Ah! pour moi, que la vie serait belle
Si j'étais hi,
Si j'étais rond,
Si j'étais hirondelle!...
N'empêche que, dans le fond du cœur, nous gardons une secrète tendresse pour ces charmants oiseaux qui sont, sur la grande page bleue du ciel, comme la signature multipliée du printemps, son souple et capricieux paraphe. Leur familiarité même nous touche; leurs nids nous sont sacrés et semblent un présage de bonheur pour les maisons où ils sont accrochés. Vous imaginez-vous ce que serait un printemps sans hirondelles? Il me semble qu'il manquerait quelque chose à l'air, ce quelque chose qui est la vie et que le perpétuel va-et-vient des hirondelles lui communique aux beaux mois...
Celui-ci, de tous, est le plus riant : mois de promesses, mois d'espérances, où la fleur commence d'éclore, où le fruit se devine, où les moissons pointent. D'où vient donc que les anciens le tenaient pour un mois néfaste, durant lequel il ne fallait rien entreprendre? « Ne vous mariez pas en mai, disait Horace, sans quoi les flammes de l'hymen se changeraient bientôt pour vous en torches funèbres. » Il y a comme un souvenir de cette superstition dans le proverbe : « Noces de mai, noces mortelles ». Dans beaucoup de nos campagnes encore, mais spécialement dans les Pyrénées, le pays de Gex et le Berry, les paysans évitent de se marier au mois de mai. Il en est de même en Bretagne, où les mariages sont extrêmement rares à cette époque de l'année. Un brave Kernévote, à qui j'en demandais la raison, me répondit que, mai étant le mois de Marie, c'était par respect pour l'Immaculée qu'on en agissait de la sorte.
À la bonne heure! Tout ce mois de mai, du reste, que les Romains consacraient à Maïa, en qui ils personnifiaient la fécondité terrestre, et que les chrétiens ont voulu placer sous le patronage de la Vierge-Mère, abonde en cérémonies et en coutumes d'une grâce incomparable. Il y a peu de temps qu'il était d'usage, au premier jour du mois, de planter un arbre sur les places publiques. Merlin Cocaïe, dans son latin macaronique, constate cet usage sans l'expliquer :
Prima dies mensis maii quo quisque plantas
Per stradas ramos frondosos nomine mazzos.
« Le premier jour du mois, dit-il, on plante des rameaux verts nommés mais. » Ces mais étaient le plus souvent des peupliers. Dans certaines villes on en faisait des mâts de cocagne qu'on lissait avec de la graisse ou du savon et auxquels on accrochait des saucissons, des chapons, des foulards et des mouchoirs de poche. En d'autres contrées on dansait autour de l'arbre. La grande cour du Palais de Justice de Paris porte encore le nom de Cour-du-Mai. C'est que, nous apprend M. Garcin, « les clercs de la Basoche, jusqu'au XVIIIe siècle, y ballaient et chantaient pour la fête du printemps. Vingt-cinq d'entre eux, vêtus de rouge, à cheval et suivis de musiciens, faisaient, durant plusieurs jours, une procession dans Paris, donnant des aubades aux premiers magistrats; puis ils se rendaient en bel arroi dans la forêt de Bondy, y marquaient trois chênes et en coupaient un qu'ils venaient planter au bas du grand escalier du palais, dans la Cour-du-Mai, et autour duquel ils menaient leurs rondes fort avant dans la nuit. » Ailleurs le mai servait seulement aux fiancés. C'était alors un simple rameau d'acacia ou de troène fleuri, que les galants venaient planter le matin devant la fenêtre de leurs belles. Ils y attachaient quelques menues offrandes, des épingles ou des rubans, et chantaient une façon de ritournelle rustique où défilaient les douze premiers jours du mois :
Le premier jour du mois de mai,
Que donnerai-je à ma mie?
Une perdriole,
Qui va, qui vient, qui vole,
Une perdriole,
Qui vole dans le blé.
Mais la coutume la plus curieuse de ce mois de mai, c'est en Lorraine qu'il faut l'aller chercher. On y appelle trimazos « trois jeunes filles vêtues de robes blanches, parées de rubans et de fleurs, qui, le 1er mai, viennent chanter et danser devant chaque maison pour célébrer le retour du printemps. Dans certaines localités, le ruban qui orne leur corsage est disposé de manière à former un triangle. Leurs chants, dont les refrains sont répétés par toute la troupe joyeuse qui les suit, sont aussi appelés trimazos. » Ces trimazos sont, d'ordinaire, des chants pieux, analogues aux noëls, comme celui qui s'ouvre par ces jolis couplets :
La Vierge Marie
S'en va par les champs.
Sur ses bras elle porte
Son tant bel enfant.
Jésus, Notre-Dame,
Béni soit devant!
Sur ses bras elle porte
Son tant bel enfant.
— Pourquoi pleurer, mère,
Pourquoi pleurer tant?
Jésus, Notre-Dame,
Béni soit devant!...
Au dernier couplet, les jeunes filles font le tour de l'assistance. Donne qui veut et ce qu'il veut! Tel y va d'une pièce d'argent et tel d'un humble sol. Nos trimazos acceptent même les dons en nature, beurre, œufs, volailles, qu'elles revendent ensuite et dont elles consacrent le produit à décorer l'autel de la Vierge...
D'origine moins ancienne que la fête profane du 1er mai, la fête religieuse des Rogations, qui est particulière à nos campagnes, fut instituée en l'an 474 par saint Mamert, évêque de Vienne en Dauphiné, « pour attirer la protection de Dieu sur les biens de la terre dauphinoise ». Quelques années plus tard (511), le concile d'Orléans généralisait la pieuse décision et en étendait le bénéfice à la France tout entière. Les Rogations (du latin rogare, prier) se célèbrent pendant les trois jours qui précèdent l'Ascension; le clergé de chaque paroisse, bannière en tête, parcourt les champs et les prés, suivi d'une foule recueillie, et bénit les moissons naissantes. Cette belle fête est la même dans la plupart de nos provinces de France et le programme n'en varie généralement pas, sauf en Rouergue et en Franche-Comté où, après le passage de la procession, il est d'usage que chaque propriétaire ou locataire d'un champ plante, dans ledit champ, une petite croix de frêne ou de noisetier faite de deux branches entrelacées... En Vendée, la croix est remplacée par une tige d'aubépine, verdoyante amulette dont la présence, dit-on, suffît « pour empêcher que, plus tard, le blé engrangé se mette à germer ». Mais qui dira pourquoi, à Rochefort, le printemps éveille dans la population un goût si général et si vif pour la fricassée d'anguille, apprêtée et servie sur le pré d'Ablois avec des pâtisseries spéciales nommées emblées et coireaux?
Bien d'autres coutumes relatives au mois de mai mériteraient sans doute de trouver place ici. J'ai dû me borner aux principales. « On ne goûte bien le charme du printemps qu'à l'aube de la vie », a dit Toppfer. Et Lamartine :
Lorsque vient le soir de la vie,
Le printemps attriste le cœur.
N'en croyez rien. Mai n'est point si exclusif qu'il n'admette que les têtes blondes au partage de ses grâces : les têtes chenues y ont part aussi. S'il est vrai qu'aucun mois n'éveille de sensations plus charmantes, enfant, on en goûte la plénitude heureuse; vieillard, on se réchauffe encore à leur souvenir.