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Andromaque, de Racine

Andromaque est une tragédie de Racine, en cinq actes, représentée pour la première fois sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne, le 10 novembre 1667. Il y a trois amours dans cette pièce : celui de Pyrrhus pour Andromaque, celui d'Hermione pour Pyrrhus, et celui d'Oreste pour Hermione. Il fallait que tous trois fussent tragiques, que tous trois eussent un caractère différent, et que tous trois concourussent à délier le noeud principal du sujet, qui est le mariage de Pyrrhus avec Andromaque, d'où dépend la vie d'Astyanax, fils d'Hector. Le poète est venu à bout de tout. 

Le Cid de Corneille avait été la première époque de la gloire du théâtre; l'Andromaque de Racine en fut la seconde et n'eut pas moins d'éclat. Cette pièce est le premier chef-d'oeuvre du grand tragique.

"On vit pour la première fois dans l'Andromaque, dit La Harpe, une tragédie où chacun des acteurs était continuellement ce qu'il devait être, et disait toujours ce qu'il devait dire. Racine, en étalant sur la scène des peintures si savantes et si expressives de cette inépuisable passion de l'amour, ouvrit une source nouvelle et abondante pour la tragédie française. Cet art que Corneille avait principalement établi sur l'étonnement et l'admiration, et sur une nature quelquefois trop idéale, Racine le fonda sur une nature toujours vraie et sur la connaissance du coeur humain."
La tragédie d'Andromaque opéra une révolution profonde dans l'art théâtral, et révéla une source de beautés nouvelles, qui étaient restées étrangères à Corneille. Aussi fut-elle considérée en France comme un événement, qui défraya pendant longtemps les conversations de la plus brillante société de l'époque; admirée par les uns, critiquée par les autres, comme toute oeuvre de génie dont le temps n'a pas encore établi l'éclatante supériorité la pièce de Racine trouva des frondeurs dans le maréchal de Créqui, dont l'aversion pour les femmes était connue, et dans M. d'Olonne, qui avait peu à se louer des procédés de la sienne. Or, on connaît tout l'esprit satirique du grand tragique, et l'on sait que dans ces sortes de disputes il avait l'habitude de mettre les rieurs de son côté; il donna dans cette circonstance une nouvelle preuve de cette verve mordante qui était si redoutée :
La vraisemblance est choquée en ta pièce,
Si l'on en croit et d'Olonne et Créqui.
Créqui dit que Pyrrhus aime trop sa maîtresse;
D'Olonne, qu'Andromaque aime trop son mari.
Dans le cours d'une répétition d'Andromaque, Racine, qui faisait à chaque acteur ses recommandations, se contenta de dire au célèbre Baron : 
"Pour vous, je n'ai point d'instructions à vous donner; votre coeur vous en dira plus que mes leçons n'en pourraient faire entendre. "
On connaît la Champmeslé, celle que madame de Sévigné appelait sa bru, bien à contre-coeur, il est vrai, et l'on sait pourquoi; à cette époque, elle n'était pas encore célèbre, et Boileau ne devait écrire que dix ans plus tard ces vers si connus :
Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,
N'a coûte tant de pleurs à la Grèce assemble, 
Que, dans l'heureux spectale à nos yeux étalé, 
En a fait, sous son nom, verser la Champmeslé.
Racine, qui était doué d'un admirable talent pour la déclamation, lui donna des leçons et la forma, ce que nous rappelons sans intention ironique et sans aucune allusion à la chronique médisante du temps. Néanmoins, à la première représentation, elle ne dit que très faiblement les deux premiers actes, qui avaient été admirablement rendus par mademoiselle Desoeillets, excellente actrice d'alors; mais elle se releva avec une telle puissance aux trois actes suivants, elle répandit dans cet admirable rôle d'Hermione tant de chaleur et de ce véritable enthousiasme qu'allument les passions, qu'elle fut applaudie avec fureur, ce qui fit dire à Louis XIV "qu'il aurait fallu que la Desoeillets jouât les deux premiers actes, et la Champmeslé les trois autres. "

Les grands acteurs savent merveilleusement rendre la pensée du poète, et souvent même y ajoutent une force et une grâce de plus. Dans ce vers de Pyrrhus à Andromaque :

Madame, en l'embrassant, songez à le sauver,
Baron employait, au lieu de la menace qui y semble indiquée, l'expression pathétique de l'intérêt et de la pitié; il paraissait même, par le geste touchant dont il accompagnait ces mots : en l'embrassant, tenir Astyanax entre ses mains et le présenter à sa mère. Mais c'est surtout dans les représentations théâtrales que le burlesque touche au sublime. Une débutante, dont la figure avait le malheur de ne pas racheter la médiocrité du talent, remplissait le rôle d'Andromaque d'une manière a se rendre le parterre impitoyable. Un spectateur, un admirateur fanatique de Racine, maugréait tout bas d'entendre estropier d'aussi beaux vers; à la fin, il ne se contint plus, et, dans un passage où Andromaque dit à Pyrrhus :
Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce? 
il riposta par ce vers impromptu, très richement rimé :
Que vous êtes, madame, une laide...,
puis, enfonçant son chapeau sur sa tête, il sortit au milieu des applaudissements du parterre, laissant l'actrice fort embarrassée de son rôle et surtout de sa figure.

L'Andromaque de Racine est peut-être la première tragédie en France qui obtint les honneurs de la parodie. Ce nouveau début dans le genre déjà mis à la mode par Scarron était la Folle Querelle, de Subligny; Racine, dit-on, fut de ceux qui attribuèrent cette folie à Molière, et l'on prétend que c'est à ce sujet que quelques nuages s'étendirent sur leur ancienne amitié. Quoi qu'il en soit, cet essai d'une littérature facile et de mauvais goût trouva bientôt des imitateurs.

Terminons par une anecdote, qui n'est pas un des souvenirs les moins amusants des premières représentations orageuses d'Andromaque. Un grave magistrat, qui n'était jamais allé au théâtre, s'y laissa entraîner sur l'assurance qu'il serait émerveillé de la nouvelle pièce. Il fut très attentif au spectacle, qui se terminait par les Plaideurs, et se montra en effet enchanté de la soirée. En sortant, il se trouva avec l'auteur, et croyant lui devoir un compliment, il lui dit :

" Je suis très satisfait, monsieur, de votre Andromaque, c'est une charmante pièce. Je suis seulement étonné qu'elle finisse si gaiement. Je m'étais senti d'abord quelque envie de pleurer; mais la vue des petits chiens m'a fait rire."
 (PL).
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