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Aperçu | Les pièces de Racine | Caractères de son théâtre |
Théories littérairesRacine n'a pas laissé, Comme Corneille, d'écrits théoriques sur son art. C'est pour se défendre contre les critiques qu'il a été amené à soutenir dans ses préfaces sa conception dramatique.Critique de la tragédie cornélienne. Que faudrait-il pour contenter des juges si difficiles? La chose serait aisée, pour peu qu'on voulût trahir le bon sens. Il ne faudrait que s'écarter du naturel pour se jeter dans l'extraordinaire... Il faudrait remplir cette même action de quantité d'incidents qui ne se pourraient passer qu'en un mois, d'un grand nombre de jeux de théâtre d'autant plus surprenants qu'ils seraient moins vraisemblables, d'une infinité de déclamations où l'on ferait dire aux acteurs tout le contraire de ce qu'ils devraient dire. (Première préface de Britannicus).La tragédie passionnée. Soit but, à Iui, n'est pas d'étonner, mais d'émouvoir : La principale règle est de plaire et de toucher. (Préface de Bérénice).Et rien n'est plus capable d'exciter la compassion ou la terreur qu'une tragédie Soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentiments, et de l'élégance de l'expression. (Préface de Bérénice).Ce ne sont donc pas les démarches de la volonté, comme dans Corneille, mais les mouvements du coeur qui constituent le spectacle tragique. La tragédie simple. une action simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un jour, et qui, s'avançant par degrés vers sa fin, n'est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages (Première préface de Britannicus).Emploi de l'histoire. Il est évident qu'ainsi le poète n'aura pas besoin de l'histoire pour légitimer l'invraisemblance de ses sujets. Elle ne servira qu'à donner aux héros plus de dignité et à les reculer dans un lointain poétique : A la vérité je ne conseillerais pas à un auteur de prendre pour sujet d'une tragédie une action aussi moderne que celle-ci... Les personnages tragiques doivent être regardés d'un autre oeil que nous ne regardons d'ordinaire les personnages que nous avons vus de si près... Major e longinquo reverentia. L'éloignement des pays répare en quelque sorte la proximité des temps. (Préface de Bajazet).Peindre des personnages aussi près que possible de la nature, entraînés par leurs passions, dans une action simple et à une époque ou dans une contrée lointaine, voilà donc la conception dramatique de Racine. Les premières pièces de RacineMais, pas plus que Corneille, il n'a trouvé du premier coup sa véritable voie.La Thébaïde et Alexandre. Ce grand nom de vainqueur n'est plus ce qu'il souhaite,Il se montre ennemi généreux et rend à Porus vaincu tous ses états. Les Plaideurs. Mais il avait fallu les applaudissements de Louis XIV pour assurer le succès de la pièce, d'abord froidement accueillie. Racine se rendit compte qu'il avait rencontré dans Andromaque la formule qui lui convenait. Il y revint et s'y tint. La passion dans les tragédies de RacineSon caractère comme sa conception dramatique conduisaient Racine à donner à la passion une place prépondérante dans la tragédie. De plus son éducation janséniste lui avait fait croire à la faiblesse de l'homme sans Dieu. Aussi n'y a-t-il dans le théâtre de Racine qu'une volonté impérieuse et éclairée, c'est celle de Joad, parce que c'est Dieu qui le conduit.L'ambition. Ces noms de roi des rois et de chef de la GrèceMais il est sans force contre sa tendresse paternelle et l'indignation de Clytemnestre (IV, IV), tergiverse désemparé, prend une résolution pour ne pas avoir l'air de céder aux menaces d'Achille (IV, VII) et se rétracte ensuite (IV, IX). Narcisse (Britannicus) et Acomat (Bajazet) se dirigent d'une marche sûre vers un but fixé; pourtant leur allure est rampante ou cauteleuse. Ils sont, le second surtout, des types admirables de politiques. Mais tous leurs grands desseins ne consistent qu'à réussir, par des intrigues de palais, à dominer leurs maîtres, Néron ou Bajazet. L'amour maternel. De mes bras tout sanglants il faudra l'arracher.Elles représentent à elles deux toute la délicatesse et tout le courage de l'amour maternel. Nul n'a mieux connu le coeur des mères que Racine, cet orphelin. L'amour. Adieu, seigneur. Régnez : je ne vous verrai plus. (Bérénice, V, VII).Mais dès que la crainte irrite l'amour, il devient passion. Ainsi les refus d'Andromaque exaspèrent Pyrrhus qui se montre de plus en plus impérieux. (I, IV. IlI, VII). La jalousie. Tout ce que, j'ai souffert, mes craintes, mes transports,Elle inflige l'humiliation d'aimer malgré tout et de le dire : Je t'aimais inconstant : qu'aurais-je fait fidèle?Elle est la forme vraiment tragique de l'amour, puisque c'est elle qui achemine aux catastrophes sanglantes. L'actionQuelles sont les causes morales qui déterminent ces dénouements violents? L'action de la tragédie est constituée par le jeu des forces sentimentales.Les sujets. La crise. Tension qui la précède. Songez-y bien, il faut désormais que mon coeur,Le rage jalouse s'est accumulée dans le coeur d'Hermione : Elle pleure en secret le mépris de ses charmes. (Ibid. I, I).Depuis des années Joed prépare le rétablissement de Joas sur le trône (Athalie), etc. La situation est si tendue qu'une solution est imminente. Mouvements qui la dénouent. L'emploi de l'histoireL'action des tragédies de Racine ne repose donc que sur la logique très simple du coeur humain, en dehors de toute considération de circonstances historiques.Vérité humaine. HERMIONE. - Je ne t'ai point aimé, cruel, qu'ai-je donc fait?tantôt c'est la jalousie, PHEDRE. - Hippolyte est sensible et ne sent rien pour moi!tantôt c'est l'amour maternel, etc. ANDROMAQUE. - Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui.Le langage de la passion ne porte pas de date. Racine allait à la vérité humaine plutôt qu'à la vérité historique. Même il est vrai que ses personnages, quand c'est la galanterie qui parle en eux plutôt que l'amour; sont bien des « courtisans français », selon le mot de Voltaire (Temple du goût). Ce n'est pas le fils d'Achille qui aurait parlé ainsi à une esclave : PYRRHUS. - Me cherchiez-vous, Madame?Ce n'est pas un prince turc qui aurait dit à une femme du harem : Et si l'effet enfin, suivant mon espérance,Vérité historique. Les contemporains même reprochèrent vivement à Racine son manque de vérité historique, entre autres Saint-Evremond, dans sa Dissertation sur Alexandre, et Corneille, qui disait à la première représentation de Bajazet : « Il n'est pas un seul personnage qui ait les sentiments qu'il doit avoir et que l'on a à Constantinople; ils ont tous, sous un habit turc, les sentiments qu'on a au milieu de la France. »Racine a fait pourtant deux pièces où l'histoire tient plus de place : Britannicus et Mithridate. Britannicus est un tableau exact de la cour de Néron, d'après Tacite (2e Préface). Dans Mithridate, Racine se vante « d'avoir suivi l'histoire avec beaucoup de fidélité » : J'y ai inséré tout ce qui pouvait mettre en jour les moeurs et les sentiments de ce prince, je veux dire sa haine violente contre les Romains, son grand courage, sa finesse, sa dissimulation, et enfin cette jalousie qui lui était si naturelle, et qui a tant de fois coûté la vie à ses maîtresses. (Préface).De là, le fier langage de Mithridate : Vaincu, persécuté, sans secours, sans états,De là surtout la grande scène historique analogue à celles de Corneille (Cinna, II, I), où Mithridate expose à ses fils son projet de marche sur Rome (III, I). Poésie légendaire. Oui, seigneur, lorsqu'au pied des murs fumants de TroieLa tradition mythologique fait paraître moins choquant l'amour de Phèdre (Phèdre, I, III) et admissible le sacrifice d'Iphigénie. Pour qu'on ne s'indigne pas de la conduite de Joad, il faut qu'on soit enveloppé de l'atmosphère biblique, pénétré de l'horreur sacrée du Temple, et convaincu de la présence de Dieu lui-même qui se révèle par la bouche de Joad proclamant son triomphe (Athalie, III, VII). Le styleLa magie du style achève d'envelopper de poésie la tragédie racinienne.L'élégance. Dans les honneurs obscurs de quelque légion... (Britannicus, I, II).Quelquefois en oppositions vigoureuses : S'il ne meurt aujourd'hui, je puis l'aimer demain. (Andromaque, IV, III).Souvent elle tient à ce que l'émotion du personnage donne à ses paroles un charme pénétrant : Pourquoi m'enviez-vous l'air que vous respirez? (Bérénice, IV, V).2° Les images. La sensibilité des héros de Racine se trouve ainsi passer dans leur style. Ils n'argumentent pas comme ceux de Corneille pour frapper la raison. Ils évoquent des images pour toucher le coeur. Pyrrhus montre à Andromaque Troie ressuscitée : Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre;Ulysse représente à Agamemnon les conséquences heureuses du sacrifice d'Iphigénie : Voyez tout l'Hellespont blanchissant sous nos ramesJoad rappelle à Abner la série des miracles (Athalie, I, I), etc. L'harmonie. Ariane, ma soeur, de quel amour blesséeTantôt les sons étouffés, les coupes multipliées produisent un effet d'apaisement : Mais tout dort | et l'armée et les vents | et Neptune. (Iphigénie, I, III).Tantôt, au contraire, les sifflantes répétées imitent le bruit qu'on veut rendre : Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes? (Andromaque, V, V). ConclusionLe théâtre de Racine est le théâtre des grandes passions, comme celui de Corneille est le théâtre des grandes volontés. Il nous apprend à mesurer notre faiblesse ainsi que Corneille à connaître notre force, et, en ce sens, il est moral aussi. Son apparente simplicité est le fruit d'un art complexe on se mêlent la science du coeur, la poésie et les souvenirs de l'Antiquité. C'est l'art classique dans sa perfection. C'est pourquoi Racine fut le maître vénéré des auteurs dramatiques, au XVIIIe siècle, et l'objet des attaques les moins respectueuses des Romantiques. Il demande pour être pleinement senti des interprètes d'un rare talent, comme Rachel, ou des lecteurs d'un goût éclairé et pénétrant. (E. Abry / Ch.-M. Des Granges). |
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