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Les animaux et les humains
L'histoire de la médecine vétérinaire

Aperçu
Le mot Vétérinaire, que Columelle (42 de notre ère) semble avoir employé couramment le premier, viendrait, d'après Littré, du latin veterinarius, de veterinum, bête de somme, contracté de veheterinus, propre à porter les fardeaux. Suivant Lenglet, il dériverait plutôt du celtique vee, bétail (all. Vieh), teeren, être malade (all. zehren, consomption), et arts, artiste, médecin (all. artz). Quoi qu'il en soit, son correspondant, chez les Grecs, était hippiâtre (hippiatros), de hippos, cheval, et iatros, médecin, que l'on trouve dans Varron (116-26 av. J.-C.). Ces deux termes, devenus synonymes, servaient à désigner ceux qui exerçaient l'art de connaître et de traiter les maladies des chevaux et des bestiaux; mais depuis la fondation des écoles vétérinaires (1761), l'expression latine, moins restreinte, a seule subsisté; en sorte qu'il ne sera plus question que de la (médecine) vétérinaire ou médecine des animaux domestiques, longtemps appelée l'hippiatrie ou l'hippiatrique par les écuyers qui la limitaient à l'art de guérir les chevaux.

Les espèces dont s'occupe traditionnellement la vétérinaire sont le cheval, l'âne et leurs hybrides (mulet, bardot), le boeuf, le mouton, la chèvre, le dromadaire, le chameau, le porc, le chien, le chat, le lapin et les oiseaux de basse-cour. Mais, à la fin du XIXe siècle,  son domaine s'étend aussi aux affections de quelques autres, de moindre importance économique, le lama, le renne, le cobaye, l'autruche, etc. On voit, par cette énumération, les services que l'on attend alors de la vétérinaire, aussi bien dans, l'agriculture, l'industrie, l'armée. Grâce à elle, les animaux domestiques, entretenus dans des conditions plus favorables de santé, sont produits en plus grand nombre et de meilleure qualité; leurs maladies, mieux connues, sont plus facilement prévenues et guéries, les épizooties plus vite conjurées. La biologie générale, la pathologie et la thérapeutique humaines, l'hygiène et la salubrité publiques, ont également bénéficié grandement à partir de cette époque des connaissances acquises par les vétérinaires. Au cours du XXe siècle, les aspects économiques restent essentiels, mais le domaine de la médecine vétérinaire s'étend encore : tous les animaux - des "nouveaux animaux de compagnie", aux espèces en danger - peuvent virtuellement concerner cette discipline.

L'éclosion tardive de la vétérinaire a eu cet avantage de la sauver, dès son berceau, de l'écueil des théories philosophiques ou abstraites qui ont influé d'une façon si fâcheuse sur les progrès de la médecine; sans y être restée étrangère, elle a pu néanmoins adopter un éclectisme relatif, grâce auquel elle n'a jamais été, à proprement parler, inféodée à aucune doctrine spéciale. Créées pour combattre l'ignorance, les préjugés, l'empirisme, qui causaient tant de maux aux campagnes en rendant absolument stérile toute espèce de lutte contre les maladies contagieuses du bétail, les écoles, avant tout professionnelles, se sont attachées dès l'origine à l'observation consciencieuse et terre à terre des faits, appuyée sur l'expérimentation et les données positives.


Jalons
L'enfance de l'art vétérinaire

Si l'on veut considérer les augures, devins, sorciers, sacrificateurs, pâtres, bergers, rebouteurs, maréchaux, écuyers, comme les ancêtres des vétérinaires actuels, il faut reconnaître que les origines de la vétérinaire se confondent avec l'histoire obscure des premiers peuples nomades on pasteurs, et que ses origines se perdent, comme celles de la médecine, dans la nuit des temps, l'Antiquité ne nous ayant laissé sur elles aucune indication précise. Dès l'époque de la domestication des animaux, il est probable que les humains durent tenter en effet de soustraire ceux-ci aux maladies provoquées par les conditions d'existence artificielles qui leur étaient faites. Les Hindous, les Perses, les Assyriens, les Égyptiens, aux troupeaux immenses, qui avaient pourtant chanté les animaux dans leurs poésies et mis plusieurs d'entre eux au rang de leurs divinités, ne nous ont légué que de maigres documents dont l'authenticité est même peut-être discutable. La Bible ne nous apprend non plus que fort peu de choses sur les connaissances médicales des Hébreux. 

Les Grecs et les Romains.
Pendant la période grecque et une grande partie de la période gréco-romaine, quelques notions plus exactes se découvrent éparses dans les ouvrages des philosophes, des médecins, des historiens, des agronomes ou des poètes : Hippocrate mentionne les kystes hydatiques des poumons et de l'encéphale; Xénophon fournit de précieux renseignements sur les chiens de chasse; son traité de l'Équitation est un chef-d'oeuvre que les amateurs de chevaux aiment encore à parcourir. Caton l'Ancien parle des maladies des bestiaux, bien que sans compétence et en observateur superstitieux. Varron, de beaucoup supérieur, traite de l'âge, de la conformation, de la race, de l'élevage, du mode de reproduction de chaque espèce domestique et de quelques-unes de ses maladies; le premier, il fournit des aperçus de jurisprudence commerciale vétérinaire. Columelle, le plus savant agronome de l'Antiquité, a composé un Traité d'agriculture qui éclipse ceux de Caton et de Varron en ce qui concerne le choix, l'élevage, l'hygiène et les maladies des animaux. Virgile, qui était maître des écuries d'Auguste, consacre le livre IIl de ses Géorgiques à l'élevage des bestiaux; il signale l'oestre du boeuf, la gale du mouton, les accidents causés par les vipères. Galien, qui n'avait appris l'anatomie que sur les animaux (les porcs...), conseille, à l'encontre d'Hippocrate, de faire usage en médecine des observations vétérinaires et donne une excellente description de la rage.

Mais c'est seulement à dater du IVe siècle de notre ère que nous rencontrons des professionnels dont les écrits constituent par leur ensemble la collection de l'Hippiatrique. Apsyrte, de beaucoup le plus érudit, mérite sans conteste le titre de «-père de la médecine vétérinaire » qu'on lui a décerné; son livre, dont il ne reste plus aucun exemplaire, se retrouve presque tout entier dans la Collection des hippiatres grecs à laquelle ses collaborateurs et ses successeurs ont du reste peu ajouté; il y est traité avec sagacité, compétence et détail de toutes les affections animales connues de son temps (322). Pélagone et Hiéroclès, ses contemporains, sont, après lui, les écrivains qui ont le plus donné à la célèbre publication.

Au Ve siècle, Végèce, qu'il ne faut pas confondre avec l'auteur du livre sur l'Art militaire, nous a laissé un Traité complet de la médecine vétérinaire, sans doute inspiré des hippiatres grecs, mais plein de documents inédits, d'aperçus personnels, qui, contrairement à l'opinion de Nisard, égale au moins en valeur l'oeuvre collective de l'Hippiatrique. Il nous éclaire en outre sur la situation respective de la médecine et de la vétérinaire à son époque, expliquant que, si cette dernière était moins relevée, cela tenait à son objet même, à l'amour du lucre des praticiens, surtout à ce préjugé absurde que l'art de soigner les animaux avait quelque chose de vil et de méprisable, alors qu'on se faisait pourtant un point d'honneur d'en posséder beaucoup.

Le Moyen Âge et la Renaissance.
Au Moyen âge, la vétérinaire, absolument stationnaire en Europe occidentale, eût sombré dans l'empirisme le plus grossier et la plus noire superstition, si l'école arabe n'avait conservé les notions qui lui étaient venues de l'Asie et de la Grèce. Très versés dans l'agriculture et l'horticulture, passionnément épris du cheval, qui était chez eux objet de vénération, les Arabes ont poussé très loin les méthodes d'élevage, de reproduction des équidés, l'étude de leurs maladies et des moyens d'y remédier; mais on se tromperait en croyant qu'ils se sont bornés à copier et à commenter les Grecs. Le savant Traité d'agriculture d'Ibn-al-Awam, véritable « Maison rustique » du XIIe siècle, est le résumé de tous les systèmes d'agriculture alors connus; le célèbre Nâceri d'Abou Bekr lbn-Bedr (XIIIe siècle) constitue, selon Perron, son traducteur, un traité d'hippologie et d'hippiatrie

qui représente la science hippique des Arabes au moment où elle a eu le plus de pratique, de relief et d'éclat.
Abou-Bekr n'est pas seulement un praticien habile et un érudit consciencieux, c'est aussi un moraliste; il recommande aux hippiatres le respect des maîtres, les incite à se montrer toujours vrais et sincères, désintéressés envers leurs clients pauvres, à faire usage d'une thérapeutique économique, à ne pas traiter et médicamenter les malades incurables, etc. 

Pour leur part, les cloîtres de l'Europe latine ont sauvé également du naufrage quelques écrits vétérinaires précieux, notamment l'Hippiatrica de Jordanus Ruffus (1250), celle de Laurent Rusius (1288-1347); le Traité des bergeries et des maladies du mouton, de Jehan de Brie (1379).

A partir de la Renaissance, l'impulsion due à la découverte de l'imprimerie, le goût des recherches anatomiques, l'observation plus judicieuse des malades, l'abandon plus accusé des pratiques superstitieuses pour l'emploi d'une thérapeutique plus rationnelle, engendrent, surtout en France, en Italie, en Allemagne et en Angleterre, des oeuvres sérieuses qui préparent peu à peu la médecine vétérinaire à entrer dans sa phase vraiment scientifique. Le remarquable et premier Traité de la ferrure du chenal, de César Fiaschi (1564), l'Anatomie comparée, avec figures, de Volcher Koytre (1573), l'incomplète Hipposléologie, de Jehan Héroard (1594), précèdent l'excellent ouvrage de Carlo Ruini (1590), orné de nombreuses et bonnes planches originales, qui pendant un siècle et demi est demeuré le meilleur travail relatif à l'anatomie et aux maladies du cheval.

La professionnalisation

Au XVIIe siècle, ce sont généralement les écuyers qui exercent la médecine des animaux, en même temps que la maréchalerie. Parmi les plus connus, il convient de citer : de la Broue, Pluvinel, et surtout Solleysel, dont le Parfait Mareschal (1664), traduit plusieurs fois dans toutes les langues, a eu le mérite d'exclure toute croyance superstitieuse, de combattre certaines formules absurdes, d'établir le diagnostic différentiel des maladies, et a partagé avec le livre de Ruini le sort d'être plagié, même démarqué, par Gaspard Saunier (1730), Garsault (1732), quelque peu aussi par La Guérinière (1739), etc.

La fondation des écoles est venue à son heure centraliser, codifier, un ensemble considérable de notions, perdues au milieu de préjugés, d'erreurs et d'inutilités dans une multitude d'ouvrages plus ou moins réputés des temps modernes; la vétérinaire était mure pour l'éclosion de professionnels capables d'enseigner, de disciples désireux de s'instruire, d'élèves à peu près aptes à s'assimiler les préceptes fondamentaux de l'art. Cothenus, à Berlin; Camper, en Hollande; Haller, en Suisse; Lafosse père, en France, avaient déjà fait d'infructueuses tentatives auprès de leurs gouvernements pour obtenir la création d'un enseignement devenu nécessaire. Et des épizooties meurtrières ravageaient la France, lorsque Bertin, contrôleur général des finances, ému des désastres qu'elles causaient, encouragea et aida son ami Claude Bourgelat, écuyer à Lyon, à fonder en 1761 la première école vétérinaire dans cette ville. L'expérience ayant réussi, il fut chargé, en 1765, de créer une nouvelle école à Alfort, qui ouvrit ses cours en 1766; mais ce ne fut qu'en 1793 que la Convention décréta l'ouverture, à Toulouse, de la troisième école française; toutefois, les événements de la Révolution, de l'Empire et de la Restauration en ajournèrent l'édification jusqu'en 1825.

L'enseignement nouveau eut un enfantement laborieux et long : au seuil de son histoire, il s'est heurté à des rivalités de personnes qui l'ont privé d'énergies précieuses et ont failli consommer sa ruine. Après son père, Lafosse fils devint l'adversaire acharné de Bourgelat; praticien habile et instruit, nanti de hautes fonctions officielles et jouissant d'une réelle notoriété scientifique, celui-ci fit à ses frais des cours publics à Paris et composa des livres remarquables (Guide du maréchal, 1766; Cours d'hippiatrique, 1772; Dictionnaire d'hippiatrique, 1775, cependant que le directeur d'Alfort, organisant et défendant son oeuvre, publiait presque coup sur coup un Traité d'extérieur et une Matière médicale (1765); une Anatomie (1766), un Traité de la ferrure (1769), un Traité des bandages (1770), et quantité d'autres travaux touchant à la vétérinaire ou à l'équitation. 

Bourgelat ne dota pas seulement la France de vétérinaires beaucoup plus capables, il attira, dès le début, des élèves du Danemark, de la Suisse, de la Suède, de la Prusse, de l'Autriche, de la Sardaigne, etc., qui s'en allèrent ensuite fonder autant d'écoles nouvelles à l'étranger. Pour la plupart, humbles fils de maréchaux et de guérisseurs, transfigurés par les études et la méthode scientifiques, ardents à combaître et à dissiper les erreurs, ils ont arraché leur art à l'ignorance et à la superstition, et, en restant fidèles aux enseignements du maître, sont parvenus à triompher peu à peu, souvent de la mauvaise foi, presque partout, de l'indifférence du plus grand nombre. Ainsi se sont créées successivement les écoles de Copenhague (1773), de Dresde (1774), de Vienne (1777), de Hanovre (1778), de Budapest (1786), de Berlin et de Munich (1790), de Londres et de Milan (1791), de Madrid (1793), de Bologne (1802), de Berne (1806), de Naples et de Pise (1815), de Zurich (1820), de Stuttgart, d'Utrecht et de Stockholm (1821), d'Édimbourg (1823), de Giesse (1828), de Lisbonne et de Bruxelles (1833), etc. (G. Barrier).

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