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Les transferts de matière
dans les étoiles doubles

Aperçu
Contrairement aux étoiles isolées qui au cours de leur évolution ne peuvent que perdre de la masse, sous l'effet du vent stellaire qui les vide progressivement d'une partie, voire de toute leur enveloppe, les composantes d'étoiles doubles peuvent aussi acquérir de la masse en provenance de leur compagnon. Ces transferts de masse se déroulent essentiellement quand l'une des étoiles a gonflé en géante rouge, et que son enveloppe dilatée passe sous l'emprise gravitationnelle de l'autre composante. Le phénomène pourra aussi s'inverser quand la seconde composante aura gonflé à son tour. Au total, puisque la masse d'une étoile définit les conditions de son équilibre interne et des processus qui se déroulent en son sein, les transferts de masse signifient que les étoiles binaires vont pouvoir évoluer de façon extrêmement complexe, selon le gain et la perte combinés de chacune des composantes.

Mise en ordre
La variété des phénomènes auxquels peuvent donner lieu les transferts de matière suggère de classer les systèmes binaires selon la manière dont leurs composantes remplissent leur lobe de Roche. Ainsi reconnaîtra-t-on trois types principaux d'étoiles doubles :
Les binaires détachées : aucune des deux étoiles n'emplit son lobe de Roche, il n'y a pas de transfert de matière. Tous les systèmes signalés dans le tableau au bas de cette page sont dans ce cas.

Les binaires semi-détachées : l'une des deux composantes remplit son lobe de Roche; elle transfère une partie de son enveloppe vers sa compagne. C'est le cas, par exemple d'Algol (Persée).

Les binaires en contact : les deux étoiles remplissent leurs lobes de Roche respectifs. Systèmes, à l'instar de Sheliak (Lyre) ou de W UMa (Grande Ourse), se dotent ainsi d'une enveloppe commune.
L'appartenance pour un système à tel ou tel groupe n'est pas définitive. Elle traduit simplement un stade particulier de son évolution.

Lorsqu'on se trouve bien en présence d'un couple dans lequel le transfert de matière à lieu, une partir de celle-ci peut se perdre dans l'espace et former une nébuleuse, comme dans les cas des étoiles symbiotiques. Des phénomènes impliquant de énergies élevées peuvent également être présents. On mentionnera en particulier les novae et les binaires X, auxquelles se rattachent également les microquasars :
Les étoiles symbiotiques
On appelle étoiles symbiotiques des systèmes binaires relativement écartées, constitués d'une géante rouge ordinaire (le plus souvent de type M et parfois des types G ou K) ou d'une Mira, et d'une étoile plus chaude (généralement une naine blanche, mais parfois aussi une étoile massive de la séquence principale, voire une étoile à neutrons), et dans lequel il existe un transfert de matière de la première à la seconde composante, par suite du vent stellaire. Les plus connus de ces astres sont Z Andromedae, R Aquarii et CH Cygni.
Les novae
Étymologiquement, le terme de nova désigne une étoile nouvelle (stella nova). En réalité, les novae correspondent à un brève étape, intervenant à la fin de l'existence de certaines étoiles initialement très peu lumineuses, et au cours de laquelle la luminosité de ses astres augmente brusquement. Leur luminosité peut alors en quelques heures seulement, et pendant quelques jours ou plusieurs semaines, devenir dix mille fois supérieure à celle du Soleil. La plupart du temps, la luminosité de l'étoile n'augmente que d'un facteur cent, et l'on parle plutôt dans ce cas de novae naines. Toujours est-il que c'est à cet instant qu'on les repère en général, et que l'on peut être tenté d'y voir, à l'instar des astronomes des siècles passés, des astres "nouveaux".

Selon toute vraisemblance, ces objets à quelque type qu'ils appartiennent, correspondent à des systèmes binaires, dont l'une des composantes est une naine blanche, astre compact dont le coeur s'est éteint, et l'autre composante une étoile plus jeune et froide, à l'enveloppe dilatée.

L'attraction gravitationnelle de la naine happe le gaz de sa compagne. La matière ainsi accaparée par la naine blanche ne tombe pas directement à sa surface. Elle s'enroule en spiralant au tour de l'étoile et finit par former un anneau, ou disque dit d'accrétion, dont la température est très élevée. Les transferts de matière d'une étoile vers l'autre et transitant par le disque d'accrétion sont à l'origine d'une grande variété des phénomènes explosifs, expliquant les brusques augmentations d'éclat.

Si l'explosion se révèle suffisamment puissante, elle n'affectera plus seulement les régions périphériques de la naine blanche. Elle la détruire complètement et l'on aura affaire à une supernova. Un déferlement d'énergie des milliers de fois plus puissant que celui rencontré dans les novae.


Anatomie d'un microquasar.
(CompositionImago Mundi,, d'après des éléments graphiques d'origines diverses).

Les binaires X et les microquasars
Les premières sources extrasolaires compactes de rayonnement X ont été découvertes en 1962. Quelques unes correspondaient, comme s'y attendaient les astronomes, à des étoiles massives très chaudes ou des étoiles à sursauts déjà connues. Mais la plupart, comprendra-t-on rapidement s'avéraient être des couples stellaires serrés, dont l'un des composantes était un astre compact. Cette nouvelle classe d'objets, appelés binaires X, constitue depuis l'un des chapitres les plus importants de l'astronomie des hautes énergies.

Les mécanismes à l'origine de l'émission du rayonnement X, souvent variable, peuvent être assez divers. Mais leur logique est presque toujours la même : on a affaire à un transfert de matière en provenance de l'enveloppe de l'étoile la moins évoluée du couple, en direction de l'étoile qui a déjà atteint son stade compact, c'est-à-dire essentiellement celui d'étoile à neutrons (voire, dans une poignée de cas, de trou noir), qui est le résultat attendu de l'effondrement du coeur d'une étoile massive après son explosion en supernova.

Le gaz transféré peut se déposer, principalement pour des raisons de moment angulaire, soit directement sur le compagnon compact, soit plus communément en ayant d'abord transité par un disque d'accrétion formé autour de cet astre. Dans tous les cas, l'accélération de la matière ainsi mise en mouvement (aussi bien dans le transfert que dans le disque) est telle qu'elle se trouve au final comprimée et chauffée à de très hautes températures, devenant par là source du rayonnement X observé.


Rouages

Comment s'effectue le transfert de masse?

Deux notions sont nécessaires à la compréhension du mécanisme de transfert de masse entre les deux composantes d'un système binaire : celle de lobe de Roche et celle de disque d'accrétion.

Le lobe de Roche
La notion de lobe de Roche, du nom d'Edouard Albert Roche qui l'a élaborée, repose en grande partie sur les travaux de Joseph Louis de Lagrange. Ce dernier, dans ces recherches de mécanique céleste, avait mis en évidence l'existence de points particuliers, dits points de Lagrange, situés dans le plan orbital d'un système composé de deux masses quelconques (deux planètes, aussi bien que deux étoiles, ou une étoile (le Soleil, par exemple), et une planète), autour desquels pourraient se maintenir en orbite stable un troisième corps de faible masse. L'un de ces points, baptisé L1, ou premier point de Lagrange, appartient à l'axe qui joint les deux astres principaux et se place au barycentre du système. Il correspond exactement au point où l'attraction gravitationnelle des deux objets s'équilibre. Édouard Roche, quand il s'est intéressé aux effets de l'attraction gravitationnelle cumulée de deux astres, a calculé pour sa part la forme des surfaces autour de chacun des astres (assimilés à des points) correspondant à un potentiel gravitationnel donné. Un point matériel de masse négligeable peut se déplacer une telle surface sans gain ou perte d'énergie. Autour d'une étoile isolée (ou d'un autre astre), ces surfaces équipotentielles seraient sphériques. Dans un système binaire, elles forment deux familles centrées sur chacun des astres et prennent une forme allongée, qui rappelle celle d'une poire. Il existe alors autour de chaque astre une surface spéciale, qui est celle qui est en contact au point L1 avec son homologue centré l'autre astre. On appelle cette critique la surface de Roche, et le volume qu'elle renferme, le lobe de Roche.

Dans le cas des étoiles doubles, le matériau de l'enveloppe d'une des composantes restera lié à cette étoile tant qu'il restera confiné à l'intérieur du lobe de Roche. Il s'en évadera, et pourra passer sous la coupe de l'autre étoile dès qu'il dépassera la surface critique. Situation que l'on s'attend à rencontrer, on l'a dit, au moment du gonflement en géante rouges, si les distances entre les deux composantes ne sont pas trop importantes.

Le disque d'accrétion
Dans ce cas de figure le point L1 forme une sorte de passerelle entre les deux étoiles. Le matériau circulant de l'une à passera par là. Le torrent de gaz ainsi canalisé, ne tombera pas directement sur l'autre étoile. La matière qui le constitue emporte en effet avec elle un certain moment angulaire (ou "quantité de rotation", si l'on veut). Le flux se projette donc sur la deuxième étoile plutôt en spiralant. La force centrifuge va alors se mêler de l'affaire. Il n'est pas obligatoire, mais possible, et sans doute dans la plupart des cas, qu'elle se montre suffisante pour stopper la chute sur l'astre attracteur d'une grande partie du gaz qui lui arrive. Il se forme ainsi un disque en rotation très rapide autour de l'étoile, et sur lequel vient s'accumuler le matériau venu de l'autre composante. Ce disque d'accumulation, ou disque d'accrétion, ne grandit pas indéfiniment. A cause de sa température élevée, les atomes qui le constituent sont ionisés, autrement dit chargés électriquement. Cela induit l'équivalent de frottements freinant les parties interne du disque, du fait de la vitesse plus lente de ses régions externes (c'est encore la troisième loi de Képler qui nous apprend qu'il en est ainsi!). D'une vitesse insuffisante pour se maintenir en orbite, le gaz des régions internes du disque finit donc par tomber et attendre sa destination finale. Un équilibre entre la matière qui arrive sur le disque et celle qui le quitte s'établit.

Le disque d'accrétion représente cependant un peu plus pour un système double qu'une simple plate-forme de transit. Et cela, en premier lieu, quand il est en orbite autour d'un astre très condensé (naine blanche, étoile à neutrons, trou noir). L'intensité importante du champ de gravitation démultipliant alors les phénomènes énergétiques dont le disque sera l'acteur.

Transferts de matière dans les doubles serrées Ainsi, le jet de gaz accéléré à des vitesses supersoniques, qui vient se fracasser à la surface de ce disque y crée un point chaud, capable éventuellement de donner lieu à de petites (petites à l'échelle stellaire!) explosions thermonucléaires. Ce qui pourrait expliquer le mécanisme à l'origine des novae naines. L'impact du jet est également à l'origine d'une onde de choc qui se propage sur toute le disque et ajoute à son échauffement. Celui-ci rayonnera dans le domaine ultraviolet et X selon la température atteinte. Comme le flux n'est pas nécessairement homogène et régulier des bouffées de luminosité (notamment en X) pourront s'observer épisodiquement. Enfin, le disque peut-être lui-même le siège d'instabilités qui le désintègrent partiellement où complètement de temps à autre. Il s'effondre alors sur son étoile et donne lieu à de nouveaux éclats, comme cela pourrait être le cas pour de nombreuses variables cataclysmiques. Le matériau tombé à partir du disque, dans ces conditions aussi bien que par un flux régulier, sur une naine blanche est également considéré à l'origine des explosions des novae et de certaines supernovae.

[Les géantes bleues]
[Les trous noirs]

Au fil du temps

Les contraintes de la vie à deux

L'abondance des étoiles doubles et multiples impose des conditions sévères aux théories sur la formation des étoiles. Ces dernières doivent être en mesure d'expliquer non seulement comment se fabrique une étoile, mais comment il se fait aussi que dans certains cas, les processus à l'oeuvre débouchent sur la formation d'une étoile isolée, alors que dans d'autres cas (selon des proportions bien définies), il naît plusieurs étoiles. Ceci dit, on ne peut plus songer à évacuer la difficulté en recourant aux anciennes idées qui envisageaient, par exemple, la formation des couples par un appariement accidentel et tardif de deux étoiles nées isolément. Les étoiles d'un système stellaire donné sont issues de la même matrice de gaz et de poussières. Celle-ci a dû se fragmenter de telle sorte qu'un, deux ou davantage de pôles de condensations sont apparus dans un espace à la fois assez restreint pour que l'attraction gravitationnelle assure une cohésion durable de l'ensemble, et assez étendu pour que se développent des naissances séparées. Une séparation, qui en l'occurrence signifie que chacune des étoiles d'un système composé peut espérer inscrire son évolution ultérieure dans le même schéma d'une étoile isolée. En tout cas, pendant un certain temps.
[La formation des étoiles]
On sait en effet que lorsque les étoiles, on terminé la conversion en hélium des noyaux d'hydroghydrogèneène contenus dans leurs régions centrales, elles gonflent ordinairement en géantes rouges. Un phase plus brève, correspondant, en profondeur, à la combustion de l'hélium. Si cette dilatation touche l'une des étoiles d'un système dont les composante sont très éloignées, il ne se passera rien de spécial. En revanche, si les deux étoiles sont suffisamment proches l'une de l'autre pour qu'à ce moment l'enveloppe de la composante dilatée passe sous la coup de l'attraction de sa compagne, un torrent de matière va se former entre les deux astres. L'un va perdre de la masse, l'autre en gagner. Les évolutions de l'un et de l'autre s'en trouveront désormais chamboulées. On ne pourra plus les considérer séparément. [L'évolution des étoiles]
Ordinairement, une géante rouge est un objet dont le rayon est analogue à celui de l'orbite terrestre. Il suffit donc, en principe, et ce n'est pas rare, que l'on ait affaire à un système binaire dont les composantes sont séparées d'une distance de cet ordre ou inférieure, pour assister à un transfert de masse. En pratique, même dans le cas de figure où l'on aurait affaire à des étoiles initialement un peu plus éloignées, la même situation pourra apparaître. Le stade de géante rouge correspond en effet, en tout état de cause, à un épisode de perte de masse importante, par vent stellaire. Le matériau expulsé pourra alors sans doute être en partie capturé par la compagne. Mais, surtout, on doit s'attendre à ce qu'il quitte définitivement le système, emportant avec lui une part notable son énergie et de son moment angulaire. Résultat (et c'est une conséquence de la loi de Newton), l'orbite des deux astres va se resserrer. Et peut-être au point de les placer ici encore le cas de figure précédent. Toujours est-il qu'un tel rapprochement tardif, doit être envisagé pour rendre compte convenablement des la situation de couples donnant lieu au phénomène de nova.

Comme l'évolution d'une étoile est d'autant plus rapide que celle-ci est initialement massive, c'est la plus grosse étoile d'un couple qui parvient la première au stade de géante rouge. Le transfert de matière s'effectue donc à partir d'elle. Un fraction non négligeable de gaz s'échappera dans ce cas aussi du système, entraînant ici encore une modification de ses caractéristiques orbitales, mais la plus grande partie du matériau servira bien à engrosser la compagne. Devenant ainsi plus massive, celle-ci accélère alors son évolution. Mais en même temps, cet apport de sang neuf, lui fournit aussi un moyen de rajeunissement. Une situation au apparences paradoxes et qui, de toute façon, ne saurait durer. Quand la seconde composante finit , en effet, par devenir logiquement la plus massive, le flux s'inverse. C'est elle désormais qui constitue la source de matière. Pendant quelques dizaines de milliers d'années (ce qui est excessivement bref à l'échelle du temps stellaire), un jeu d'échanges très complexe peut ainsi s'installer entre les deux partenaires. Les règles du jeu elles-même peuvent revêtir de nombreuses nuances selon le rapport des masses des deux composantes. Si, par exemple, ce rapport est proche de 1 (masses presque égales), elles parviennent à maturation et gonflent pratiquement en même temps, offrant aux astronomes, qui essaient de comprendre ce qui se produit alors, de nouveaux casse-têtes. En fait, chaque couple fournit sans doute un cas d'espèce.

Des études détaillées ont cependant permis de dégager les grandes lignes des principaux scénarios envisageables au terme de ces interactions. Si la primaire, c'est-à-dire, l'étoile initialement la plus massive, avait au départ une masse faible - disons au dessous de douze à quinze de masses solaires, alors que le seuil se situe plutôt entre 8 et 10 masses solaires pour une étoile isolée - son sort sera celui d'une naine blanche, comme par exemple dans le couple formé par Sirius A et B (Grand Chien). Si, en revanche, la primaire, était au départ une géante bleue très massive, elle finira par exploser en supernova, en ne laissant pour reliquat qu'une étoile à neutrons ou un trou noir. La perte de masse par vent stellaire à laquelle sont sujettes les étoiles très massives, indépendamment du transfert vers leur compagne, mais probablement amplifié par la présence de celle-ci, contribuant à accroître ici encore la diversité des situations que l'on observera, à resserrer les couples concernés et à amplifier l'interaction des deux composantes. [Les géantes bleues]
[Les trous noirs]
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