Paysage pyrénéen « Le cours du Valentin [un affluent du gave d'Ossau, dans les Pyrénées-Atlantiques] n'est qu'une longue chute à travers des rochers roulés. Le long de la promenade Eynard, pendant une demi-lieue, on l'entend gronder sous ses pieds. Au pont de Discoo, le sol lui manque : il tombe dans un demi-cirque, de gradins en gradins, en jets qui se croisent et qui heurtent leurs bouillons d'écume; puis, sous une arcade de roches et de pierres, il tournoie dans de profonds bassins dont il a poli les contours, et où l'émeraude grisâtre de ses eaux jette un doux reflet tranquille. Tout à coup, il saute de trente pieds, en trois masses sombres, et roule en poussière d'argent dans un entonnoir de verdure. Une fine rosée rejaillit sur le gazon qu'elle vivifie, et ses perles roulantes étincellent en glissant le long des feuilles. Nos prairies du Nord ne donnent point l'idée d'un tel éclat; il faut cette fraîcheur incessante et ce soleil de feu pour peindre cette robe végétale d'une si magnifique couleur. Sur la pente, je voyais s'allonger devant moi un grand pan boisé de montagne; le soleil de midi le frappait en face; la masse des rayons blancs perçait la voûte des arbres; les feuilles transparentes ou luisantes resplendissaient. Sur tout ce dos éclairé on ne distinguait pas une ombre; une chaude évaporation lumineuse le couvrait comme un voile blanc de femme. J'ai revu souvent, surtout vers le soir, cet étrange vêtement des montagnes; l'air bleuâtre enfermé dans les gorges devient visible; il s'épaissit, il emprisonne la lumière et la rend palpable. L'oeil pénètre avec volupté dans le blond réseau d'or qui enveloppe les croupes; il en sent la mollesse et la profondeur; les arêtes saillantes perdent leur dureté, les contours heurtés s'adoucissent : c'est le ciel qui descend et prête son voile pour couvrir la nudité des sauvages filles de la terre. » - Les pins dans la montagne « Les vrais habitants des montagnes sont les pins, arbres géométriques, parents des blocs ferrugineux qu'ont taillés les éruptions primitives. La végétation des plaines se déploie en formes ondoyantes, avec tous les gracieux caprices de la liberté et de la richesse, les pins au contraire semblent à peine vivants; leur tige se dresse en ligne perpendiculaire le long des roches; leurs branches horizontales partent du tronc à angles droits, égales comme les rayons d'un cercle, et l'arbre tout entier est un cône terminé par une aiguille nue. Les petites lames ternes qui servent de feuilles ont une teinte morne, sans transparence ni éclat; elles semblent ennemies de la lumière, elles ne la renvoient pas, elles ne la laissent pas passer, elles l'éteignent : à peine si le soleil de midi les frange d'un reflet bleuâtre. A dix pas, sous cette auréole, la pyramide noire tranche sur l'horizon comme une masse opaque. Ils se serrent en file sous leurs manteaux funèbres. Leurs forêts sont silencieuses comme des solitudes; le souffle du vent n'y fait point de bruit; il glisse sur la barbe roide des feuilles sans les remuer ni les froisser. On n'entend d'autre bruit que le chuchotement des cimes et le grésillement des petites lamelles jaunâtres qui tombent en pluie dès qu'on touche une branche. Le gazon est mort, le sol nu; on marche dans l'ombre sous une verdure inanimée entre des tiges pâles qui montent comme des cierges. Une senteur âpre emplit l'air, semblable au parfum des aromates. C'est l'impression que fait une cathédrale déserte, lorsque, après une cérémonie, l'odeur de l'encens flotte encore sous les arcades, et que le jour tombant dessine au loin dans l'obscurité la forêt des piliers. Ils vivent en famille et chassent de leur domaine les autres arbres. Souvent, dans une gorge dévastée, on les voit comme une draperie de deuil descendre entre les glaciers blancs. Ils aiment le froid, et l'hiver restent vêtus de neige. Le printemps ne les renouvelle pas; on voit seulement quelques lignes vertes courir sous le feuillage ; elles s'assombrissent bientôt comme le reste. Mais lorsque l'arbre sort d'un morceau de terre profond, et qu'il monte à cent pieds, lisse et droit comme le mât d'un navire, l'esprit suit d'un élan jusqu'à la cime l'essor de sa forme inflexible, et la colonne végétale semble aussi grandiose que le mont qui la nourrit. » (H. Taine, extraits du Voyage aux Pyrénées). |