| On appelle stance (de l'italien stanzza = repos) une suite de vers formant un tout rythmique. Il y a des stances irrégulières et des stances régulières : les premières sont composées d'un nombre indéterminé de vers, dont la longueur elle-même est variable et dont les rimes s'entremêlent capricieusement; dans les secondes, au contraire, les vers, en nombre défini et de longueur déterminée, se suivent dans un ordre fixe. Dans l'ode, les stances sont appelées strophes et dans la chanson couplets. On conçoit qu'il puisse exister une très grande variété de stances, puisque trois éléments interviennent qui peuvent les diversifier à l'infini : le nombre des vers, le genre des mètres et l'agencement des rimes. Les poètes français du XVIe siècle avaient imaginé un grand nombre de combinaisons; avec Malherbe et pendant toute la période classique, le nombre des types de stances a été, au contraire, fort réduit; puis le romantisme est venu, qui a ressuscité quelques-unes des combinaisons oubliées; et, de nos jours, des poètes ont même tenté des combinaisons nouvelles. D'une façon générale, les stances les plus usitées ont toujours été celles de quatre, six, huit ou dix vers, c.-à-d. les quatrains, sixains, huitains et dizains; les vers les plus fréquemment employés dans les stances sont : l'alexandrin, le vers de six syllabes et celui de huit; quant aux rimes, elles sont souvent des rimes croisées et plus souvent encore des rimes embrassantes. - Stances de Maynard à son fils « Dis-moi, mon fils, quand feras-tu L'amour aux filles de Mémoire, Et quand verrai-je ta vertu Dans les premiers jours de sa gloire? II te faut hanter ces grands morts Dont les esprits sont les fontaines Où l'on va puiser les trésors Qui naissent de Rome et d'Athènes. Ménage tes nuits et tes jours, Honore le nom que tu portes, Et fais dans tes savants discours Vivre ces républiques mortes. Dérobe le somme à tes yeux, Pour les attacher sur un livre; Le mérite de tes aïeux Te sollicite de les suivre. Pour moi, qui suis vu d'assez loin Sur un des sommets du Parnasse, J'ai donné mon temps et mon soin A l'art qui ment de bonne grâce. Mes vers font souvent l'entretien Des cabinets et des ruelles, Et les esprits comme le tien En doivent faire leurs modèles. Mais tu refuses d'être heureux, Et ton jeune orgueil me découvre Que tu seras moins désireux D'être du Palais que du Louvre. Je déplore ta vanité, Et ne puis souffrir que tu donnes Tes beaux ans et ta liberté A ceux qui portent les couronnes. Toutes les pompeuses maisons Des princes les plus adorables Ne sont que de belles prisons Pleines d'illustres misérables. Puisses-tu connaître le prix Des paroles que te débite Un courtisan aux cheveux gris, Que la raison a fait ermite. » (F. Maynard). | Les règles, auxquelles les stances sont soumises, sont assez peu nombreuses. La principale est que le sens doit finir avec la stance; mais il arrive parfois cependant que le sens reste suspendu à la fin d'une stance ou, si l'on aime mieux, que le développement de l'idée d'une stance se prolonge dans la stance suivante; des enjambements de cette sorte produisent quelquefois de très beaux effets, comme dans ces vers de Chénier : Et de ces grands tombeaux, la belle Liberté Sort Altière, étincelante, armée, Sort... Les autres règles, qui méritent d'être signalées, sont les suivantes : 1° à la fin d'une stance et au commencement de la stance qui suit ne doivent pas se trouver des rimes de même nature; 2° dans une même stance, il faut s'abstenir autant que possible des rimes plates; 3° à l'intérieur des stances qui dépassent quatre vers, l'habitude s'est introduite d'exiger un ou plusieurs repos : après le troisième vers dans le sixain, après le quatrième dans le huitain, après le quatrième et le septième dans le dizain. Cette dernière règle, imposée par Malherbe, devenu, pour un jour, l'imitateur de son élève Maynard, n'aurait sa raison d'être que si les stances étaient encore chantées, comme elles le furent primitivement. Pour les autres, elles partent de ce principe que la stance doit constituer un tout indépendant : dans une stance à rimes plates, rien, en effet, ne marquerait la fin ; et deux stances, dont le dernier vers de l'une et le premier vers de l'autre auraient une rime analogue, risqueraient de se confondre. C'est précisément pour donner à la stance encore pins d'autonomie que les poètes, très souvent, la terminent par un vers plus court ou plus long que les autres et quelquefois même par un vers qu'ils répètent à la façon d'un refrain. Dans le choix des stances à employer, les poètes ne sont pas uniquement guidés par des raisons d'harmonie extérieure; d'instinct, ils choisissent, entre plusieurs sortes de stances également possibles, celle qui convient le mieux à l'idée et au sentiment qu'ils veulent exprimer. On comprend en effet que, par exemple, les stances dont les vers sont courts, et peu nombreux conviendront de préférence aux sujets légers, et celles dont les vers sont plus longs et plus nombreux aux sujets plus graves. Dans une même stance, le mélange des mètres pourra produire des effets très particuliers : c'est ainsi que, dans les stances de Malherbe à Duperrier sur la mort de sa fille, le petit vers qui suit régulièrement l'alexandrin peint très bien l'abattement de la douleur, ou que, dans les stances de Polyeucte, la succession des cinq alexandrins et des cinq octosyllabes rend le balancement même des sentiments qui vont et viennent dans l'âme du personnage. Enfin, dans une même pièce de vers, les poètes emploient souvent plusieurs stances de nature différente pour marquer le passage d'un ordre d'idées à un autre : ainsi Lamartine, dans le Lac, change de quatrain quand il passe du récit au discours; il emploie, pour peindre le calme de la nature, une stance plus ample, et pour peindre le trouble de l'âme, une stance plus heurtée. C'est de cette manière que par une adaptation intelligente des formes métriques aux sentiments à exprimer les poètes ajoutent encore à la puissance du vers. (M. Braunschvig). | |