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Les Rougon-Macquart
romans d'Emile Zola
Les Rougon-Macquart sont une série de vingt romans d'Emile Zola, dans lesquels l'auteur raconte « l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire ». Ils parurent de 1871 à 1893. En voici les titres, dans l'ordre chronologique : 
La Fortune des Rougon (1871). - Ce roman a pour scène Plassans, une sous-préfecture du Midi. Le sujet propre en est comment les Rougon, petits commerçants retirés avec des rentes modiques, parviennent à fonder leur fortune sur le coup d'Etat de 1851. Zola y peint les moeurs bourgeoises de la petite ville, et ce roman est sans doute un de ceux qui, entre les vingt volumes de la série, méritent le mieux l'épithète de naturaliste par la vérité des tableaux. Un épisode gracieux et tragique, l'idylle de Silvère et de Miette, se mêle à l'histoire des Rougon. Cet épisode se termine par la mort des deux jeunes gens; Miette est tuée dans une fusillade, et un gendarme casse la tête à Silvère. Ainsi, le volume forme de lui-même un tout. Mais certains personnages n'y sont qu'esquissés, et quelques-uns, qui joueront dans la suite un rôle considérable, Eugène Rougon, par exemple, restent à la cantonade. Il ne faut pas, bien entendu, apprécier la Fortune des Rougon comme un roman isolé. La préface nous explique déjà le vaste plan que l'auteur a conçu. Il s'agit de faire l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire,et, comme dit Zola, le vrai titre de ce premier tome, son titre scientifique, devrait être : les Origines.

La Curée (1872). - Aristide Rougon, dit Saccard, a quitté Plassans au lendemain du 2-Décembre pour s'abattre sur Paris, avec ce flair des oiseaux de proie, qui sentent de loin les champs de bataille. Pourvu, grâce à son frère Eugène, le futur ministre, d'un emploi à l'Hôtel de Ville, il surprend le vaste plan des démolitions et des reconstructions, qui vont transformer la capitale. Son mariage avec Mlle Renée Héraud du Châtel, jeune personne « avec tache », lui met en main un capital; et, dès lors, il se lance dans l'agio formidable, qui, aux quatre coins de la ville, allume la bataille des intérêts et la fièvre des jouissances. C'est cette frénésie de spéculation, cette « curée » universelle qui fait le sujet du volume. A l'étude sociale se joint un drame domestique : les amours incestueuses de Renée avec le fils de Saccard, Maxime, petit jeune homme fluet et joli, dont la mièvrerie vicieuse est bien faite pour exciter les sens d'une détraquée. Nulle part Zola ne s'est montré plus habile « psychologue » que dans cette peinture. On peut regretter, pourtant, que la partie romanesque empiète trop souvent sur l'étude. Mais elle y est étroitement liée, et le livre, dans son ensemble, nous laisse une forte impression de la société contemporaine, livrée tout entière aux appétits deo la cupidité et du luxe.

Le Ventre de Paris (1873). - Déporté en NouveIle-Calédonie en vertu de la loi de sûreté générale, un pauvre diable, Florent, parvient à s'évader et à et à retourner en France; il es ramassé, mourant d'inanition, sur l'avenue de la Grande-Armée à Paris par des maraîchers qui passent, et, amené aux Halles, il retrouve son frère, Quenu-Gradelle, le gross et gras charcutier, qui le recueille. Mais, politicien enragé, il conspire avec les ennemis du gouvernement. Avant sa condamnation, Florent eut une liaison avec la fille de la mère Méhudin, marchande de marée. Celle-ci, craignant qu'il ne renoue, car elle ne veut pas de lui pour gendre, Ie dénonce à la police; et ainsi se termine, le livre. Ce mince sujet, comme on le voit, ne saurait être pour Zola qu'une sorte de prétexte. Aussi les deux tiers du volume se passent-ils en descriptions. Ce que Zola nomme le ventre de Paris, sont, par une métaphore assez bizarre, les Halles centrales, dont les divers pavillons, marée, beurres, fromages, volailles, lui fournissent maints tableaux dans lesquels triomphe sa rhétorique copieuse et truculente.

La Conquête de Plassans (1874). -  Il s'agit, après le coup d'Etat, de convertir à la politique du président les habitants de Plassans, sous-préfecture du Midi. L'abbé Faujas, envoyé de Paris pour cette mission, est un prêtre ambitieux, sec et âpre. Son humeur impérieuse, l'ascendant de sa parole, ses procédés sournois ou violents, ont bientôt fait de soumettre tout ce qui compte dans la ville. Une de ses paroissiennes, Marthe Mouret, le poursuit d'un amour qu'il met à contribution pour réaliser ses desseins, et qu'il rejette avec un mépris brutal loisqu'elle lui est devenue inutile. Mais le mari de Marthe, enfermé comme fou par le prêtre, s'échappe de son cabanon, et, pour se venger de celui qui lui a enlevé sa femme, ses enfants, sa raison même, met le feu à sa propre maison, dans laquelle habite l'abbé Faujas. Malgré quelques exagérations, la Conquête de Plassans est, parmi les vingt volumes des Rougon-Macquart, un des plus vraiment réalistes, au meilleur sens du mot. Certains personnages y sont peints avec une exactitude tout à fait caractéristique : le sous-préfet par exemple, et le président du tribunal, et encore le juge Patoque. Plusieurs tableaux, notamment la mort de Marthe Mouret et l'incendie, sont d'un saisissant relief.

La Faute de l'abbé Mouret (1875). - On a ici un livre étrange et touffu, où la botanique se mêle à la liturgie. On voit un prêtre, Serge Mouret, s'éprendre d'une petite sauvagesse, Albine, sous les arbres d'un paradis moderne et fantastique, le Paradou. Il y a tout un poème adamique dans ce livre prestigieux, qui semble par moments inspiré par un jardinier, en d'autres, par Milton. C'est une propriété de la campagne d'Aix, visitée dans sa jeunesse, que Zola a décrite sous le nom patoisé de Paradou. Toutes les parties techniques de ce livre sont très soignées, très vérifiées. Zola, pour les nomenclatures horticoles, s'était procuré le catalogue de Lencézeure et, pour les descriptions rituéliques, car la messe tient une place aussi considérable dans l'ouvrage que l'énumération florale, il ne manquait pas de suivre, le paroissien d'une main, le crayon de l'autre, les offices à Sain te-Marie-des-Batignolles. Le digne abbé Porte, curé de la paroisse, avait en lui un fidèle, jusque-là ignoré, qui donnait un exemple fort édifiant. On parlait même de lui-offrir une place au banc d'oeuvre, songez donc! un homme de lettres connu, et passant pour incrédule, qui revenait au Seigneur! Un jour, l'assidu et pieux chrétien ne reparut plus à l'église : la Faute de l'abbé Mouret était terminée, et, vaguement, la pensée de Zola se tournait vers les cabarets où Coupeau l'attirait.

Son Excellence Eugène Rougon (1876).  -  Eugène Rougon, que nous y retrouvons au début vice-président du conseil d'Etat, tombe en disgrâce, et se trouve réduit à donner sa démission. Devenu bientôt ministre de l'intérieur, après l'attentat d'Orsini, il applique avec une poigne de fer cette loi de sûreté générale qui fit régner la terreur. Une fois la crise passée, on l'accuse de rendre le gouvernement impopulaire par des rigueurs excessives. L'empereur, que circonvient son entourage, le congédie. Trois ans plus tard, c'est lui pourtant, l'ancien ministre de la répression à outrance, qui est chargé de soutenir devant les Chambres la nouvelle politique, et nous l'entendons, dans le dernier chapitre, prononcer au Corps législatif un discours où il expose, acclamé pie toutes parts, le programme de l'empire libéral. Zola a fortement rendu ce type d'ambitieux à la puissante carrure. Mais la plus grande partie du livre se passe en scènes de moeurs; elles nous peignent la cour impériale, la haute société de l'époque, et surtout les intrigues et les menées de la bande d'aventuriers que traîne à sa suite Eugène Rougon.

L'Assommoir (1877). -  Il s'en faut que tout le roman se passe dans le débit de vins et, de liqueurs tenu par le père Colombe, débit qui donne son titre au livre; mais cet assommoir n'en est pas moins le centre de l'action. C'est lui qui est la cause de l'abrutissement progressif de Coupeau, le principal personnage, et c'est là que l'on fait connaissance avec les types significatifs de Mes-Bottes, Gueule-d'Or, Bibi-la-Grillade, et autres. Le vrai titre du roman serait : Histoire de la blanchisseuse Gervaise, de son premier amant Lantier et de son mari Coupeau. Gervaise, dès sa plus tendre jeunesse, a eu pour amant Lantier, le chapelier, et elle a de lui deux enfants, Claude et Etienne. Lantier et Gervaise viennent à Paris avec un peu d'argent, qui devait leur servir à monter une boutique de chapellerie; mais Lantier est paresseux et aime à s'amuser : l'argent est bientôt dépensé. De plus, le chapelier a fait dans une guinguette la connaissance d'une autre femme pour laquelle il quitte Gervaise, après avoir obligé cette dernière à engager au mont-de-piété tout ce qu'elle avait. Gervaise travaille courageusement de son état de blanchisseuse, pour nourrir et pour élever ses enfants. Un ouvrier zingueur, nommé Coupeau, séduit : par sa gentillesse, lui propose de l'épouser. Elle résiste d'abord, mais elle cède enfin et devient Mme Coupeau. Laborieux l'un et l'autre, ils parviennent à amasser 600 francs, qu'ils placent peu à peu à la caisse d'épargne. Malheureusement, Coupeau, qui travaille souvent sur les toits, fait une chute terrible; Gervaise dépense à le soigner chez elle toutes les économies du ménage, et, quand il est rétabli, il a perdu le goût du travail à mesure que sa femme gagne un peu d'argent, Coupeau le boit. Lantier, alors, revient en scène; c'est Coupeau lui-même qui l'amène près de sa femme et qui force celle-ci à le recevoir. Un soir que Coupeau est rapporté ivre, Gervaise renoue avec son ancien amant, et la fatalité l'enfonce chaque jour davantage dans une misère dégradante, pendant que Coupeau meurt du delirium tremens (extrait ci-dessous). L'Assommoir est la satire de l'ouvrier parisien, comme Germinal sera l'épopée du mineur du nord. Cet ouvrage a fait beaucoup de bruit. La crudité des détails et du langage y est souvent poussée très loin; mais il y a dans ce livre une intensité d'observation, une sincérité qui le classent parmi les oeuvres maîtresses du romancier. - Du roman d'Emile Zola, Busnach et Octave Gastineau ont tiré un drame en cinq actes. (Ambigu, 1879.)
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Extrait de l'Assommoir

« Ce jour-là, à Sainte-Anne, le corridor tremblait des coups de talon de Coupeau. Gervaise tenait encore la rampe de l'escalier, qu'elle l'entendit hurler : « En v'là des punaises!.. Rappliquez un peu par ici, que je vous désosse!... Ah! ils veulent m'escoffier, ah! les punaises !... Je suis plus rupin que vous tous!... »

Un instant elle souffla devant la porte. Il se battait donc avec
une armée! Quand elle entra, ça croissait et ça embellissait. Coupeau était fou furieux, un échappé de Charenton! Il se démenait au milieu de la cellule, envoyant les mains partout, sur lui, sur les murs, par terre, culbutant, tapant dans le vide; et il voulait ouvrir la fenêtre, et il se cachait, se défendait, appelait, répondait tout seul pour faire ce sabbat, l'air exaspéré d'un homme cauchemardé par une floppée de monde. Puis Gervaise comprit qu'il s'imaginait être sur un toit, en train de poser des plaques de zinc. Il faisait le soufflet avec sa bouche, il remuait des fers dans le réchaud, se mettait à genoux, pour passer le pouce sur les rebords du paillasson, en croyant qu'il le soudait. Oui, son métier lui revenait au moment de crever, et, s'il se crochait sur son toit, c'était que des mufles l'empêchaient d'exécuter son travail. Sur tous les toits voisins, il y avait de la fripouille qui le mécanisait. Avec ça, ces blagueurs lui lançaient des rats dans les jambes. Ah! les sales bêtes, il les voyait toujours! Il avait beau les écraser, en frottant son pied sur le sol de toutes ses forces, il en passait de nouvelles ribambelles, le toit en était noir. Est-ce qu'il n'y avait pas des araignées aussi! Il serrait rudement son pantalon pour tuer contre sa cuisse de grosses araignées qui s'étaient fourrées là. Sacré tonnerre! il ne finirait jamais sa journée, on voulait le perdre, son patron allait l'envoyer à Mazas. Alors, en se dépêchant, il crut qu'il avait une machine à vapeur dans le ventre; la bouche grande ouverte, il soufflait de la fumée, une fumée épaisse qui emplissait la cellule et qui sortait par la fenêtre; et, penché, soufflant toujours, il regardait dehors le ruban de fumée se dérouler, monter dans le ciel, où il cachait le soleil.

« Tiens!1 cria-t-il, c'est la bande de la chaussée Clignancourt, déguisée en ours, avec des flafla... » Il restait accroupi devant la fenêtre, comme s'il avait suivi un cortège dans la rue, au haut d'une toiture.

« V'là la cavalcade, des lions et des panthères qui font des grimaces... Il y a des mêmes habillés en chiens et en chats... Il y a la grande Clémence avec sa tignasse pleine de plumes. Ah! sacrédié, elle fait la culbute!... Dis donc, ma biche, il faut nous carapatter. Eh! bougres de roussins, voulez-vous bien ne pas la prendre! Ne tirez pas, tonnerre! Ne tirez pas... »

Sa voix montait, rauque, épouvantée, et il se baissait vivement, répétant que la rousse et les pantalons rouges étaient en bas, des hommes qui le visaient avec des fusils. Dans le mur, il voyait le canon d'un pistolet braqué sur sa poitrine. On venait lui reprendre la fille.

« Ne tirez pas! Ne tirez pas... »

Puis les maisons s'effondraient, il imitait le craquement d'un quartier qui croule; et tout disparaissait, tout s'envolait. Mais il n'avait pas le temps de souffler, d'autres tableaux passaient avec une mobilité extraordinaire. Un besoin furieux de parler lui emplissait la bouche de mots qu'il lâchait sans suite, avec un barbotement de la gorge. Il haussait toujours la voix.

« Tiens, c'est toi; bonjour!... Pas de blague! ne me fais pas manger tes cheveux. »

Et il passait la main devant son visage, il soufflait pour écarter des poils. L'interne l'interrogea.

« Qui voyez-vous donc?

- Ma femme, pardi. . »

Il regardait le mur, tournant le dos à Gervaise. Celle-ci eut un joli trac, et elle examina aussi le mur, pour voir si elle ne s'apercevait pas. Lui, continuait de causer.

« Tu sais, ne m'embobine pas... Je ne veux pas qu'on m'attache... Fichtre! te voilà belle, t'as une toilette chic. Où as-tu gagné ça! C'est encore lui!... »

D'un saut terrible, il alla se heurter la tête contre la muraille; mais la tenture rembourrée amortit le coup. On entendit
seulement le rebondissement de son corps sur le paillasson, où la secousse l'avait jeté.

« Qui voyez-vous donc? répéta l'interne.

- Le chapelier! le chapelier! » hurlait Coupeau. Et, l'interne ayant interrogé Gervaise, celle-ci bégaya sans pouvoir répondre, car cette scène remuait en elle tous les embêtements de sa vie. Le zingueur allongeait les poings. « A nous deux, mon cadet! Faut que je te nettoie à la fin! Ah! tu viens tout de go, avec cette drogue au bras, pour te ficher de moi en public. Eh bien! je vas t'estrangouiller, oui, oui, moi! et sans mettre des gants encore!... Ne fais pas le fendant... Empoche ça. Et atout! atout ! atout! »

Il lançait ses poings dans le vide. Alors une fureur s'empara de lui. Ayant rencontré le mur en reculant, il crut qu'on l'attaquait par derrière. Il se retourna, s'acharna sur la tenture. Il bondissait, sautait d'un coin à un autre, tapait du ventre... d'une épaule, roulait, se relevait. Ses os mollissaient, ses chairs avaient un bruit d'étoupes mouillées. Et il accompagnait ce joli jeu de menaces atroces, de cris gutturaux et sauvages. Cependant la bataille devait mal tourner pour lui, car sa respiration devenait courte, ses yeux sortaient de leurs orbites; et il semblait peu à peu pris d'une lâcheté d'enfant.

« A l'assassin! à l'assassin!... Il faut qu'elle y passe, c'est décidé... Ah! le brigand, il la massacre! Il lui coupe une quille avec son couteau. L'autre quille est par terre, le ventre est en deux, c'est plein de sang... Oh! mon Dieu! oh! mon Dieu, oh! mon Dieu. » Et, baigné de sueur, les cheveux dressés sur le front, effrayant, il s'en alla à reculons, en agitant violemment les bras, comme pour repousser l'abominable scène. Il jeta deux plaintes déchirantes, il s'étala à la renverse sur le matelas, dans lequel ses talons s'étaient empêtrés. « Monsieur, monsieur, il est mort ! » dit Gervaise, les mains jointes.

L'interne s'était avancé, tirant Coupeau au milieu du matelas. Non, il n'était pas mort. On l'avait déchaussé, ses pieds nus passaient, au bout; et ils dansaient tout seuls, l'un à côté de l'autre, en mesure, d'une petite danse pressée et régulière.

Justement le médecin entra. Il amenait deux collègues, un maigre et un gras, décorés comme lui. Tous les trois se penchèrent sans rien dire, regardant l'homme partout; puis rapidement, à demi-voix, ils causèrent. Ils avaient découvert l'homme des cuisses aux épaules. Gervaise voyait, en se haussant... Eh bien! c'était complet, le tremblement était descendu des bras et monté des jambes, le tronc lui-même entrait en gaieté, à cette heure! Positivement le polichinelle rigolait aussi du ventre. C'étaient des risettes le long des côtes, un essoufflement... Et tout marchait, il n'y avait pas à dire! les muscles se faisaient vis-à-vis, la peau vibrait comme un tambour, les poils valsaient en se saluant. Enfin ça devait être le grand branle-bas, comme qui dirait le galop de la fin, quand le jour paraît et que tous les danseurs se tiennent par la patte en tapant du talon.

« Il dort », murmura le médecin en chef. Et il fit remarquer la figure de l'homme aux deux autres. Coupeau, les paupières closes, avait de petites secousses nerveuses qui lui tiraient toute la face. Il était plus affreux encore, ainsi écrasé, la mâchoire saillante, avec le masque déformé d'un mort qui aurait eu des cauchemars. Mais les médecins, ayant aperçu les pieds, vinrent mettre leur nez dessus, d'un air de profond intérêt. Les pieds dansaient toujours. Coupeau avait beau dormir, les pieds dansaient. Oh! leur patron pouvait ronfler, ça ne les regardait pas, ils continuaient leur train-train, sans se presser ni se ralentir. De vrais pieds mécaniques, des pieds qui prenaient leur plaisir où ils le trouvaient.

Pourtant Gervaise, ayant vu les médecins poser leurs mains sur le torse de son homme, voulut le tâter, elle aussi. Elle s'approcha doucement, lui appliqua sa main sur une épaule. Et elle la laissa une minute. Mon Dieu! qu'est-ce qui se passait donc là-dedans? Ça dansait jusqu'au fond de la viande : les os eux-mêmes devaient sauter. Des frémissements, des ondulations arrivaient de loin, coulaient pareils à une rivière sous la peau. Quand elle appuyait un peu, elle sentait les cris de souffrance de la moelle. A l'oeil nu, on voyait seulement les petites ondes creusant des fossettes, comme à la surface d'un tourbillon; mais dans l'intérieur il devait y avoir un joli ravage. Quel sacré travail! un travail de taupe! C'était le vitriol de l'Assommoir qui donnait là-bas des coups de pioche. Le corps entier en était saucé, et dame! il fallait que ce travail s'achevât, émiettant, emportant Coupeau, dans le tremblement général et continu de toute la carcasse. Les médecins s'en étaient allés. Au bout d'une heure, Gervaise, restée avec l'interne, répéta à voix basse :

« Monsieur, monsieur, il est mort... »

Mais l'interne, qui regardait les pieds, dit non de la tête. Les pieds nus, hors du lit, dansaient toujours. Ils n'étaient guère propres, et ils avaient les ongles longs. Des heures encore passèrent. Tout d'un coup, ils se raidirent, immobiles. Alors, l'interne se tourne vers Gervaise, en disant : « Ca y est. »

(E. Zola).

Une Page d'Amour (1878). - C'est l'histoire de deux êtres, un homme et une femme, que la maladie d'un enfant réunit. Ils s'aiment. Longtemps, ils hésitent à reconnaître eux-mêmes cet amour. Enfin, l'aveu éclate. La maladie de l'enfant, qui avait réuni les amants, les isole, et sa mort les sépare à jamais. L'homme retourne à sa compagne légale, au foyer conjugal, aux affaires et à la banalité écoeurante de la vie de tous les jours, la femme se jette, comme en un port, en les bras d'un ancien notaire, amoureux en cheveux gris, qui se trouve être un honnête homme. Les deux couples peuvent encore être heureux. L'enfant pourrit sous la terre grasse du cimetière.

Nana (1880). - Nana a pour père l'alcoolique Coupeau et pour mère la blanchisseuse Gervaise, , personnages principaux de l'Assommoir. Admirablement belle et de chair superbe, ainsi qu'une plante poussée en plein fumier, Nana, entretenue d'abord par un banquier véreux, se met avec un comédien, qui la rosse et finit par la lâcher. Alors, elle se décide à faire dûment son métier de courtisane, à ruiner tour à tour ceux qui l'aiment : le comte Muffat, chambellan de l'empereur; l'élégant Vandoeuvres; La Faloise, viveur niais et prétention; le capitaine-trésorier Hugon, qui, pour elle, puise dans la caisse du régiment; le petit Georges Hugon, frère du capitaine, qui se tue de désespoir. Et, de toutes les fortunes qui passent entre ses doigts, rien ne lui reste. C'est dans une chambre d'hôtel qu'elle meurt, horriblement. - Nana est une oeuvre brutale, mais puissante, où triomphe le naturalisme de Zola. On peut regretter certaines obscénités. sans oublier la portée du livre. Zola nous représente Nana comme vengeant le peuple sur l'aristocratie. Lui-même l'appelle un ferment de destruction, un instrument de décomposition sociale, "une force de la nature". Il a fait d'elle une figure symbolique, celle de la femelle, en essayant de relever l'obscénité de cette conception par quelque chose d'inconscient et de fatal.

Pot-Bouille (1882). - Le bel Octave Mouret, provincial débarqué à Paris pour "arriver par les femmes", loue une chambre dans la maison de Campardon, architecte diocésain. Dans cette "maison bourgeoise", se passe tout le roman. C'est la bourgeoisie que veut peindre l'auteur de Pot-Bouille, comme il avait écrit l'Assommoir pour peindre les ouvriers. Et il ne la peint pas avec plus d'indulgence. Vabre, le locataire du premier, est un vieux filou qui ruine ses enfants en jouant à la Bourse, tandis que son gendre, Duveyrier, conseiller à la cour, se fait gruger par une maîtresse et frustre ses beaux-frères de l'héritage paternel. Les llocataires du quatrième, les Josserand, marient une de leurs filles à un fils de Vabre en usant de procédés qui sentent l'escroquerie. Campardon installe sa maîtresse chez sa femme. On ne peut signaler ici toutes les horreurs que cache cette maison d'apparence respectable, avec son escalier imposant et austère. L'escalier a pour contre-partie une petite cour, où l'on entend continuellement les bonnes s'injurier d'étage à étage et déblatérer sur leurs maîtres. L'une d'elles dit le mot de la fin à une de ses compagnes, qui, dégoûtée, veut quitter la maison : " Celle-ci ou celle-la, toutes les baraques se ressemblent ". On retrouve dans Pot-Bouille le relief que Zola donne à ses peintures.

Au bonheur des Dames (1883). - Denise Baudu vient à Paris gagner son pain. Ayant plu à Octave Mouret, patron du Bonheur des Dames, le grand magasin de nouveautés, elle entre dans ce magasin comme vendeuse. Une méprise bête et méchante d'un inspecteur repoussé par elle la fait renvoyer. Plus tard, Octave rencontre la jeune fille aux Tuileries, et de nouveau subit son charme. Réintégrant le magasin, elle y devient seconde, puis première. Octave souhaiterait ardemment qu'elle devint aussi sa maîtresse. Mais Denise, par amour de la vie paisible, lui oppose une calme résistance, dénuée de calcul, qui obtient toutefois des résultats supérieurs à ceux de la plus raffinée coquetterie : le richissime négociant l'épouse. Et la maison, de ce jour, possède un bon génie qui améliore la vie des employés, fait leur sort moins précaire. Cette simple histoire d'amour sert de prétexte à l'auteur pour sculpter de nombreuses et curieuses figures, celles des petits commerçants que dévore le magasin-monstre : l'oncle Baudu, qui voit mourir de désespoir sa fille et sa femme; le vieux Bourras, marchand de parapluies, charitable et entêté jusqu'à la folie; Robineau, qui se jette sous les roues d'un omnibus; etc. Elle encadre surtout une magistrale étude du magasin lui-même. Gigantesque pieuvre d'étoffes précieuses, le Bonheur des dames, sur un océan de tentations dont les blanches lingeries crêtent les vagues, étend ses tentacules destinés à happer les femmes, à l'aspirer jusqu'au dernier centime. L'oeuvre est d'une puissance descriptive saisissante.

La Joie de vivre (1884). - Ce roman oppose l'un à l'autre deux personnages principaux : Pauline et Lazare. Créature saine et vaillante, bien équilibrée d'esprit comme de tempérament, Pauline symbolise l'amour de la vie. Lazare, nature mobile, inquiète, prompte à l'enthousiasme et au découragement, finit, après avoir gâché sa jeunesse, par sombrer clans un désespoir incurable, La peur de la mort lui fait haïr la vie. Il traîne une misérable existence de maniaque, et ni l'ambition ni l'amour ne peuvent le délivrer de l'idée fixe qui hâte la décomposition de son être. Peut-être l'auteur voulut-il représenter en Lazare le pessimisme de la jeunesse de son temps. Mais la signification même de l'oeuvre n'a rien de pessimiste. Quand, sur la fin, Lazare dit de son fils, le petit Paul : " Ses nerfs sont plus détraqués que les miens... C'est la loi des dégénérescences. - Veux-tu te taire! s'écrie Pauline; je l'élèverai, et tu verras si j'en fais un homme!"

Germinal (1885). - L'auteur  y trace le tableau de la vie des mineurs : il nous dépeint leur rude labeur dans les étroites failles de minerai, leurs souffrances, leurs vices, leurs colères, et aussi leurs amours et les rares plaisirs que le sort leur procure. A cette existence pénible le romancier oppose la dureté des patrons, leurs misères morales et physiques. Etienne Lantier, ouvrier parisien, renvoyé de son atelier pour ses opinions socialistes, finit par trouver du travail aux mines de Montsou. Comme il est plus instruit que les autres mineurs, il prend vite sur eux un grand ascendant. Une grève s'étant produite, Lantier devient chef du mouvement. Il prêche la modération, mais la faim affole les misérables; les fosses sont dévastées, les machines brisées, la direction assiégée, un homme, l'usurier Maigrat, assassiné et affreusement mutilé. La fusillade calme seule la foule déchaînée... Des innocents massacrés, un peu plus de haine, de misère et de faim qu'auparavant. Le travail est repris avec une morne résignation; mais un nihiliste russe, Souvarine, fait sauter la mine et l'engloutit. Lantier, qui a vu mourir Catherine, la jeune herscheuse qu'il aimait, reprend son bâton et quitte ce pays désolé. C'est le mois de mai; Lantier rêve au germinal qui verra fleurir un jour pour tous les hommes le droit à la vie et au bonheur. - Malgré la crudité de certains détails et la luxuriance parfois excessive du style, ce roman reste une
des oeuvres les plus fortes de Zola.
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Extrait de Germinal

«  Maintenant, il entendait les moulineurs pousser les trains sur sur les tréteaux, il distinguait des ombres vivantes culbutant les berlines, près de chaque feu.

- Bonjour, dit-il en s’approchant d’une des corbeilles.

Tournant le dos au brasier, le charretier était debout, un vieillard vêtu d’un tricot de laine violette, coiffé d’une casquette en poil de lapin?; pendant que son cheval, un gros cheval jaune, attendait, dans une immobilité de pierre, qu’on eût vidé les six berlines montées par lui. Le manoeuvre employé au culbuteur, un gaillard roux et efflanqué, ne se pressait guère, pesait sur le levier d’une main endormie. Et, là-haut, le vent redoublait, une bise glaciale, dont les grandes haleines régulières passaient comme des coups de faux. 

- Bonjour, répondit le vieux.

Un silence se fit. L'homme, qui se sentait regard d'un oeil méfiant, dit son nom tout de suite.

- Je me nomme Etienne Lantier, je suis machineur... Il n'y a pas de travail ici?

Les flammes l'éclairaient, il devait avoir vingt et un ans, très brun,
joli homme, l'air fort malgré ses membres menus. 

Rassuré, le charretier hochait la tête.

- Du travail pour un machineur, non, non... II s'en est encore présenté deux hier. Il n'y a rien.

Une rafale leur coupa la parole. Puis Étienne demanda, en montrant le tas sombre des constructions, au pied du terri :

- C'est une fosse, n'est-ce pas?

Le vieux, cette fois, ne put répondre. Un violent accès de toux l'étranglait. Enfin, il cracha, et son crachat, sur le sol empourpré, laissa une tache noire.

- Oui, une fosse, le Voreux... Tenez! le coron est tout près.
A son tour, de son bras tendu, il désignait dans la nuit le village dont le jeune homme avait deviné les toitures. »
 

(E. Zola).

L'Oeuvre (1886). -  C'est le monde des artistes que fait vivre ici le peintre du Paris moderne. Il l'évoque en homme ayant fréquenté beaucoup d'ateliers, et le relief du vécu vient s'ajouter à la puissance descriptive qui est habituelle â l'auteur. Plus forte aussi se dégage l'impression dé pessimisme qué laissent d'ordinaire les études de Zola. C'est que le sujet, entre tous, est poignant : la lutte mortelle de l'artiste, épris d'idéal, créateur d'une formule nouvelle, contre l'impossibilité de réaliser cette formule, de traduire son rêve sur la toile. Le peintre Claude Lantier, héros principal du roman, est le fils de la Gervaise de l'Assommoir et d'un alcoolique. Chez lui, la conception est vive, lumineuse, mais la réalisation défaillante. En vain il s'acharne au travail, il n'est jamais satisfait : l'oeuvre ne vient pas. Ce sont alors des découragements dont l'amour lui-même ne peut triompher. L'amour est incarné en Christine, qui a d'abord voulu consoler le pauvre artiste, puis qui devient sa femme, sa femme aimante et dévouée, son modèle jamais las, jalouse pourtant de cette oeuvre qui lui vole son mari. Autour de ces deux figures principales se groupent d'autres peintres, des sculpteurs, des musiciens, etc., sur les masques desquels la critique a mis des noms. L'un de ces personnages, le romancier Sandoz, a une importance particulière, car c'est Zola lui-même. Claude et Christine luttent on vain. Les années passent, les ressources s'épuisent, le désespoir envahit l'âme. Après des déboires sans nombre, Claude se pend, en face de son oeuvre inachevée. Et pourtant, avec la nature combative de Zola, le dernier mot du livre ne pouvait être une parole de découragement. Après le cimetière, Sandoz entraîne un ami en lui disant dans un sanglot : « Allons travailler! »

La Terre (1887). -  Dans ce livre, ce sont les paysans que peint l'auteur. Et ce qu'il nous montre en eux, c'est surtout leur bestialité et leur cupidité. Leur bestialité : on ne voit partout dans la Terre que filles et femmes livrant leur corps sur le revers des fossés, derrière les meules, en plein champ; de chapitre en chapitre, Buteau se rue sur sa belle-soeur, qui, chaque fois, lui fait, lâcher prise d'un grand coup entre les jambes, jusqu'à ce que, sur
la fin du livre, il parvienne, aidé par sa femme elle-même, a contenter son désir. Leur cupidité : le vieux Fouan, accablé par l'âge, se décide à faire le partage de son bien : mais, retiré chez son fils Buteau, le vieillard s'entend reprocher chaque morceau de pain qu'on lui donne; car ce que coûte cette bouche inutile, Buteau rage d'en frustrer le bien. Fouan, jadis, a désiré lui-même la mort de son père. Que Buteau maintenant désire la sienne, il ne s'en étonne pas. C'est naturel. Quand on ne peut plus travailler la terre, on ne mérite plus que la terre vous nourrisse : six pieds de tombe, voilà tout ce qu'elle vous doit. Dans ce roman brutal, qui souleva même parmi les disciples de l'auteur certaines protestations des plus retentissantes, Zola n'a montré, des paysans, que leurs laideurs et leurs vices. En revanche, la campagne de la Beauce lui a inspiré de très belles pages.

Le Rêve (1888). - Une fillette abandonnée de ses parents, Angélique, apprend, chez de braves gens qui l'ont recueillie, à broder des chasubles. Devenue grande, elle rêve, tout en tirant l'aiguille, au prince Charmant qui l'aimera. Or, Félicien de Hautecour, fils d'un évêque entré tardivement dans les ordres par désespoir d'amour, est bientôt ce prince Charmant. Déguisé en peintre verrier, il vient travailler aux vitraux de l'église pour se rapprocher d'Angélique. Et c'est, entre les deux jeunes gens, une chaste et gracieuse idylle. Malheureusement, le père de Félicien défend à son fils d'épouser la pauvre ouvrière; celle-ci, consumée par le chagrin, se meurt peu à peu de langueur. C'est l'évêque qui l'administre. Pris deo pitié, il se ressouvient d'avoir jadis aimé et, déposant sur le front de la mourante un baiser qui la ranime, il consent au mariage si elle guérit. Après la bénédiction nuptiale, lorsque Félicien veut prendre Angélique dans ses bras, elle expire en lui rendant son baiser. Le Rêve repose, par sa fraîcheur et sa pureté, de tant de scènes terribles que retracent les autres volumes des Rougon-Macquart. - Du roman d'Emile Zola, le librettiste Gallet et Ie compositeur Alfred Bruneau ont tiré un drame lyrique en quatre actes et sept tableaux (Opéra-Comique, 1891).

La Bête humaine (1890). - C'est le roman sur les Chemins de fer, que Zola avait depuis longtemps projeté d'écrire. Il s'agit de l'ouvrage le plus dramatique de la série des Rougon-Macquart, un roman criminel, avec des péripéties feuilletonesques, mais aussi une étude, poussée au noir, de trois des passions de l'humain : la cupidité, l'appétit des sexes, le besoin de tuer. L'action se déroule dans le monde des chemins de fer. Elle se compose d'une série de crimes, dans lesquels périssent tous les principaux personnages, sauf deux qui sont condamnés aux travaux forcés. 
Des crimes qui rapellent des faits divers sensationnels : tels que l'assassinat du président Poinsot, en wagon, par l'introuvable Jud, le meurtre également impuni du préfet Barême, et la vengeance d'un perruquier méridional égorgeant un prêtre, par qui sa femme déclarait avoir été séduite avant son mariage. L'oeuvre est forte comme les productions du même auteur, mais elle laisse une impression pénible. Zola a déclaré « avoir eu une peur terrible qu'il ne fût pris pour une fantaisie sadique ».

L'Argent (1891). - Saccard, le frère du ministre Rougon, est ruiné, mais ne désespère pas de reconquérir la Bourse, Paris, le monde. Dans la fréquentation de l'ingénieur Hamelin et de sa soeur Caroline, qui reviennent d'Orient, il puise l'idée de spéculations grandioses. Il fonde, au capital de vingt-cinq millions, la Banque universelle, qui lancera des affaires fabuleuses, entre autres ce projet mirifique : la Terre sainte rachetée à la Turquioe pour y installer le pape roi!... Le monde catholique s'enthousiasme, la fièvre de l'or s'allume dans toutes les classes, le capital de la Banque est porté à cent cinquante millions; les actions montent progressivement jusqu'à trois mille francs. C'est l'apogée du spéculateur, c'est l'apothéose de l'or, au milieu des splendeurs de l'Exposition universelle de 1867 et des dernières flambées de l'Empire finissant. Puis, un jour, tout s'écroule : Gundermann, le banquier juif, a pris ombrage de la puissance rivale; il finit par vaincre Saccard, que la baronne Sandorff, une ancienne maîtresse, trahit en livrant ses secrets. On arrête Hamelin et Saccard. Ce dernier, dans sa prison même, rêve déjà de nouveaux millions. A côté des personnages principaux, nombre de types curieusement fouillés : Busch et la Méchain, acheteurs doe créances véreuses; Sigismond, le frère de Busch, qui se meurt et rêve de bouleverser le monde par un collectivisme niveleur; Jantrou, journaliste crapuleux et redoutable; la princesse d'Orviedo, qui sacrifie aux pauvres les millions volés par feu son mari; Victor, bâtard du banquier, bandit de douze ans, qui vole et qui viole... On ne saurait citer tous ceux qui grouillent à travers l'oeuvre, débordante de vie, où brille à chaque page l'argent, l'argent
monstre et dieu, l'argent fumier, mais fumier dans lequel pousse Ie progrès, le bien-être, la force, la gloire, et auquel on aurait grand tort de "faire porter la peine des saletés et des crimes dont il est la cause".

La Débâcle (1892). La trame en est par elle-même très simple. Le caporal Jean Macquart, qui s'est engagé au moment de la guerre, a sous ses ordres un jeune bourgeois, Maurice Levasseur. La conmnunauté des souffrances et des périls les lie l'un à l'autre. Faits prisonniers, ils s'échappent ensemble. Maurice rentre dans Paris après avoir confié Jean blessé à sa soeur. Une fois guéri, Jean rejoint l'armée du Nord; mais la fièvre le retient dans un hôpital, et, quand il en sort, la guerre est terminée. Il n'en reprend pas moins ses galons. Alors éclate la Commune. Les deux amis se retrouvent sur une barricade. Apercevant de loin un communard qui tire à coup sûr, Jean s'élance vers lui et le perce de sa baïonnette avant d'avoir reconnu Maurice. Tout à la fin, nous voyons Jean le paysan, le laboureur, reprendre sa tâche plus vaillamment que jamais. Ce qu'il y a de plus remarquable dans la Débâcle, ce n'est pas tel épisode individuel et fictif, ce sont les tableaux d'ensemble (défense et incendie, de Bazeilles, journée de Sedan, camp de la Misère, etc.), où l'auteur déploie à l'aise sa puissance d'évocation, son ampleur épique, l'habileté qu'il a d'animer et de faire mouvoir les masses. L'idée générale du livre est dans l'opposition de Maurice et de Jean, figures vraiment symboliques, qui représentent : l'un, la France d'hier, lasse et corrompue, l'autre, celle de demain, une France saine et vivace, qui prépare déjà son relèvement.

Le Docteur Pascal (1893). -  Le docteur est le fils cadet de la vieille Félicité Rougon; mais on l'appelle Pascal, tout court, parce qu'il n'a rien des Rougon. Il vit à Plassans, entre sa nièce Clotilde, qui lui donne le doux nom de Maître, et sa vieille servante Martine, tout entier à ses études et à sa tendresse, qu'il croit paternelle, pour la jeune fille. Pascal approche de la soixantaine, mais son automne est encore presque un été, tant il a gardé de vigueur souriante. Sa mère veut lui voler ses manuscrits scientifiques et surtout les dossiers de la famille. Martine, âme simple, et Clotilde, âme ardente, assoiffée d'un idéal inconnu, sont avec la vieille Félicité, parce qu'elle a su les persuader que Pascal se damne. Mais soudain
Clotilde découvre la véritable nature de son adoration pour le Maître et de ses sentiments à lui : ils s'aiment. Le Maître l'a conquise par sa robustesse morale et physique et par sa noble conception de la vie. Elle devient  alors mieux qu'une alliée : une amante, une sujette dévouée qui fait à son roi le don divin de sa jeunesse. Après des mois de bonheur, Pascal, pourtant, se décide à se séparer de Clotilde, parce qu'il est ruiné. Et il meurt avant qu'elle ne soit revenue de Paris. Mais de leurs amours un enfant est né, un garçon, et Clotilde vivra pour le petit être. La fin du livre la montre allaitant l'enfant, tandis que celui-ci tient son bras en l'air, « tout droit, dressé comme un drapeau d'appel à la vie ». Le Docteur Pascal est le dernier volume et la conclusion de la série des Rougon-Macquart. On y trouve d'admirables pages, pleines d'idéalisme et de poésie, de foi en la vie, et au progrès. 

L'idée dominante des Rougon-Macquart, à laquelle se rattache la série tout entière et qui fait l'unité des vingt volumes est exprimée par Zola dans la préface du premier tome-: il s'agit pour lui d'expliquer, par les lois de l'hérédité, « comment une famille, un petit groupe d'êtres se comporte en donnant naissance à dix, à vingt individus, qui paraissent au premier coup d'oeil profondément dissemblables, mais que l'analyse montre intimement liés les uns aux autres ».

Le roman naturaliste n'était donc pour Zola qu'une application des méthodes scientifiques et des connaissances de son temps à la description de la vie individuelle et sociale. L'auteur des Rougon-Macquart n'étudie pas, comme les romanciers idéalistes, un homme abstrait, un homme métaphysique, mais l'homme naturel soumis « aux lois physico-chimiques » et déterminé par les influences du milieu. (NLI).

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Dictionnaire Le monde des textes
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