| Los Trabajos de Persiles y Sigismunda (= Les travaux de Persimles et Sigismunda). C'est le dernier ouvrage de Cervantes; on sait que, de sa main défaillante, il en écrivit la préface, quelques jours seulement avant de mourir; mais il y avait de longues années qu'il y travaillait. Il en parlait, en 1612, dans le prologue des Novelas, comme d'une imitation du roman grec d'Héliodore et l'annonçait comme devant être le meilleur de tous ses écrits. Il paraît que quand la composition fut achevée, Cervantes, la jugea supérieure au Don Quichotte; il n'est pas rare de voir les grands écrivains avoir un faible pour leurs oeuvres les moins bonnes; peut-être aussi notre auteur aimait-il Persiles comme sa dernière conception, comme l'enfant de sa vieillesse. Impossible d'analyser cette «-histoire septentrionale » comme l'appelle le titre de la première édition; la première partie se passe dans les régions hyperboréennes, au milieu d'îles de glace, habitées par des loups-garous, des animaux fantastiques, des hommes de l'autre monde, des corsaires, etc.; la seconde partie est un long pèlerinage de Persiles et Sigismunda à travers l'Irlande, le Danemark, l'Angleterre, la France, l'Espagne, pèlerinage qui aboutit à Rome. Les deux personnages principaux se perdent à chaque instant sous de nouveaux noms; ils rencontrent mille personnages épisodiques qui racontent chacun leur histoire. Cette deuxième partie, quoique non exempte de grands défauts, est mieux composée et plus intéressante que la première; le long voyage des pèlerins est un cadre commode pour peindre le caractère des diverses nations qu'ils visitent. Ce roman, plein d'histoires enchevêtrées, de naufrages, d'enlèvements, d'îles de glace, de peintures de peuples sauvages, est d'une lecture presque impossible, et la plupart des critiques le jugeront très sévèrement. « C'est, dit, par exemple, Prosper Mérimée, une suite d'aventures invraisemblables, interrompues par de longs épisodes jetés comme au hasard au milieu de l'action principale. Peu de lecteurs auraient le courage d'aller jusqu'au bout; aucun, arrivé à la fin, ne se souviendrait du commencement. » Gill y Zarate pense de même; Ticknor, quoique plus indulgent, n'est pas très éloigné de cette opinion. Navarrete, au contraire, loue la force, l'éclat, la vivacité de l'imagination du vieux Cervantes. Erasme Chasles voit dans le Persiles une conception originale, long voyage de l'humanité à travers la barbarie et la civilisation, à travers les contrées du Nord et celles du Midi; il y trouve un Ulysse chrétien ou un Amadis philosophe, un homme ingénu et chaste, qui vit dans la liberté de la nature, par delà les mers, et qui forme contraste avec l'homme qui vit dans la société du temps. N. Diaz de Benjumea se rapproche de cette idée. « C'est, dit-il, une allégorie de la marche de l'humanité, depuis les temps primitifs et sauvages [...], qui tourne pour parvenir et s'élever à la lumière de la civilisation, cherchant son centre et son repos. Péri-Andro et Auri-stella sont les noms symboliques qui expriment cette idée et ces deux personnages, au fond, n'en forment qu'un. Le centre, l'étoile que l'humanité cherche, est la foi; aussi le long voyage se termine à Route, foyer et étoile du christianisme. » On voit que Cervantes nous a laissé une oeuvre complexe, étrange, énigmatique, mais ce que tout le monde s'accorde à y reconnaître, c'est un style parfait, plus riche, plus varié, plus capable de grandeur que celui même du Don Quichotte. L'auteur s'arrête parfois à décrire avec amour, pour le seul plaisir de l'art. L'immortel écrivain, depuis la Galatée, n'avait cessé de faire des progrès dans sa manière d'écrire, et les pages mêmes de ses derniers jours ne trahissent aucun affaiblissement de son talent. (E. Cat).
| En bibliothèque - Cervantès, Nouvelles exemplaires, Persilès, Gallimard, 2001. | | |