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Ogier le Danois

Il a réellement existé, du temps de Charlemagne, un personnage historique du nom d'Ogier (transformé plus tard en Oger, comme le mot boulangier, par exemple, est devenu boulanger). Sous Pépin le Bref, Ogier défendit en Italie la cause du pape contre les Lombards. Plus tard, il fut un des partisans de Carloman, frère de Charlemagne, après la mort duquel il se réfugia à la cour du roi Didier. Il  se soumit ensuite à Charlemagne, et fit restaurer un monastère à Cologne.

La plus ancienne rédaction que nous possédions de la légende d'Ogier est la chanson attribuée à Raimbert de Paris (XIIe siècle), où sont soudés deux poèmes antérieurs, dont l'un racontait la jeunesse d'Ogier, l'autre les exploits de son âge mûr (ci-dessous).

L'auteur de Berthe aux grands pieds, Adenès le Roi, a composé aussi un roman en vers intitulé les Enfances Ogier, où il a remanié la première partie du poème de Raimbert.

On sait qu'Ogier le Danois a eu l'honneur de donner son nom à un des valets du jeu de cartes. (Le mot valet désignait autrefois des gentilshommes).
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Meaux : mausolée d'Ogier le Danois.
Mausolée d'Ogier et de son écuyer. 
Eglise abbatiale, aujourd'hui détruite, de Saint-Faron, à Meaux (vers 1175). La légende veut que l'on
ait longtemps conservé dans cette église une grande épée et un lourd épieu qui auraient été les
armes d'Ogier. Les statues de chaque côté repésentent Charlemangne, Roland, Olivier, Aude, etc.

Ogier le Danois.
Ogier le Danois est une chanson de geste en douze chants composé par Raimbert de Paris, et qui fait partie du cycle carolingien

Le jeune Ogier était à Saint-Omer, à la cour de Charlemagne, comme otage de son père Geoffroi de Danemark, lorsqu'arrivent en France quatre ambassadeurs que l'empereur avait envoyés près de Geoffroi : celui-ci les a fait tonsurer et leur a fait couper barbe et moustaches. Cette grave injure met Charlemagne en fureur. Il appelle Guimer, châtelain du bourg de Saint-Omer, et lui ordonne de garder Ogier à vue. Le lendemain, après la messe, il se fait amener le jeune homme, et lui annonce qu'il va payer de sa vie le crime de son père. C'est en vain que les barons et la reine, touchés par son âge et de son innocence, prennent vivement sa défense. Il va périr, lorsque surviennent deux messagers du pape qui annoncent à Charlemagne que les païens sont entrés à Rome. L'empereur suspend alors l'exécution, et décide qu'il emmènera Ogier en Italie. Le poète nous raconte longuement cette expédition d'Italie, où il faut voir un souvenir de l'expédition historique de 773. Ogier se couvre de gloire et est armé chevalier sur le champ de bataille par Charlemagne lui-même. C'est grâce à lui que Rome est délivrée.
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Charlemagne et le jeune Ogier

« Nostre emperére fut par matin levez,
S'oït la messe al mostier Saint Orner. 
En son palais est li rois retornez, 
Ogier demande, son prison forosté. 
Isnelement l'en a mené a Guimers, 
Li chastelains cui il l'ot comandé.
« Ogiers, dist Charles, vos m'estes forostez;
Vos savez bien com Jofrois m'a mené,
Qui mes messages m'a fait si vergonder,
Corones faire et les grenons colper 
En mon vivant me sera reprové.
Mais, par mon chief, molt chier le comperrez; 
Je vos ferai toz les membres colper. 
- Sire, dist-il, si iert com vos voIrez. 
Or poéz croire que petit m'a amé 
Jofrois mes père, cui tot confonde Deus, 
Qui envers vos m'a laissié foroster. 
Tot ce a fait Belissent al vis cler,
C'est ma marastre; Deus li puist mal doner!
Por ce fist èle vos homes vergonder. »

« Sire emperére, dist li Danois Ogiers, 
Bien me poéz ocire et detrenchier; 
Se vos le faites, ce sera granz pechiez!
Jofrois mes père ne m'ot mie molt chier,
Qui envers vos me fist forostagier. »
Lors regarda l'enfes par le planchier,
Si vit la sale emplir de chevaliers.... 
« Seignor, dist l'enfes, nobile chevalier,
Li rois mes sire me vuelt faire essillier.
Por Deu vos pri, le glorïos du ciel,
Que envers lui m'aidiez a replegier. »
Et il respondent : « Bels enfes, volentiers.
L'en proierons, se il vos puet ailier. »
Quatorze conte li sont chaü al pié,
Qui tuit li prient manaïe et pitié :
« Que puet cis enfes, se Jofrois t'a boisié? »
De la parole est li roi corrociés :
« Baron, dist-il, traiez-vos en arrier,
Car, par l'apostre c'on a Rome requiert,
Je li ferai toz les membres trenchier :
Je ne voil mie que essemple i pregniez.
Se nus de vos laist son fil ostagier,
Se il le fait, nel reverra ja lié. »
Cil dient : « Sire, con vos plaira, si iert.
Mais ainc nus hom qui ert des crestïens
Ne se pena d'enfant si empirier. »
Es la roïne qui revient del mostier,
Et li baron la prisent a proier
Qu'al roi requiére qu'il ait merci d'Ogier.
Et la roïne vient al roi sans targier;
Molt dolcement li commence a proier :
« Rendez moi, sire, icest enfant Ogier;
Dedenz ma chambre en ferai un huissier.
Se Deus m'aiut, molt m'aura grant mestier. »
Et dirt li rois : « En pardon m'en proiez,
Car nel rendroie por tot l'or desoz ciel. »
Et dist la dame : « Enfes, ne puis noient. 
Cil te garisse qui en croiz fut dreciez! »
Qui donc oïst le dansel gramoier,
Ses poinz detordre et ses chevels sachier,
Et tot derompre son ermine delgié!
Por soie amor plorent cent chevalier,
Serjant et dames, pucèles et molliers,
Qui tuit proierent por Deu merci d'Ogier.
Et Ii rois jure le baron saint Richier
Ja lor proiére ne li avra mestier.
Mais en poi d'hore puet Deus son home aidier :
Sus el palais es vos dons messagiers,
De Rome viénent corroços et irié.
Li rois les vit, si les reconut bien;
Contre els se drèce, si les a araisnié :
« Que font a Rome, ne me celez noient,
Come se tiénent li baron chevalier,
Et l'apostoiles et li altre clergiez? »
Cil dient : « Sire, altre chose que bien;
En Rome n'a chapèle ne mostier
Ne soient ars, fendu et peçoié.
Par droite force i sont entré paien;
Tot ont le règne gasté et essillié.
- Deus! dist li rois, corn sui or engeigniez! »
Huon de Nantes a li rois araisnié :
« Je vos comant le fil Jofroi, Ogier;
Tot droit a Rome l'en menrez, par mon chiet
Quant mes barnages iert venus et rengiez,
Desus un pui ferai forches drecier;
Lors iert pendus, voiant maint chevalier,
Si quel verront Aleman et Baivier. »
 

(Ogier le Danois).

Longtemps après, Ogier se trouvait à la cour de Charlemagne, dans le palais de Laon, lorsque son fils fut tué par Charlot (Charles le Jeune, mort en 811), fils de l'empereur, à la suite d'une partie d'échecs. Ogier en conçoit aussitôt un vif ressentiment contre Charlemagne et les siens; il menace l'empereur, tue le neveu de la reine, et s'enfuit à Pavie, près de Didier, roi des Lombards. Charlemagne déclare la guerre à Didier. Une grande bataille s'engage; Ogier y fait des prodiges de valeur, avec sa bonne épée Courtain, mais il est obligé de fuir devant le nombre. Dans sa fuite, il rencontre Ami et Amile, qui revenaient d'un pèlerinage à Rome, et il les tue parce qu'ils sont les amis de Charles. Entouré un moment dans un château où il s'est arrêté pour reprendre haleine, il traverse toute l'armée française au galop de son cheval Broiefort, et, couvert de blessures, il pénètre dans Castelfort sur Rhône, que le roi Didier lui a donné, et où il va soutenir contre Charlemagne un siège de sept ans.

Il avait d'abord trois cents hommes avec lui; au bout de cinq ans il n'en a plus que dix, et bientôt il reste seul. Le poète nous le montre alors tirant son eau du puits, faisant son pain et sa cuisine, remettant des fers à son cheval Broiefort. Les assiégeants ignorent qu'il est seul. Il a abattu des chênes et fabriqué des hommes de bois, qu'il a ornés de belles barbes empruntées à la queue de Broiefort : vêtus de hauberts et coiffés de heaumes, ils font bonne figure derrière les créneaux.

Mais cette situation ne peut se prolonger indéfiniment. Ogier s'enfuit à travers champs. Il commet l'imprudence de s'endormir au milieu d'un pré, où il est reconnu par l'archevêque Turpin de Reims, qui passait par là avec une escorte. On s'assure de sa personne et on l'emmène à Reims. Après des pourparlers entre Charlemagne et Turpin, il est entendu qu'Ogier sera tenu en prison et qu'on le fera mourir de faim en diminuant progressivement sa nourriture. Mais l'archevêque n'exécute que la première partie de la sentence, et nourrit fort bien son prisonnier.

Sept nouvelles années se passent ainsi. Cependant le bruit de la mort d'Ogier se répand à l'étranger et redonne courage aux ennemis de Charles : une armée de quatre cent mille païens vient assiéger la ville de Laon. Dans la consternation générale, tout le monde répète qu'Ogier seul eût pu sauver la France, lorsque tout à coup on apprend qu'il est encore vivant. Mais il met des conditions au concours qu'on lui demande : il faut qu'on lui livre Charlot, le meurtrier de son fils. C'est en vain que Charlemagne s'humilie devant lui; il va trancher la tête de Charlot, lorsque saint Michel apparaît :

« Ogier, lui dit-il, tu ne toucheras pas l'enfant, Dieu te le defend. Aujourd'hui l'âme de ton fils sera couronnée dans le grand paradis. Arme-toi sans retard, et va combattre les païens mécréants. » 
Ogier obéit à l'ordre divin; bientôt la France est délivrée, et Charlemagne récompense le vainqueur en lui donnant de riches fiefs, au milieu desquels Ogier passe la dernière partie de sa vie dans la pratique de toutes les vertus.

Pour compléter la légende d'Ogier, nous rappellerons que l'auteur du Pèlerinage de Charlemagne en fait un des douze pairs qui accompagnent l'empereur en Orient, et que l'auteur de la Chanson de Roland, sans le mettre au rang des douze pairs, lui donne un rôle important dans les événements qu'il raconte. Dans la chanson de Renaud de Montauban, on le voit combattre ses cousins, les fils d'Aymon.



En bibliothèque - La chevalerie Ogier de Danmarche, par Raimbert de Paris, a été publiée par M. J. Barrois, Paris, 1842; l'éditeur pense qu'il faut dire Ogier d'Ardenmarche ou de l'Ardennois. Les Enfances Ogier en ont été tirées par Adenès. Voir aussi : Histoire littéraire de la France, t. XXII.
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