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Numance

La Numancia est une tragédie écrite par Cervantès. Il s'agit de l'histoire de ce petit peuple qui mourut de faim plutôt que de se rendre aux Romains. Il y a dans le sacrifice héroïque, dans le suicide sublima de cette nation, une situation vraiment dramatique, émouvante au plus haut point. La pièce est en quatre jornadas et, comme los Tratos de Argel du même auteur, en mètres variés. 

Dans la première jornada, on voit les chefs romains reconnaître l'impossibilité de prendre Numance autrement que par la famine; des ambassadeurs de la ville, qui sont venus demander une paix honorable, ne l'obtiennent pas et partent en disant à Scipion qu'il apprendra à connaître la vaillance des Numantins. Apparaît alors une vierge au front couronné de tours et de châteaux; c'est l'Espagne; elle prévoit la ruine de Numance et appelle à son secours le fleuve Douro: il vient, mais ne peut donner d'espérance à l'Espagne; il prédit toutefois que dans le lointain avenir Attila et les Goths et le duc d'Albe vengeront les Numantins. 

Dans la deuxième jornada, les chefs de la ville tiennent conseil et prennent les résolutions les plus héroïques; ils mourront les armes à la main. Un jeune soldat, Morandro, entretient un de ses camarades de son amour pour Lira; il vient d'obtenir sa main, mais la guerre rend sombre leur avenir. Tous deux vont au grand sacrifice que le peuple veut offrir à Jupiter. Après de longues cérémonies et incantations, le magicien Marquino oblige l'âme d'un soldat mort récemment sur le champ de bataille à venir ranimer son corps, et le cadavre, se dressant, prophétise l'avenir, la chute prochaine de Numance. 

Dans la troisième journée, un chef munantin du haut des murailles propose à Scipion que la question de la reddition de la place ou de la retraite des Romains soit vidée en combat singulier par un champion numantin et un romain; Scipion répond par des railleries et les Numantins exaspérés se promettent de franchir le cercle des ennemis ou de mourir et combattant. Morandro, l'amoureux, fait de même et dit que sa femme l'accompagnera dans la mort comme dans la vie. Plusieurs femmes des Numantins, avec leurs enfants sur les bras, et la jeune Lira avec elles, apparaissent; sur divers tons, toutes disent qu'elles veulent prendre part à la sortie avec leurs maris : elles sont capables de mourir, mais elles ne veulent point être déshonorées pur les Romains! Un des chefs leur répond que puisqu'elles ont découvert le projet de sortie et qu'il est impraticable, on ne les abandonnera pas; on mangera d'abord le prisonniers romains dans un dernier festin, puis un bûcher élevé sur la place consumera les hommes, les femmes, les enfants et les richesses de Numance, pour que l'ennemi ne trouve que des ruines. Suit un émouvant dialogue entre Morandro et Lira; la jeune femme a vu mourir de faim sa mère et son frère; elle-même se meurt, mais cherche à cacher sa souffrance; elle vent empêcher de sortir Morandro, qui se propose de se jeter sur un soldat romain et de lui ravir un pain pour le rapporter à sa bien-aimée. Un jeune homme qui les a entendus, Leoncio, aidera Morandro à accomplir son dangereux exploit. Suivent deux scènes qui ne sont pas moins belles : dans l'une, des Numantins apprêtent le bûcher; dans l'autre, une mère cherche à consoler son enfant qui meurt de faim. 

Dans la quatrième jornada, nous voyons le camp romain tout en émoi; Scipion et Jugurtha apprennent que deux hommes se sont jetés sur une troupe de leurs soldats, pour ravir un pain; l'un d'eux est mort, percé de mille coups; l'autre, tout sanglant, retourne vers la ville. C'est Morandro; il cherche Leoncio, son ami fidèle et le voit mort : trébuchant, il se hâte vers Lira, lui donne le pain, lui dit une dernière parole d'amour et tombe mort à ses pieds. Lamentations de Lira : elle ne touchera pas ce pain qui a coûté si cher; son jeune frère qui la cherche n'a que le temps de lui raconter la mort de ses parents; il meurt de faim à son tour. Un soldat vient, qui a ordre de tuer les femmes, pour qu'elles ne soient pas prises vivantes; Lira lui demande de la frapper, mais il ne peut s'y résoudre; il lui décrit, dans un récit merveilleux, l'état de la ville, pleins de cadavres et de sang. Un Numantin, deux petits enfants, sa femme et sa fille s'embrassent une dernière fois et vont se jeter dans le bûcher. Du camp romain, on voit les flammes qui montent et plus personne pour défendre les remparts; Scipion, Marius, Jugurtha accourent; les deux derniers montent sur la muraille au moyen d'échelles; ils ne voient que les restes de l'incendie, des cadavres, du sang; pas une voix, plus même une plainte. Cependant sur la tour est vivant encore un enfant, Viriate, qui a les clefs; il nargue les Romains, puis se jetant du haut de la tour, se tue pour ne pas survivre à Numance. La Renommée apparaît alors elle promet que le monde entier connaîtra l'heroïsme des Numantins et la bravoure des Espagnols leurs successeurs.

Nous avons cru devoir donner cette analyse un peu longue, parce que la Numancia est peu lue en France et que les opinions des critiques à son sujet sont tout à fait opposées. A. Wilhelm Schlegel disait que la Numancia était non seulement un des plus notables efforts de l'ancien théâtre espagnol, mais un des tableaux les plus frappants et les plus pittoresques de la poésie moderne. Prosper Mérimée juge au contraire que ce n'est qu'une amplification très ampoulée de ce que nous disent Appien et Plutarque. Il me semble qu'on ne peut accepter cette opinion d'un critique un peu trop raffiné, pas plus qu'on ne peut admettre sans quelque réserve celle du hardi Schlegel on reconnaît bien facilement qu'il y a dans la Numancia peu d'art de la composition et assez souvent de l'enflure, mais on ne peut s'empêcher de trouver bien dramatique et sublime ce tableau d'une population mourant tout entière plutôt que de se rendre, bien dramatiques aussi et bien touchantes ces scènes d'amour maternel et conjugal en face de la mort. Par-dessus tout, Cervantes y voyait une grande leçon de patriotisme; il voulait, il faut le répéter pour donner une idée de ce singulier théâtre, il voulait en faire un moyen d'élever les courages. L'intention morale est si bien dans son esprit qu'il met en scène toute sorte de personnages allégoriques, l'Espagne, le Douro, la Renommée, comme dans les Tratos d'Argel l'Occasion et la Nécessité. Il se vante même d'avoir été le premier à employer ce moyen, que nous jugeons pour notre part assez froid et assez peu dramatique; il paraît bien qu'en s'en attribuant l'invention en Espagne il s'est trompé, mais il en a fait un usage relativement avantageux. (E. Cat).

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Dictionnaire Le monde des textes
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