| Nouvelles exemplaires (Novelas ejemplares). - C'est par ses nouvelles que Cervantes, même s'il n'avait pas écrit Don Quichotte, tiendrait une place importante dans l'histoire de la littérature espagnole. Ce sont les oeuvres de sa pleine maturité, les unes écrites alors qu'il courait par tous les chemins d'Andalousie, les autres dans les années de repos à Valladolid et à Madrid, après le succès de la première partie du Don Quichotte. Dans ce livre, en 1604, parut celle du Curioso impertinente, qui eut beaucoup de succès et l'auteur mentionnait déjà celle de Rinconete y Cortadillo; d'autres couraient dans le public, manuscrites, comme par exemple el Zeloso Estremeño et la Tia fingida, qu'on a trouvées dans le recueil écrit en 1606 par Porras de la Camara (avec Rinconete y Cortadillo). Cervantes, encouragé par l'accueil qu'on leur faisait, les réunit, en ajouta quelques autres et publia en 1613 un recueil qui en contenait douze, les Novelas ejemplares (la Tia fingida n'y est pas comprise, sans doute à cause de son caractère licencieux, car à d'autres points de vue c'est un chef-d'oeuvre). En moins de neuf ans on en fit dix éditions et elles furent traduites dans toutes les langues. Le genre des contes ou nouvelles était alors nouveau en Espagne; on n'avait guère fait que traduire en castillan quelques-unes des productions les plus renommées de ce genre en italien ou en français. Cervantes peut donc se vanter à juste titre d'avoir ouvert la voie à ses compatriotes, et, sur les conteurs italiens et français, il a l'avantage, diront les critiques de son temps et de siècles qui suivront, que ces opuscules sont d'une moralité plus haute. Les nouvelles sont espagnoles aussi par les peintures de moeurs; il montre les diverses classes de la société de son pays, sous leurs traits les plus caractéristiques; c'est un modèle d'observation les gitanos, les captifs des bagnes d'Alger, les voleurs de profession de Séville, les auteurs de projets de réformes pour sauver l'État, les sorcières, les étudiants de Salamanque, défilent devant nous; on voit qu'ils sont pris d'après nature, vivants. Il faut remarquer au surplus que Cervantes écrivit plusieurs de ses nouvelles en prenant pour base du récit des faits qui s'étaient réellement accomplis. Dans le Capitan cautivo, il raconte des événements dont il a été acteur ou témoin à Alger; on pense que le Licenciado Vidriera n'est autre que l'humaniste Gaspard Barth, qui vécut longtemps en Espagne. Il dit du Zeloso Extremeño, de la Tia fingida, de la Fuerza de la sangre, de la Española Inglesa, qu'elles ont pour sujet des faits véritables et qu'il a connu les personnages qu'il met en scène; la nouvelle del Amante liberal, à ce qu'on croit, retrace aussi quelques-unes de ses aventures personnelles. Celle du Curioso impertinente paraît avoir été inspirée par la lecture de l'Arioste, tandis que el Coloquio de los perros est une ingénieuse et vive satire de la société de son temps. Une heureuse variété, une imagination féconde, des descriptions exactes et brillantes, des traits spirituels, une fine ironie, un style simple, élégant et pur, telles sont les qualités qu'on trouve dans presque tous ces jolis opuscules et qui ont fait de ce recueil un des chefsd'oeuvre de la prose espagnole. Nombre de conteurs modernes, des dramaturges, comme Lope de Vega, Guillen de Castro, Moreto, Solis, Diego de Figueroa ont puisé à pleines mains dans ce recueil si riche et si varié. Victor Hugo en a tiré la charmante figure d'Esmeralda.
| En bibliothèque - Cervantès, Nouvelles exemplaires, Persilès, Gallimard, 2001. | | |