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Le Poème de la nature, de Lucrèce

Le Poème de la Nature (De Natura Rerum) est un poème didactique latin, dans lequel Lucrèce a embelli des grâces et des magnificences de la poésie la plus ingrate des doctrines, l'épicurisme. Le poème De Natura rerum est en six livres.

Au premier, Lucrèce établit le principe fondamental de l'épicurisme, que rien ne naît de rien, et que les vrais éléments des êtres sont les atomes, éternellement agités dans l'infini du vide, sans que l'univers au un centre commun. 

Au deuxième, il explique la formation des corps par le mouvement et l'union des molécules invisibles, et professe l'opinion que les atomes roulant sans fin dans un infini sans limite, s'agrégeant et se désagrégeant sans interruption, les mondes sont a fois innombrables et destructibles; il annonce même la fin du nôtre. 

Au troisième chant, le poète étudie d'abord l'âme humaine, qu'il partage, pour ainsi dire, en deux moitiés : l'âme sensitive, éparse dans toute l'étendue du corps, et l'âme intellectuelle, qui réside dans le coeur; toutes deux par leur union forment le principe vital. 
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Lucrèce : De Natura Rerum.
De Natura rerum. Page d'un manuscrit du XVe s.

Cette distinction établie, Lucrèce s'emploie à démontrer que l'âme, matérielle comme le corps, meurt avec lui, ou plutôt retourne se perdre, à leur séparation, parmi les atomes; il n'y a donc pas de vie future, selon lui, et les mortels ont tort de craindre un Enfer qui n'existe que dans le coeur des méchants.

Le quatrième livre est une étude sur les sens et sur la pensée, à laquelle se rattachent, assez naturellement dans ce système, la théorie des songes et celle de l'amour. L'auteur n'a traité que de l'amour des corps, et en médecin autant qu'en poète. 

Le cinquième livre, le plus beau de l'ouvrage, présente, dans un magnifique langage, d'abord l'origine du monde, puis la marche de l'univers, la naissance des êtres animés produits par la Terre, enfin l'histoire primitive de l'homme et de la civilisation. Jamais poète n'a rendu plus éclatant hommage à l'esprit humain; on s'étonne qu'un philosophe matérialiste ait pu ressentir un pareil enthousiasme, en affirmant que l'intelligence de l'homme n'est qu'un mouvement de molécules aveugles et brutales.
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Formation du monde

« Tu ne diras pas que les principes de la matière se soient placés avec intelligence dans l'ordre où nous les voyons, ni qu'ils aient concerté entre eux les mouvements qu'ils voulaient se communiquer : mais, après un grand nombre de combinaisons diverses, mus de toute éternité dans l'espace par des chocs étrangers, en essayant toute sorte de mouvements et d'assemblages particuliers, ils se sont rangés dans l'ordre dont notre monde est le résultat; et c'est en conséquence de cet ordre, auquel ils sont demeurés fidèles depuis un grand nombre de siècles, que nous voyons constamment les grands fleuves abreuver l'immense océan, l'astre du jour renouveler par sa chaleur les productions de la terre, la fleur de la santé se répandre sur toutes les espèces vivantes, et les flambeaux éthérés se repaître de leurs éternels aliments; ce qui ne pourrait avoir lieu si une infinité d'éléments ne travaillait sans cesse à la reproduction des êtres. De même que les animaux, privés de nourriture, languissent et meurent, ce grand tout périra aussi quand la matière, détournée de son cours naturel, cessera de fournir aux reproductions.

Il y a pourtant des philosophes qui croient que la matière ne peut, sans le secours des dieux, produire tant d'effets réglés et analogues à nos besoins, varier la scène des saisons et produire les végétaux. Insensés! ils ne voient pas que la volupté, fille du ciel et mère de tout ce qui respire, invite les animaux à engendrer leurs semblables, et qu'ainsi, par Vénus, se perpétue le genre humain. Ils rapportent ces phénomènes à des dieux créateurs; mais l'univers dément leur système. Oui, quand même je ne connaîtrais pas la nature des éléments, le spectacle du ciel et les phénomènes du monde me prouveraient assez qu'un tout aussi défectueux ne peut être l'ouvrage de la Divinité. »
 

(Lucrèce, De Natura rerum, II, 167, 1020. trad. Lagrange).

Au sixième livre, Lucrèce expose la physique épicurienne, la théorie des phénomènes météorologiques et terrestres. Ce sujet l'amène à rappeler la peste d'Athènes, dont, la peinture termine l'ouvrage.

Ce qui manque dans l'ensemble de ce poème, c'est une forme de souplesse d'expression et d'harmonie; mais les descriptions, notamment celes du cinquième livre, où le poète peint dans un style enchanteur la rudesse et la grossièreté des premiers humains, offrent une grâce sauvage qui plaît infiniment. Ses raisonnements didactiques peuvent fatiguer et rebuter par leur sécheresse; néanmoins on y rencontre fréquemment des expressions pleines de vie, qui couvrent l'argumentation de fleurs inattendues, dit Villemain, des images fortes et gracieuses, une sensibilité touchante et expressive. N'oublions pas que Lucrèce avait à créer sa langue, et qu'il n'est pas moins glorieux pour lui d'avoir triomphé de la pénurie de son idiome qui n'eût pas manqué de dessécher une imagination moins féconde et une sensibilité moins riche que la sienne un art plus délicat, une langue plus souple dans ses formes, et plus harmonieuse dans ses tours, l'eussent rendu l'égal de Virgile. (A. H.)

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