| Moallaka ou Moallakât. - Nom des sept plus anciens textes de la poésie arabe composés par Amrolkaïs al Kindi, Tarafa ibn el Abd, Zohaïr ibn Abi Solma, Antara ibn Moaviyya (Le roman d'Antar), Alkama ibn Obda, Labid ibn Rabiyya, Harith ibn Hilliza. On compte souvent comme moallakas deux poèmes qui ont en effet avec elles les plus grandes analogies et qui sont dus à Nahigha Dobyani et à Amr ibn Koulzoum, ce qui en élève le nombre à neuf. Les moallakas ont été réunis en deux recueils par les musulmans; l'un se nomme les six moallakas et comprend les poésies d'Amrolkais, Nabigha, Alkama Zohaïr, Tarafa, Antara; l'autre, appelé les sept moallakas, se compose des poésies d'Amrolkaïs, Tarafa, Labid, Zohaïr, Nabigha, al-Ashi, Amr ibn Koulzoum. On trouvera au nom de chacun de ces poètes les quelques renseignements biographiques, souvent douteux d'ailleurs, que l'on peut tirer des commentateurs des moallakas, du Kitab el Aghani et des historiens dans lesquels se trouvent quelques souvenirs de la période antéislamique, il suffira de dire ici que, suivant la chronologie la plus vraisemblable, la plupart de ces poètes moururent un peu avant l'hégire (622) ; c'est pourquoi l'on donne souvent aux moallakas le nom de poésies antéislamiques. Les auteurs musulmans racontent que les Arabes d'avant l'Islam étaient de grands amateurs de poésie et qu'ils avaient institué des concours annuels pour récompenser les plus habiles poètes. Pendant les vingt premiers jours du mois de Dhoulkada, une grande foire se tenait à Okaz, petite localité située entre Taïf et Nakhla à environ trois journées de marche de La Mecque. La foire d'Okaz était de beaucoup la plus fréquentée de toute la région, et marchands et acheteurs y accouraient de bien loin à la ronde. Les poètes qui, à cette époque, étaient presque tous des guerriers, y venaient aussi et le soir venu racontaient devant la foule les hauts faits qu'ils avaient accomplis et vantaient la noblesse de leur tribu. Plusieurs des kasida ou pièces de vers qui furent ainsi récitées à la foire d'Okaz, parurent si belles et si parfaites aux Arabes qu'elles furent écrites en lettres d'or et suspendues par des chaînes également en or aux murs de la Kaaba. C'est par suite de cette circonstance qui elles furent appelées rnodhahabbat, poèmes dorés, et moallakat ou poèmes suspendus. On a élevé des doutes sur l'authenticité de ce récit : l'on peut évidemment admettre l'existence des concours poétiques de la foire d'Okaz, mais le reste est certainement né d'une étymologie artificielle du mot rnoallakat. Ce mot est le participe de la deuxième forme de la racine alaka, dont le sens le plus ordinaire est « suspendre, attacher », d'où pour rnoallakat celui de « suspendu ». Mais, en même temps que suspendre, la cinquième forme de alaka, taallaka, signifie « considérer quelque chose comme précieux, lui attribuer une grande valeur », d'où il s'ensuit que moallakat signifie simplement « poésie précieuse ». De pareils faits ne sont pas rares dans l'histoire littéraire; on a prétendu longtemps que les poésies de Pindare avaient été gravées en lettres d'or sur une colonne de marbre, tandis qu'on s'accorde aujourd'hui à comprendre qu'il ne s'agit que d'un manuscrit écrit a l'encre d'or. Quoi qu'il en soit, cette explication erronée de moallakat est donnée par tous les auteurs arabes. Les moallakas sont aussi nommées semout, pluriel de simt, qui signifie « fil d'un collier ». il est à remarquer que la cinquième forme de la racine samata signifie aussi « être suspendu, accroché ». Non seulement les moallakas sont les plus anciens monuments de la poésie arabe, mais ils en sont encore les plus parfaits. Malgré son extrême concision, la langue dans laquelle ils sont écrits est d'une richesse qui défie toute traduction; on y sent passer le souffle de la grande poésie épique, et la poésie arabe postérieure, toute faite de faux de mots et de concetti, paraît bien pauvre à côté de ces poèmes des anciens âges. Malheureusement, il serait téméraire d'affirmer que le texte actuel des moallakas nous représente les expressions et les termes mêmes d'Amrolkais ou de Tarafa; les grammairiens des deux écoles rivales de Bassorah et de Koufa se sont tellement escrimés sur ces poèmes qu'il est plus que probable qu'ils ont subi des remaniements et peut-être même des interpolations que l'on pressent, mais qu'il est impossible de déterminer d'une façon certaine. Parmi les commentaires arabes des moallakas, il convient de citer plus particulièrement ceux de Yousouf el Shantamari, d'Hosein ibn Ahmed el Zauzeni, d'Abou Mansour Mauhoûb ibn Ahmed al-Hosra, d'Abou Zakaria Yahia al Tebrizi, d'Abou Djafar Ahmed ibn Mohammed el Nahhas as Saffar, d'Aboul Abbas Ahmed ibn Abd Allah el Ansari el Andalousi. Ces commentaires sont absolument indispensables pour l'intelligence de ces textes, dont la grande difficulté est l'étrangeté de leur vocabulaire, la grammaire étant la même ou à très peu de chose près que celle de l'arabe ordinaire. (E. Blochet). | |