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La Messiade

La Messiade, ou plutôt Le Messie, est un poème allemand en 20 chants, en vers hexamètres, composé par Klopstock, et mis ordinairement au nombre des épopées. Le sujet en est la vie du Messie, rédempteur du genre humain, à partir du moment où ses ennemis demandent sa mort; le dénouement est la victoire du Dieu de misérorde, et Ia réconciliation de l'espèce humaine avec son créateur. Bien que Klopstock n'ait pas divisé son oeuvre en deux parties, cependant les 10 premiers chants forment un poème complet qui finit à la mort du Sauveur : les 10 derniers, remplis par des hymnes qui se chantent dans les cieux, sont une espèce d'Oratorio, consacré à la résurrection du Christ

Le manque d'action, le défaut du péripétie, est le vice radical de la Messiade, et ce qui empêche les bons critiques de la considérer comme une épopée. Ils reprochent encore au poète d'avoir altéré la simplicité évangélique, et même le dogme. Le poème finit par une ode d'action de grâces au Sauveur. Tout le talent de Klopstock, essentiellement lyrique et descriptif, brille dans l'exécution. On y remarque les portraits des douze apôtres et de leurs anges gardiens (ch. 3), et beaucoup de très beaux chants; les épisodes de l'ange rebelle Abdiel-Abbadona, repentant et cherchant à faire du bien aux hommes (ch. 2 et 9); de Cidli et Sémida, ressuscités par Jésus, et qui s'aiment d'une affection pure et céleste (ch. 4 et 15); de Porcia, que Marie implore pour son fils (ch. 7); la mort de Marie-Madeleine (ch. 12); la vision d'Adam, à qui le Messie découvre une partie du jugement dernier (ch. 18, 10), etc.
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Mort du Messie

[Klopstock dépeint ainsi les derniers moments de Jésus : ]

« Un instant les couleurs de la vie ont reparu sur la face du Sauveur; mais bientôt elles pâlissent et disparaissent à jamais. Ses joues décolorées, déjà marquées du visible sceau du trépas, se flétrissent davantage. Chargé du poids du jugement inexorable, sa tête auguste fléchit; elle retombe sur son coeur. En vain il s'efforce de la relever vers les cieux, elle retombe sur sa poitrine haletante de douleur.

Suspendus comme des voiles funèbres, les plus sombres nuages couvrent de leurs contours ténébreux le silencieux Calvaire. Telle s'arrondit, formidable et pleine d'horreur, la voûte funéraire...

Déjà les anges du trépas pleurent sous ces nuées : ils s'avancent d'un vol haut et terrible. Leur regard perçant darde la flamme dévorante; leur front menaçant annonce la destruction, et leur noir vêtement paraît tissu des ténèbres de l'abîme. Ils foulent de leurs pieds d'airain le coteau funèbre; un instant ils fixent leurs regards sur l'auguste Victime; puis s'élevant, l'un vers la droite, l'autre vers la gauche, au-dessus de la croix, ils commencent autour d'elle leur vol retentissant... Ils portent les terreurs du Très-Haut; ils en répandent les torrents dans l'âme du Messie.

« Celui auquel tu t'immoles, Jéhovah, accepte ton holocauste divin!... Il est sans bornes, le courroux de celui dont la justice est l'essence! Toi-même tu te soumis à son infinie colère... Le cri de ton sang, dont la puissante voix appelle la clémence, ce cri du pardon est parvenu à son oreille divine; mais, hélas! il t'abandonne dans ton martyre, il t'abandonnera même à l'heure du trépas!... Peu d'instants encore, et ton dernier soupir a réconcilié les cieux! » Ainsi dit l'ange des vengeances, et soudain il détourne sa face où se peint l'épouvante.

En cet instant terrible, Jésus rouvrait sa mourante paupière; il élève vers les cieux son regard expirant, et d'une voix puissante laisse échapper une seule plainte, mais une plainte déchirante : Dieu, ô mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné!... Et les cieux consternés voilent leur face devant le redoutable mystère. Alors, et pour la dernière fois, un frémissement subit, terrible et fugitif effort de l'humaine nature, parcourt ses membres palpitants. Sa langue est brûlante des ardeurs du trépas; elle prononce avec peine ces paroles douloureuses : J'ai soif! Abreuvé d'une main barbare, il a soif encore; ses membres raidis frémissent à la fois, l'affreuse pâleur s'étend sur eux, son sang ruisselle, et l'Agneau s'écrie Ô mon Père! en tes mains je remets mon esprit!... Puis : Tout est consommé! Et sa tète auguste retombe sur son sein, et Jésus exhale son dernier soupir. » (Klopstock, Messiade, ch. X).

La Messiade parut en plusieurs fois : Klopstock donna les trois premiers chants en 1748, le quatrième et le cinquième en 1751, les 5 suivants en 1755; puis après un intervalle de 13 ans, il publia les chants 11 à 15, en 1768; et, cinq ans plus tard, en 1773, les chants 16 à 20. Son poème eut un immense succès : on n'en vit que les beautés, et la grande tendance que Klopstock avouait hautement, celle de créer une poésie nationale allemande. Ce but il l'atteignit, et Ie mouvement qu'il imprima a survécu à son succès; car aujourd'hui le Messie est un poème que les Allemands admirent beaucoup et lisent peu, à cause du vice de la composition : on en lit volontiers des fragments, et peu à la fois, tant la monotonie de l'ouvrage dompte l'admiration du lecteur. Néanmoins, il est toujours compté, avec raison, parmi monuments de la littérature germanique. C'est ce poème qui a naturalisé dans la poésie allemande le vers hexamètre qu'on y connaissait à peine.



En bibliothèque - Mme de Carlowitz a donné une traduction française; en prose; de la Messiade, Paris, 1859, gr. in-18.
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Dictionnaire Le monde des textes
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