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Littérature

Le merveilleux

L'intervention des êtres surnaturels dans les oeuvres littéraires constitue ce qu'on appelle en littérature le merveilleux. C'est surtout dans un poème épique ou dramatique qu'il trouve son emploi, soit que le poète l'emprunte aux croyances religieuses, à la magie, soit que son imagination l'invente. 

Le merveilleux dans l'Antiquité.
Essentiel  à l'épopée, car il la soustrait au péril de n'être qu'un genre faux d'histoire mensongère et fastidieuse, le merveilleux a partagé les destinées de la poésie épique. Chez les Anciens, il est presque exclusivement mythologique. Depuis Homère jusqu'à Quintus de Smyrne, depuis Virgile jusqu'à Stace, et même jusqu'à Claudien, la mythologie, transformée selon le caractère particulier des époques et le caprice du poste, tantôt seule, tantôt mêlée de nécromancie, comme dans Lucain, constitue le merveilleux de toute épopée grecque et romaine.

Le merveilleux dans Homère et chez les Grecs fait partie de la religion même et du symbolisme de la mythologie. Seulement; il convient de signaler entre Homère et ses imitateurs une différence radicale : les assemblées, les querelles des dieux, leurs apparitions sur la Terre, ne sont, pour ces derniers et pour leurs lecteurs qu'une machine épique; ils se permettent ces fictions au nom des droits qu'on est convenu de reconnaître à ce genre de poésie, et n'ont d'autre prétention que de relever ainsi, par l'emploi du surpaturel, les différents épisodes de leur oeuvre. Homère ignore quels privilèges lui donne ou lui refuse l'épopée : ce qu'il chante, il le croit; la foi naïve des âges antiques et la candeur du poète convertissent ses fictions en réalité, et c'est le mérite et la profonde originalité du merveilleux homérique que de n'être pas, pour ainsi dire, merveilleux.

Mystérieux et terrible comme les légendes de la vieille religion grecque, le merveilleux d'Eschyle, plus propre peut-être à étonner l'imagination qu'à émouvoir, nous jette dans un monde étranger au nôtre et presque fantastique. Témoin cette pièce étrange du Prométhée dont la critique discute encore le sens aujourd'hui, ou encore la ronde infernale qu'autour d'Oreste parricide dansent et chantent les Furies, vengeresses de Clytemnestre.

Sophocle, rapprochant l'Olympe de la Terre, et faisant de ses dieux des êtres qui ne demeurent plus, comme les personnages mythologiques de son devancier, en dehors de l'humanité, leur a donné un rôle plus moral et plus humain : tel est le double caractère de l'exposition de l'Ajax, où Athéna, après avoir frappé d'une folie soudaine le héros, prend plaisir à provoquer ses saillies insensées, ses menaces de mort contre Ulysse qui l'entend, et qui, sans songer au péril dont l'a sauvé la démence le son ennemi mortel, ne trouve plus que des paroles de pitié pour la faiblesse humaine. 

Euripide a gâté ce sont ses prédécesseurs avaient tiré de si dramatiques effets; son merveilleux, quelquefois plein de grâce et d'originalité pathétique, comme le dernier entretien d'Artémis avec Hippolyte, n'est plus, en général, qu'un merveilleux dégénéré; sorte d'expédient propre à tirer le poète d'embarras quand il a tout dit et qu'il ne sait comment quitter la scène.

La place du merveilleux, sauf de très rares exceptions, n'est ni dans la poésie légère, ni même dans l'ode, où les dieux ne seraient que des fictions mythologiques, des abstractions personnifiées et décorées d'attributs de convention; elle est dans la poésie dramatique, et surtout dans l'épopée, où la présence des dieux mêle en quelque sorte le Ciel à la Terre, et donne à ces deux poèmes une grandeur et un éclat parfois incomparables. Nous oublions volontairement ici la poésie comique, où la fantaisie d'un Aristophane a raillé les dieux, Héraclès et Dionysos surtout, dans des scènes du burlesque le plus délirant. 

Chez les Romains, dans Virgile par exemple, le merveilleux n'a plus pour ses contemporains la même réalité : l'imagination des lecteurs ne s'y laissait plus prendre; Lucain se contenta de la magie. 

Le merveilleux au Moyen âge et à la Renaissance.
Au Moyen âge et à la Renaissance, les croyances religieuses et le culte passionné des lettres païennes, produisirent un mélange bizarre. Le merveilleux reparaît avec les miracles et les scènes magiques qui remplissent les épopées italiennes; Dans la Divine Comédie, Dantemélange le merveilleux tiré de la mythologie antique à celui de la religion chrétienne : le narrateur passa l'Achéron pour aborder son Enfer, et le Léthé avant de monter au Ciel. Dans la Jérusalem délivrée, le Tasse, unit au merveilleux chrétien celui de la magie et abandonne la mythologie; le Tasse nomma Pluton dans son oeuvre. Camoëns alla jusqu'à rendre les Néréides amoureuses des Portugais, jusqu'à jeter Amphitrite dans les bras de Vasco de Gama; le lendemain, il est vrai, Amphitrite explique au héros qu'elle n'existe, elle, les Néréïdes, et tous les dieux de l'Olympe, que dans l'imagination des poètes. En même temps, le renom dont la superstition populaire honorait alors les astrologues et les magiciens inspirait au Tasse les célèbres épisodes des jardins d'Armide et de la forêt enchantée; de sorte que le merveilleux participait à la fois dû paganisme, du christianisme et de la sorcellerie.

Le merveilleux des Modernes.
Dans les épopées modernes, les luttes de l'Enfer avec le Ciel, sont autant de formes distinctes du merveileux. L'élément chrétien a fait disparaître ou, du moins, a éclipsé la mythologie. Dans le Paradis Perdu, Milton se borne pratiquement au merveilleux tiré de la Bible. Il conserve sans doute encore aux fleuves infernaux leurs dénominations grecques; mais la mythologie n'a pas obtenu place dans les épopées suivantes, et Desmarets de Saint-Sorlin, Chapelain, Klopstock et Chateaubriand ne lui ont rien emprunté, sinon peut-être quelques allégories; dans la Henriade, Voltaire y renonce complètement. Par ailleurs, les conditions du théâtre moderne semblent rendre difficile aux auteurs dramatiques l'emploi du merveilleux. L'esprit du temps expliquerait assurément les sorcières et les fantômes de Shakespeare; mais n'y aurait-il pas à faire des réserves sur le Méphistophélès de Goethe, quelles que soient d'ailleurs les beautés de son singulier drame?

La querelle des Anciens et des Modernes au XVIIe siècle avait  initié une longue et très vive discussion sur les mérites comparés du merveilleux chrétien et du merveilleux païen : Boileau prit en cette occasion, comme toujours, le parti des Anciens, et attaqua vivement le merveilleux de la religion chrétienne; il ne réussit pas cependant à faire revivre le merveilleux païen. La discussion se prolongera jusqu'au XIXesiècle.

Boileau, qui ne connaissait pas le Satan de Milton, enseigna que la religion chrétienne ne devait ni ne pouvait être substituée, dans le poème épique, à la mythologie. Dans des vers classiques, il dit qu'il ne fallait jamais rien offrir d'incroyable au spectateur. Marmontel, le cardinal de Polignac et Fontanes, pour des raisons analogues, empruntées à la nature du christianisme, soutinrent la même thèse. Desmarets répondit à Boileau ce que Chateaubriand (qui, avec son imagination plus poétique que religieuse, tenta  de mettre en jeu les mystères de la foi dans le Génie du Christianisme) répliqua plus tard à de Fontanes : que le christianisme est la religion qui se prête le plus à la poésie, et, pour le démontrer, l'un composa Clovis, et l'autre les Martyrs. On pourrait aussi dire que toute la tragédie grecque repose sur le merveilleux : Eschyle est avant tout un poète religieux; Sophocle en fait un emploi moins exclusif, mais aussi important; Euripide ne s'en sert plus que d'une manière accessoire. Les modernes ont usé du merveilleux dans la tragédie de la même manière qu'Euripide; ils le bornent à des apparitions, à des songes, comme l'apparition du père d'Hamlet, l'hallucination de Macbeth, le songe de Richard III dans Shakespeare. Celle, dans Faust, fait jouer au Diable, sous la figure de Méphistophélès, un rôle capital; mais c'est une forme philosophique et qui ne demande nulle croyance. 

Le merveilleux a ensuite joué pendant quelque temps un rôle limité : on pourrait citer comme modèle la petite nouvelle de Théophile Gautier intitulée Spirite. Les effets que l'on a cherché parfois à tirer du magnétisme ou du spiritisme, comme dans la pièce de Victorien Sardou qui porte ce nom, ont peu intéressé le public. Le merveilleux ne peut plus être goûté que par raffinement littéraire : les Contes de Perrault et les Mille et une Nuits auront toujours des lecteurs de tout âge. De nos jours le merveilleux est revenu en faveur en trouvant sa place dans des genres nouveaux : science-fiction, fantastique, heroic fantasy, etc. (A. H. / Ph. Berthelot).



Laurent Guyénot, La mort féerique : Anthropologie du merveilleux XIIe-XVe siècle, Editions Gallimard, 2011.
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A la fin du XIIe siècle se répand en France et en Angleterre une poésie inspirée par les contes et légendes dits de Bretagne. Suscitant un engouement extraordinaire, elle se propage bientôt dans toute l’Europe. Les aventures chevaleresques de ces lais et romans sont imprégnées de surnaturel : des fées issues de l’Autre Monde (Morgane, Mélusine, pour ne citer que les plus fameuses) se lient à des héros (Arthur, Lancelot), qui ont parfois eux-mêmes pour pères de mystérieux fairy knights, ou chevaliers faés. Loin de recueillir les vestiges d’une antique mythologie païenne, comme on l’a longtemps cru, ces féeries sont l’expression d’un imaginaire de la mort hérité, certes, de traditions
anciennes (germaniques aussi bien que celtiques) mais qui continue d’être largement partagé et renouvelé par la société médiévale laïque, seigneurs comme paysans, en dépit des clercs. Elles nous renseignent implicitement sur la façon dont on se représente alors une mauvaise mort, comment y échapper et s’assurer une bonne mort, ou encore dont on peut entretenir des relations avec les morts tant qu’on est vivant. 

En relisant et comparant ces récits et ces « cycles » à la lumière de l’anthropologie historique, Laurent Guyénot éclaire du même coup cette culture principalement orale, laïque et pourtant religieuse à sa manière, dont les ouvrages latins des lettrés ne nous ont transmis qu’une idée partielle et partiale. (couv.).

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