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Louis XI, pièce de Casimir Delavigne

Louis XI est une tragédie en cinq actes de Casimir Delavigne (Théâtre-Français, 11 février 1832). 

La scène se passe à Plessis-lez-Tours, dans les derniers jours du règne de Louis XI. Le roi est représenté méfiant, menteur, cruel, hanté par la peur de la mort, humble avec son médecin Coitier ou avec François de Paule. Près de lui vivent Commines et sa fille Marie. Celle-ci aime Nemours, dont le roi a fait jadis périr le père et les frères, et qui, sous le nom de comte de Rethel, vient à Plessis, comme ambassadeur du duc de Bourgogne, avec le dessein de se venger de Louis XI. Le rusé monarque fait avouer à Marie le véritable nom de l'ambassadeur et le fait arrêter. Nemours, auquel Coitier a donné le moyen de s'enfuir, reste caché dans la chambre du roi : c'est là qu'il entend sa confession à François de Paule, un des plus fameux morceaux de la pièce. Le roi resté seul, Nemours est sur le point de le frapper, mais il préfère le laisser vivre en proie à ses remords. Nemours, de nouveau emprisonné, va périr. Mais le roi lui-même est mourant. Il se réveille d'une faiblesse pour voir déjà la couronne sur la tête de son fils : il pardonne à Nemours, mais il est trop tard, le grand prévôt Tristan a déjà fait son office. Et le roi achève de rendre l'âme.

Dans cette tragédie, encore fidèle sur bien des points aux préceptes classiques, on trouve cependant des concessions au romantisme naissant, des efforts pour produire la couleur locale, et pour varier les impressions par le mélange d'épisodes, sinon comiques, du moins familiers.

" Louis XI, dit Duviquet, est une tragédie moderne, dans ce sens que le poète y a introduit des personnages qu'eût repoussés la dignité du cothurne antique. Je n'entends pas parler du prévôt Tristan, puisqu'il a son pendant dans le Narcisse de Britannicus; mais je parle du médecin Coictier, si utile cependant à l'action, et qui en est le principal et indispensable régulateur; je parle de ces danses ou de malheureux paysans sont condamnés a des démonstrations joyeuses, sous peine de la hart; de cette entrée solennelle du pieux anachorète de la Calabre, au milieu des cantiques des jeunes villageoises, et de l'appareil pompeux des symboles les plus sévères de la religion; je parle du barbir ministre, Olivier Le Daim; de l'épisode un peu hasardé des amourettes du dauphin avec la jeune et innocente Marie. Tous ces détails sont nouveaux, il faut en convenir, et ils eussent paru, il y a quelques années, incompatibles avec les formes reçues et avec la sévérité de l'ancienne tragédie."
Une première objection se présente ici contre le sujet même. Pour qu'un seul personnage suffise à défrayer cinq actes, il faut que, comme dans les pièces historiques de Shakespeare, il en soit fait une biographie complète, où les vicissitudes d'une vie de héros intéressent par la variété des incidents, à défaut de la péripétie d'une action unique. Tel n'est pas le cas de la tragédie de Casimir Delavigne. L'auteur a eu la prétention de faire connaître Louis XI tout entier en faisant assister le spectateur aux quinze derniers jours de sa vie; l'action unique qui sert au développement du caractère de Louis XI ne suffisant pas, l'auteur a dû rattacher épisodiquement aux scènes capitales où le roi joue le premier rôle toute une action secondaire qui ne se passe qu'en récits.

L'historien Commines joue cependant un rôle assez important. C'est lui qui fait l'exposition de la pièce, d'abord en relisant à haute voix une partie de ses Mémoires, puis dans une conversation familière avec Coitier. Ces deux hommes, courtisans chacun à leur manière, mais également cupides, également ambitieux, se font de ces demi-confidences qui éclairent l'avenir du drame. Le médecin Coitier tient tête au roi pendant plusieurs scènes, si bien qu'on serait tenté de croire, en voyant les traits effacés de Tristan, d'Olivier et des autres, que Louis XI n'a plus d'autre confident que son médecin. Pour Louis XI malade, c'est possible; mais il est un autre Louis Xl autrement intéressant à connaître, et c'est celui-là que l'auteur eût dû s'efforcer de peindre. La plus belle scène de l'ouvrage est, sans contredit, celle de la confession du roi pénitent tombant aux pieds de François de Paule. (PL / NLI).
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La confession de Louis XI

« LOUIS XI
Nous voilà sans témoins.

FRANÇOIS DE PAULE 
Que voulez-vous de moi?

LOUIS, Prosterné
Je tremble à vos genoux d'espérance et d'effroi.

FRANÇOIS DE PAULE
Relevez-vous, mon fils!

LOUIS
J'y reste pour attendre
La faveur qui sur moi de vos mains va descendre
Et veux, courbant mon front à la terre attaché, 
Baiser jusqu'à la place où vos pas ont touché.

FRANÇOIS
Devant sa créature, en me rendant hommage, 
Ne prosternez pas Dieu dans sa royale image.
Prince, relevez-vous.

LOUIS, debout
J'espère un bien si grand! 
Comment m'abaisser trop, saint homme, en l'implorant?

FRANÇOIS
Que puis-je?

LOUIS
Tout, mon père; oui, tout vous est possible! 
Vous réchauffez d'un souffle une chair insensible.

FRANÇOIS
Moi!

LOUIS
Vous dites aux morts : 
Sortez de vos tombeaux! Ils en sortent.

FRANÇOIS
Qui? moi?

LOUIS
Vous dites à nos maux :
Guérissez!...

FRANÇOIS
Moi, mon fils!

LOUIS
Soudain nos maux guérissent.
Que votre voix l'ordonne, et les cieux s'éclaircissent;
Le vent gronde ou s'apaise à son commandement;
La foudre qui tombait remonte au firmament. 
O vous qui dans les airs retenez la rosée 
Ou versez sa fraîcheur à la plante épuisée,
Faites d'un corps vieilli reverdir la vigueur. 
Voyez, je suis mourant, ranimez ma langueur 
Tendez vers moi les bras; touchez ces traits livides,
Et vos mains, en passant, vont effacer mes rides.

FRANÇOIS
Que me demandez-vous, mon fils! vous m'étonnez. 
Suis-je l'égal de Dieu? C'est vous qui m'apprenez 
Que je vais par le monde en rendant des oracles
Et qu'en ouvrant mes mains je sème les miracles
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LOUIS
Je me lasse à la fin : moine, fais ton devoir;
Exerce en ma faveur ton merveilleux pouvoir 
Ou j'aurai, s'il le faut, recours à la contrainte.
Je suis roi : sur mon front j'ai reçu l'huile sainte... 
Ah! pardon! mais aux rois, mais aux fronts couronnés 
Ne devons-nous pas plus qu'à ces infortunés, 
Ces affligés obscurs, que, sans votre prière,
Dieu n'eût pas de si haut cherchés dans leur poussière?

FRANÇOIS
Les rois et les sujets sont égaux devant lui
Comme à tous ses enfants, il vous doit son appui; 
Mais ces secours divins que votre voix réclame,
Plus juste envers vous-même, invoquez-les pour l'âme.

LOUIS
Non, c'est trop à la fois : demandons pour le corps;
L'âme, j'y songerai.

FRANÇOIS
Roi, ce sont vos remords, 
C'est cette plaie ardente et par le crime ouverte 
Qui traîne lentement votre corps à sa perte.

LOUIS
Les prêtres m'ont absous.

FRANÇOIS
Vain espoir! Vous sentez
Peser sur vos douleurs trente ans d'iniquités. 
Confessez votre honte, exposez vos blessures; 
Qu'un repentir sincère en lave les souillures.

LOUIS
Je guérirais?

FRANÇOIS
Peut-être.

LOUIS
Oui, vous le promettez :
Je vais tout dire.

FRANÇOIS
A moi?

LOUIS
Je le veux : écoutez.

FRANÇOIS, assis
Pécheur, qui m'appelez à ce saint ministère, 
Parlez donc.

LOUIS
Je ne puis et je n'ose me taire.

FRANÇOIS
Qu'avez-vous fait?

LOUIS
L'effroi qu'il conçut du dauphin 
Fit mourir le feu roi de langueur et de faim.

FRANÇOIS
Un fils a de son père abrégé la vieillesse?

LOUIS
Le dauphin, c'était moi.

FRANÇOIS
Vous!

LOUIS
Mais tant de faiblesse
Perdait tout, livrait tout aux mains d'un favori :
La France périssait, si le roi n'eût péri. 
Les intérêts d'État sont des raisons si hautes...

FRANÇOIS
Confessez, mauvais fils, n'excusez pas vos fautes!

LOUIS
J'avais un frère...

FRANÇOIS
Eh bien?

LOUIS
Qui fut... empoisonné.

FRANÇOIS
Le fut-il par votre ordre?

LOUIS
Ils l'ont tous soupçonné.

FRANÇOIS
Dieu!

LOUIS
Si ceux qui l'ont dit tombaient en ma puissance!

FRANÇOIS
Est-ce vrai?

LOUIS
Du cercueil son spectre qui s'élance 
Peut seul m'en accuser avec impunité.

FRANÇOIS
C'est donc vrai?

LOUIS
Mais le traître, il l'avait mérité.

FRANÇOIS, se levant
Et contre ses remords ton coeur cherche un refuge! 
Tremble! j'étais ton frère et je deviens ton juge.

Ecrasé sous ta faute au pied du tribunal,
Baisse donc maintenant, courbe ton front royal.
Rentre dans le néant, majesté périssable!
Je ne vois plus le roi, j'écoute le coupable : 
Fratricide, à genoux!

LOUIS, tombant à genoux
Je frémis!

FRANÇOIS
Repens-toi.

LOUIS, à terre
C'est ma faute, ma faute, ayez pitié de moi!
En frappant ma poitrine, à genoux je déplore, 
Sans y chercher d'excuse, un autre crime encore.

FRANÇOIS, qui retombe assis
Ce n'est pas tout?

LOUIS
Nemours?... Il avait conspiré 
Mais sa mort... son forfait du moins est avéré;
Mais sous son échafaud ses enfants dont les larmes... 
Trois fois contre son maître il avait pris les armes. 
Sa vie, en s'échappant, a rejailli sur eux. 
C'était juste.

FRANÇOIS
Ah! cruel!

LOUIS
Juste, mais rigoureux.
J'en conviens : j'ai puni; non, j'ai commis des crimes. 
Dans l'air le noeud fatal étouffa mes victimes; 
L'acier les déchira dans un puits meurtrier; 
L'onde fut mon bourreau, la terre mon geôlier 
Des captifs que ces tours couvrent de leurs murailles 
Gémissent oubliés au fond de ses entrailles.

FRANÇOIS
Ah! puisqu'il est des maux que tu peux réparer, 
Viens!

Louis, debout
Où donc?

FRANÇOIS
Ces captifs, allons les délivrer.

LOUIS
L'intérêt le défend.

FRANÇOIS, aux pieds du roi
La charité l'ordonne Viens, viens sauver ton âme.

LOUIS
En risquant ma couronne!
Roi, je ne le peux pas.

FRANÇOIS
Mais tu le dois, chrétien.

LOUIS
Je me suis repenti, c'est assez.

FRANÇOIS, se relevant
Ce n'est rien.

LOUIS
N'ai-je pas de mes torts fait un aveu sincère?

FRANÇOIS
Ils ne s'effacent pas tant qu'on y persévère.

LOUIS
L'Église a des pardons qu'un roi peut acheter.

FRANÇOIS
Dieu ne vend pas les siens : il faut les mériter. »
 

(C. Delavigne, extrait de Louis XI, acte 4, scène VI).
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