La confession de Louis XI « LOUIS XI Nous voilà sans témoins. FRANÇOIS DE PAULE Que voulez-vous de moi? LOUIS, Prosterné Je tremble à vos genoux d'espérance et d'effroi. FRANÇOIS DE PAULE Relevez-vous, mon fils! LOUIS J'y reste pour attendre La faveur qui sur moi de vos mains va descendre Et veux, courbant mon front à la terre attaché, Baiser jusqu'à la place où vos pas ont touché. FRANÇOIS Devant sa créature, en me rendant hommage, Ne prosternez pas Dieu dans sa royale image. Prince, relevez-vous. LOUIS, debout J'espère un bien si grand! Comment m'abaisser trop, saint homme, en l'implorant? FRANÇOIS Que puis-je? LOUIS Tout, mon père; oui, tout vous est possible! Vous réchauffez d'un souffle une chair insensible. FRANÇOIS Moi! LOUIS Vous dites aux morts : Sortez de vos tombeaux! Ils en sortent. FRANÇOIS Qui? moi? LOUIS Vous dites à nos maux : Guérissez!... FRANÇOIS Moi, mon fils! LOUIS Soudain nos maux guérissent. Que votre voix l'ordonne, et les cieux s'éclaircissent; Le vent gronde ou s'apaise à son commandement; La foudre qui tombait remonte au firmament. O vous qui dans les airs retenez la rosée Ou versez sa fraîcheur à la plante épuisée, Faites d'un corps vieilli reverdir la vigueur. Voyez, je suis mourant, ranimez ma langueur Tendez vers moi les bras; touchez ces traits livides, Et vos mains, en passant, vont effacer mes rides. FRANÇOIS Que me demandez-vous, mon fils! vous m'étonnez. Suis-je l'égal de Dieu? C'est vous qui m'apprenez Que je vais par le monde en rendant des oracles Et qu'en ouvrant mes mains je sème les miracles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LOUIS Je me lasse à la fin : moine, fais ton devoir; Exerce en ma faveur ton merveilleux pouvoir Ou j'aurai, s'il le faut, recours à la contrainte. Je suis roi : sur mon front j'ai reçu l'huile sainte... Ah! pardon! mais aux rois, mais aux fronts couronnés Ne devons-nous pas plus qu'à ces infortunés, Ces affligés obscurs, que, sans votre prière, Dieu n'eût pas de si haut cherchés dans leur poussière? FRANÇOIS Les rois et les sujets sont égaux devant lui Comme à tous ses enfants, il vous doit son appui; Mais ces secours divins que votre voix réclame, Plus juste envers vous-même, invoquez-les pour l'âme. LOUIS Non, c'est trop à la fois : demandons pour le corps; L'âme, j'y songerai. FRANÇOIS Roi, ce sont vos remords, C'est cette plaie ardente et par le crime ouverte Qui traîne lentement votre corps à sa perte. LOUIS Les prêtres m'ont absous. FRANÇOIS Vain espoir! Vous sentez Peser sur vos douleurs trente ans d'iniquités. Confessez votre honte, exposez vos blessures; Qu'un repentir sincère en lave les souillures. LOUIS Je guérirais? FRANÇOIS Peut-être. LOUIS Oui, vous le promettez : Je vais tout dire. FRANÇOIS A moi? LOUIS Je le veux : écoutez. FRANÇOIS, assis Pécheur, qui m'appelez à ce saint ministère, Parlez donc. LOUIS Je ne puis et je n'ose me taire. FRANÇOIS Qu'avez-vous fait? LOUIS L'effroi qu'il conçut du dauphin Fit mourir le feu roi de langueur et de faim. FRANÇOIS Un fils a de son père abrégé la vieillesse? LOUIS Le dauphin, c'était moi. FRANÇOIS Vous! LOUIS Mais tant de faiblesse Perdait tout, livrait tout aux mains d'un favori : La France périssait, si le roi n'eût péri. Les intérêts d'État sont des raisons si hautes... FRANÇOIS Confessez, mauvais fils, n'excusez pas vos fautes! LOUIS J'avais un frère... FRANÇOIS Eh bien? LOUIS Qui fut... empoisonné. FRANÇOIS Le fut-il par votre ordre? LOUIS Ils l'ont tous soupçonné. FRANÇOIS Dieu! LOUIS Si ceux qui l'ont dit tombaient en ma puissance! FRANÇOIS Est-ce vrai? LOUIS Du cercueil son spectre qui s'élance Peut seul m'en accuser avec impunité. FRANÇOIS C'est donc vrai? LOUIS Mais le traître, il l'avait mérité. FRANÇOIS, se levant Et contre ses remords ton coeur cherche un refuge! Tremble! j'étais ton frère et je deviens ton juge. Ecrasé sous ta faute au pied du tribunal, Baisse donc maintenant, courbe ton front royal. Rentre dans le néant, majesté périssable! Je ne vois plus le roi, j'écoute le coupable : Fratricide, à genoux! LOUIS, tombant à genoux Je frémis! FRANÇOIS Repens-toi. LOUIS, à terre C'est ma faute, ma faute, ayez pitié de moi! En frappant ma poitrine, à genoux je déplore, Sans y chercher d'excuse, un autre crime encore. FRANÇOIS, qui retombe assis Ce n'est pas tout? LOUIS Nemours?... Il avait conspiré Mais sa mort... son forfait du moins est avéré; Mais sous son échafaud ses enfants dont les larmes... Trois fois contre son maître il avait pris les armes. Sa vie, en s'échappant, a rejailli sur eux. C'était juste. FRANÇOIS Ah! cruel! LOUIS Juste, mais rigoureux. J'en conviens : j'ai puni; non, j'ai commis des crimes. Dans l'air le noeud fatal étouffa mes victimes; L'acier les déchira dans un puits meurtrier; L'onde fut mon bourreau, la terre mon geôlier Des captifs que ces tours couvrent de leurs murailles Gémissent oubliés au fond de ses entrailles. FRANÇOIS Ah! puisqu'il est des maux que tu peux réparer, Viens! Louis, debout Où donc? FRANÇOIS Ces captifs, allons les délivrer. LOUIS L'intérêt le défend. FRANÇOIS, aux pieds du roi La charité l'ordonne Viens, viens sauver ton âme. LOUIS En risquant ma couronne! Roi, je ne le peux pas. FRANÇOIS Mais tu le dois, chrétien. LOUIS Je me suis repenti, c'est assez. FRANÇOIS, se relevant Ce n'est rien. LOUIS N'ai-je pas de mes torts fait un aveu sincère? FRANÇOIS Ils ne s'effacent pas tant qu'on y persévère. LOUIS L'Église a des pardons qu'un roi peut acheter. FRANÇOIS Dieu ne vend pas les siens : il faut les mériter. » (C. Delavigne, extrait de Louis XI, acte 4, scène VI). |