| Jules César est une tragédie en cinq actes, de Shakespeare. "La conjuration dont César fut la victime, dit Montagne, différa presque autant des crimes que font commettre les passions basses et mauvaises, que la vertu diffère du vice. Elle fut ennoblie par les plus graves motifs; c'étaient le génie de Rome, les droits de sa constitution, l'esprit de ses lois, qui s'élevaient contre l'ambition de César. Ces motifs armèrent la main du vertueux Brutus, et le forcèrent, en quelque sorte, à porter en gémissant le coup mortel dans le sein du conquérant illustre qui avait rendu les Romains maîtres du monde. " Tel est le sujet de la tragédie de Shakespeare, et jamais sujet ne fut plus digne de la muse tragique que cet événement, si terrible par lui-même, si important par ses suites et st fameux par la grandeur de la victime et des citoyens qui immolèrent César à la liberté de Rome. Cette tragédie aurait dû plutôt s'intituler Brutus. Brutus, en effet, à la têta de ses conjurés, les premiers citoyens du plus puissant peuple du monde, paraît bien autrement grand que César, prêt à monter sur le trône. Brutus, assassin de César qu'il aimait et dont il était chéri; Brutus, souillant ses mains d'un meurtre et conservant un coeur pur, est l'être moral le plus rare et le plus sublime que puisse rêver une imagination de poète. Si Antoine a dit de lui : "Voilà un homme", Shakespeare put à son tour dire avec non moins de raison : "Voilà un caractère"; et, en effet, c'est le plus beau qui ait jamais été mis sur la scène. La vérité des moeurs et des peintures est surtout admirable dans cette pièce, et l'on citera toujours la harangue d'Antoine au peuple romain. Cet admirable discours est si adroit, si éloquent, si bien approprié au sujet et aux circonstances, qu'il est impossible que la harangue du véritable Antoine ait été plus pathétique et plus propre, à soulever le peuple. Brutus, avons-nous dit, est le véritable héros de la pièce; c'est son caractère qui domine tout; c'est sa mort qui fait le dénouement; mais comme l'assassinat de César est le noeud du sujet, c'est le vainqueur de Pompée qui donne son nom à l'ouvrage. La traduction que Voltaire a faite des trois premiers actes de cette tragédie les a rendus familiers à beaucoup de lecteurs. Voltaire, cependant, peut-être pour rehausser l'éclat de la tragédie qu'il a composée sur le même événement, semble s'être fait un malin plaisir de présenter un grand nombre de passages sous un point de vue ridicule, qu'ils n'ont pas dans l'original, et il serait injuste de prononcer sur l'ouvrage de Shakespeare d'après une traduction qui se rapproche quelquefois du ton et de l'intention de la parodie. "Jamais peut-être, dit P. Duport, le génie du poète anglais n'a saisi des caractères inconnus, n'a ressuscité une époque historique avec plus de force et de vérité. Shakespeare pénètre dans le coeur de la situation; il comprend, il devine les intérêts, les passions, les sentiments qui durent animer les principaux acteurs de ce grand drame politique, et même ceux, de la simple populace, dont il peint merveilleusement la mobilité dans les jours de révolution; en un mot, il nous étale le spectacle de Rome toute vivante et tout animée. Mais s'il évoque, pour ainsi dire, les Romains par la Puissance de son art, s'il leur rend la vie et s il les replace dans leur action, il ne sait pas également retrouver leur langage. Semblable à un peintre ou à un statuaire, il nous montre ses personnages dans l'attitude qui leur était naturelle; il nous fait même conjecturer ce qu'ils ont dû dire, mais il ne nous le dit pas. Presque toutes les formes de son style appartiennent à un ordre de civilisation qui n'a pas la plus légère analogie avec la société romaine, telle que nous la retracent Plutarque, et surtout Cicéron dans ses lettres familières ". Ajoutons que, dans cette tragédie, l'action est double, et ces défaut est d'autant plus sensible que l'intérêt des trois premiers actes reposant sur une conspiration très animée, les deux derniers ne font plus que languir. Voici l'opinion de Villemain : "Le reproche que Fénelon faisait à notre théâtre, d'avoir donné de l'emphase aux Romains, s'appliquerait bien plus au Jules César du poète anglais. César, si simple par l'élévation même de son génie, ne parle presque dans cette tragédie qu'un langage fastueux et déclamatoire. Mais, en revanche, quelle admirable vérité dans le rôle de Brutus! Comme il paraîit tel que la montre Plutarque, le plus doux des hommes dans la vie commune, et se portant par vertu aux résolutions hardies et sanglantes! Antoine et Cassius ne sont pas représentés avec des traits moins profonds et moins distincts. J'imagine que le génie de Plutarque avait fortement saisi Shakespeare, et lui avait mis devant les yeux cette réalité quel pour les temps modernes, Shakespeare prenait autour de lui. Mais une chose toute neuve, toute créée, c'est l'incomparable scène d'Antoine soulevant le peuple romain par l'artifice de son langage; ce sont les émotions de la foule à ce discours, ces émotions toujours rendues d'une manière si froide, si tronquée, si timide dans nos pièces modernes, et qui là sont si vives et si vraies, qu'elles font partie du drame et le poussent vers le dénouement." Plusieurs tragédies sur le même sujet semblent avoir précédé, en Angleterre, celle de Shakespeare, qui parut, suivant Malone, en 1607. Cette pièce a été ensuite retouchée, à différentes époques, par Davenant, Dryden et le duc de Buckingham. En France elle est devenue classique, et a eu de nombreux imitateurs ou traducteurs parmi lesquels Letourneur, Guizot et Victor Hugo. (PL). | |