| L'Impromptu de Versailles est une comédie en un acte et en prose, de Molière (1663). - L'auteur s'y représente faisant répéter à la hâte un impromptu à ses comédiens. Il répond à cette occasion, sur l'ordre du roi, aux attaques jalouses suscitées par le succès de l'Ecole des Femmes (1662) et auxquelles la Critique de l'école des Femmes (1663) n'avait pas imposé silence. La Critique de l'École des femmes avait pu rassurer certains partisans de Molière en leur démontrant, par l'organe de Dorante, que leur admiration ne s'était pas fourvoyée et qu'ils n'avaient pas eu tort de se divertir. Mais cette réplique aux détracteurs de l'École des femmes avait aussi eu pour effet plus certain de susciter à notre poète de nouveaux ennemis. Il faut placer au premier rang les comédiens de l'hôtel de Bourgogne (en particulier Montfleury, dont il raille l'obésité et la diction emphatique), justement alarmés des succès d'une troupe rivale, qui semblait devoir les supplanter dans la faveur du roi. Ils avaient essayé de défendre leur privilège en invoquant la protection de la reine mère. Mais le crédit de Molière n'avait pas été ébranlé par cette manoeuvre de ses envieux, et bientôt les grands comédiens se virent réduits à satisfaire leur dépit en faisant injurier et calomnier leur rival triomphant. Ils trouvèrent, pour l'accomplissement de cette basse besogne, deux jeunes écrivains également avides de renommée, De Visé, le futur fondateur du Mercure galant, et Boursault, qui devait faire un meilleur emploi de son talent en écrivant son Ésope à la cour. De Visé composa un pamphlet dialogué qu'il intitula Zélinde, comédie, ou la Véritable critique de l'École des femmes, et la Critique de la critique. Il ne se contentait pas d'y censurer le poète : il attaquait avec une extrême violence l'homme et le comédien, ne reculant devant aucune de ces insinuations calomnieuses qui devaient être renouvelées contre Molière à chacun de ses succès. L'auteur, avec une perfidie qui surprend un peu chez un jeune homme de vingt-trois ans, sut intéresser à sa cause la morale et la religion, également outragées, si nous l'en croyons, par l'École des femmes. Boursault reprit ces griefs dans sa comédie satirique le Portrait du peintre ou la contre-critique de l'École des femmes, qui fut jouée sur la scène de l'Hôtel de Bourgogne (octobre 1663). On chercherait vainement dans ce pamphlet les qualités de verve et d'esprit capables d'en justifier le succès. Le Portrait du peintre eut cependant une heureuse fortune : il l'a dut peut-être au jeu passionné des interprètes, plus probablement à toutes les jalousies et à toutes les rancunes que cette satire devait satisfaire. Au nombre des mécontents on se plaît à citer Corneille, auquel Molière semble bien avoir songé dans le passage de la Critique où il établit, entre la comédie et la tragédie, un parallèle assez désobligeant pour celle-ci. Boursault n'eût donc été que le prête-nom d'une cabale, et, si nous en croyons Molière, ses illustres ennemis, désireux de l'humilier par l'indignité même de son adversaire, lui auraient opposé un «-auteur sans réputation » Mais la riposte de Molière ne devait pas longtemps se faire attendre. Le poète avait été encouragé par le roi lui-même à répondre aux attaques de ses détracteurs. Il le fit avec une promptitude et une vigueur qui durent déconcerter les comédiens de l'hôtel de Bourgogne. L'Impromptu de Versailles, joué pour la première fois devant le roi, le 14 octobre 1663, ne semble pas en effet avoir demandé à son auteur plus d'une semaine de travail. Reprenant une idée bien des fois exploitée depuis le début du siècle, Molière nous ouvre les coulisses de son théâtre et nous fait assister aux divers incidents d'une répétition. Nous voyons le poète-acteur au milieu de ses comédiens, distribuant les rôles, parlant à chacun avec une autorité tempérée de douceur et de bonhomie, donnant des conseils sur la déclamation, des indications sur le caractère des personnages, et, à propos de tout, daubant sur l'hôtel de Bourgogne et sur M. Boursault. A ce propos, on a reproché à Molière d'avoir usé dans l'Impromptu « des licences de l'ancienne comédie grecque » et on a rappelé le souvenir d'Aristophane. On pouvait aussi faire observer que, par une contradiction singulière, dans la pièce même où Molière se défend de « toucher aux personnes », il désigne par leur nom en les couvrant de ridicule la plupart de ses adversaires. Mais il ne faut pas oublier que Molière avait été personnellement attaqué avec la dernière violence, qu'on ne lui avait épargné aucun outrage, et qu'il eut toujours le bon goût de ne critiquer chez ses ennemis que ce qui appartenait au public, chez les comédiens les ridicules de leur débit et de leur jeu, chez Boursault la platitude de sa pièce. La scène de l'Impromptu où Molière se moque des comédiens de l'hôtel de Bourgogne et les contrefait, semble avoir servi de modèle aux imitations des comédiens en vogue, qui défrayent ce qu'il est convenu d'appeler l'acte des théâtres. Nous voyons que Molière, par une conséquence naturelle de sa poétique, voulait aussi faire entrer la vérité et le naturel dans la déclamation théâtrale. Mais ce qui nous intéresse surtout dans l'Impromptu, c'est tout ce que nous y apprenons sur l'art de Molière, sur le travail intime de son génie : c'est bien là que nous voyons à l'oeuvre cet infatigable observateur, qui, au milieu des tracas d'une répétition, ne cesse pas d'étudier ceux qui l'entourent, et, avec l'activité d'un esprit créateur, s'approprie aussitôt ses observations, les utilise et les met en oeuvre. Un des premiers rôles de l'hôtel de Bourgogne, si cruellement raillés par Molière, était Montfleury. Son fils, qui n'était pas sans talent, crut devoir venger son père en ripostant à l'Impromptu de Versailles par l'Impromptu de l'hôtel de Condé (novembre ou décembre 1665). Plus discret que les détracteurs de Molière, Montfleury se contenta de ridiculiser les pièces du poète et surtout le jeu de l'acteur. Nous retrouvons malheureusement les grossièretés et les calomnies, qui furent l'arme favorite des ennemis de Molière. dans une oeuvre nouvelle de l'implacable de Visé, Réponse à l'Impromptu de Versailles ou la Vengeance des Marquis. L'auteur, qui ne pouvait se dissimuler la portée d'une semblable accusation, s'efforçait de démontrer qu'en attaquant les marquis Elomire (anagramme de Molière fréquemment employé par ses ennemis) offensait le roi lui-même : en effet ne forment-ils pas sa cour, et ne sont-ils pas associés à ses plaisirs et à ses victoires? Cette insinuation était aussi grotesque que perfide alors que Louis XIV avait témoigné au poète sa bienveillance en lui «-commandant » de confondre ses adversaires : aussi ne faut-il retenir de cet odieux pamphlet que la constatation du triomphe définitif de Molière et de la faveur persistante dont il est honoré par le roi. Sûr de cette protection toute-puissante, le poète n'avait qu'à poursuivre sa tâche, et il suffit de consulter la scène III de l'Impromptu pour voir que dès lors les « sujets » ne lui manquaient pas. (E. Thirion). | |