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Huon de Bordeaux est une chanson de geste. Ella a été composée par un trouvère dont on ne connaît ni le nom ni le pays, vers la fin du XIIe siècle ou, plus certainement dans le premier tiers du XIIIe, à une époque où la veine héroïque commençait à s'épuiser, où les romans bretons (Le cycle de la Table ronde) s'emparaient de la faveur jusque-là réservée aux oeuvres françaises, et où les poèmes d'aventures allaient remplacer les poèmes dits historiques ou chansons de geste. Ce roman est écrit, comme les chansons de geste primitives, en laisses assonancées; comme certaines d'entre elles, il se rattache à l'histoire légendaire de Charlemagne ; comme la plupart, c'est une oeuvre de jongleur, et l'auteur y fait à plusieurs reprises appel à la générosité d'un auditoire qui était celui des places publiques. Mais, par le fond, Huon de Bordeaux n'a rien de commun avec les anciennes légendes héroïques. C'est un éblouissement d'aventures merveilleuses comme on en trouve plutôt dans certains romans courtois; et ceux-ci, le poète les connaissait bien : il y a puisé abondamment les traits qui font la couleur particulière de son récit nains et lutins, anneaux magiques, pays étranges, palais enchantés. Pour avoir ainsi dévié de la tradition épique, il n'en a pas moins réussi une oeuvre en elle-même pleine de charme. Prenant ses matériaux un peu partout, il les a ajustés avec infiniment de goût, et il entraîne ses auditeurs par les chemins de la plus ravissante féerie il a su, de plus, utiliser comme un des ressorts de l'action le caractère de son héros, cet « enfant » Huon, si joliment inventé, avec sa témérité ingénue, ses brusques caprices, son insouciance, et cette étourderie amusante qui lui fait oublier constamment les ordres de son bienfaiteur Auberon (Obéron). Certains spécialistes considèrent le personnage d'Obéron comme un emprunt fait par le trouvère français à la Germanie; il ne serait autre que l'Alberich des Niebelungen, du Heldenbuch, du poème d'Otnit, etc. H. de La Villemarqué lui attribuait, au contraire, une origine celtique, et l'identifiait avec un personnage de la féerie bretonne, Gwyn-Araun. Dans tous les cas, l'auteur de Huon de Bordeaux a beaucoup ajouté de son fonds à l'invention allemande ou celtique.On doit à la fantaisie de ce poète une des fictions les mieux contées du Moyen âge. En voici le sujet : • La trahison. - Huon et Gérard, fils de Séguin, duc de Bordeaux, sont accusés auprès de Charlemagne par Amaury de la Tour de Rivier, qui convoite leurs domaines, de vouloir se soustraire à l'hommage.L'auteur de Huon de Bordeaux a donc pris un sujet ou tout au moins un cadre carolingien; il a donné à son poème la forme consacrée de la chanson de geste, c.-à-d. le mètre de 10 syllabes et les couplets monorimes, mais a fait de son héros un chercheur d'aventures, et introduit dans son oeuvre le merveilleux féerique. Un auteur allemand, Ferdinand Wolf, a pensé qu'il avait existé un poème plus ancien, dont celui-ci ne serait qu'un remaniement; mais aucun argument sans réplique n'appuie sa conjecture. Huon de Bordeaux est un des meilleurs romans de chevalerie que nous possédions, et on peut le préférer au poème allemand que Wieland en tira au XVIIIe siècle. Valeur littéraire du Huon, selon Léon Gautier. - « Huon de Bordeaux est un roman d'aventures où n'ont pas seulement pénétré les péripéties et, l'esprit anecdotique de la Table ronde, mais aussi les fictions celtiques dans ce qu'elles ont de plus merveilleux. Il n'est peut-être pas une seule oeuvre de Chrétien de Troyes, de ses devanciers ou de ses élèves, où il y ait autant de féeries, et de féeries aussi pou déguisées. Que penser de ce château de Dunostre « à l'entrée duquel sont deux hommes de cuivre, armés chacun d'un fléau de fer, qui ne cessent de battre hiver comme été, de telle sorte qu'une alouette légère ne saurait pénétrer dans le palais sans tomber sous leurs coups? » Et le haubert qui rend invulnérable ? Et la belle princesse qui est prisonnière? Non, il n'est rien de plus fort dans Perceval le Gallois. Si Huon de Bordeaux était en vers de huit syllabes, on n'oserait certes pas le placer au nombre des romans de France », malgré le nom de Charlemagne, malgré la révolte, de Huon contre le grand Empereur. A tout prendre, il faut considérer ce roman comme le plus parfait modèle des poèmes qui ont servi de transition entre la vieille école des chansons de geste et l'école nouvelle des romanciers de la Table ronde. Oeuvre de juste-milieu ou de fusion, qui a joui sans doute, d'un certain succès; mais qui n'a eu aucun résultat durable. Et c'est le caractère essentiel de toutes les oeuvres de cette nature. » (L. G.).
« Fils, viens en avant, viens sans retard;Charlot fait toutes les promesses qu'on lui demande, et se voit déjà le diadème au chef. Cette exposition est plutôt belle, et le spectacle de ce vieillard ôtant sa couronne de sa tête pour la placer sur le front de son fils qu'il aime malgré mille défauts, ce spectacle est noble et touchant. Cependant, nous n'avons pas encore vu le traître faire son apparition dans le roman; mais le voici. Il a un vrai nom de traître, il s'appelle Amaury. « C'est grand péché », dit-il à Charlemagne, « de donner à votre fils votre royaume, quand vous n'y êtes ni aimé ni respecté. Je sais telle terre, non loin d'ici, où celui qui se réclamerait de votre nom serait coupé en pièces.» Charles jette un cri d'étonnement. - Cette terre », reprend Amaury, « c'est Bordeaux. Le vieux duc Seguin est mort depuis sept ans. Il a laissé deux fils, Huon et Gerard. Ce sont des lâches, des rebelles qui se refusent à vous servir. Si vous voulez me confier quelques chevaliers, j'irai les saisir dans Bordeaux, et vous les ferez pendre à Paris. »Amaury n'ajoute pas que, s'il donne au roi ce conseil sanguinaire, c'est uniquement parce qu'il est animé contre les fils du duc Seguin d'une haine toute personnelle. Seguin lui a jadis enlevé un château de grand prix voilà pourquoi Amaury veut la mort des deux innocents. Mais c'est en vain qu'il s'agite, c'est en vain qu'il essaye de soulever l'indignation contre les prétendus rebelles. Le vieux Naimes défend la mémoire de Seguin, son vieux compagnon d'armes : il excuse les Bordelais; il est écouté. Bref, il est décidé qu'on enverra seulement un message à Bordeaux pour sommer les fils de Seguin de se présenter à la cour. Les messagers, tout aussitôt, se mettent en route avec cette belle rapidité qu'ont tous les ambassadeurs des chansons de geste. Ils arrivent; ils remplissent leur mission. Mais, au lieu de trouver des révoltés, ils sont accueillis par des barons fidèles et soumis : « Nous irons fort volontiers en France, nous servirons le Roi, nous lui baiserons le pied. »Et en effet Huon et Gérard se jettent dans les bras de leur mère et lui font leurs adieux. La duchesse leur donne ses derniers conseils, et ils font joyeusement leurs préparatifs de départ. « Hugues s'en va a demandé son congé,Les voilà sur le chemin de Paris.... L'embuscade. Tout à coup Charlot se précipite au-devant des Bordelais : « Beau neveu », dit l'abbé de Cluny à Huon, si vous avez fait tort à quelqu'un, c'est le moment de vous amender. - Je n'ai jamais fait tort d'un parisis à qui que ce soit », répond le fils aîné de Seguin, et il envoie son frère Gérard à la rencontre de Charlot. Le fils de Charles, en vrai félon, se jette tout armé sur cet enfant sans armes; il le renverse à terre demi-mort. Personne, d'ailleurs, ne reconnaît l'hoir de France, et il sait abuser de cette circonstance. Mais l'heure du châtiment a sonné. Huon a senti tout sonsang frémir dans ses veines à la vue du pauvre Gérard si injustement frappé. Il s'élance sur Charlot et, d'un de ces terribles coups dont seuls les personnages de Games of thrones ont encore le secret, le fend en deux. Amaury, le traître Amaury, qui a exposé à dessein la vie de son complice, est plus joyeux de cette mort que les Bordelais eux-mêmes : « La France est à moi, dit-il. Charlot est mort, et, avant la fin de l'année, j'auraiEt alors, on voit deux troupes d'hommes armés sortir de ce bois où vient de mourir le fils du grand Empereur. Amaury, d'une part, se dirige vers Paris, avec le corps inanimé de Charlot suspendu à l'arçon de sa selle. Dans l'autre groupe on aperçoit Huon, non loin de son frère Gérard, qui a grand-peine à se tenir sur son « cheval Arrabi », et dont les plaies ont été bandées avec soin. Les quatre-vingts moines de Cluny, avec l'abbé, suivent les deux orphelins. Et ou vont-ils ainsi? Les uns et les autres se rendent au palais de Charles, et vont y demander justice. Charlemagne, hélas! ne s'attend guère au grand coup qui va le frapper. Le jugement de Dieu. « Sainte Marie! s'écrie Charles, que vais-je devenir?Quant au coupable, le Roi jure qu'il périra. Il ignore toujours que le coupable, c'est son fils. Mais des cris se font entendre, des pleurs, des sanglots. Bourgeois, dames, écuyers et sergents s'arrachent les cheveux et se tordent les mains. Un mot retentit qui couvre tous les autres : « Charlot, Charlot. » L'Empereur l'entend; il frémit : « J'ai entendu nommer mon fils», dit-il à Naimes. « Je vous dis qu'on a nommé mon enfant », répète le vieillard. « C'est lui, c'est lui qui aura été tué par Huon. »Au même instant, on lui présente sur un écu le corps inanimé de son fils, et le malheureux père se pâme cinq ou six fois. « Sire », dit Naimes, « conduisez-vous en gentilhomme, et demandez plutôt à Amaury le nom du meurtrier. Le meurtrier? » répond Amaury en fixant son doigt sur Huon, « le voilà!-»Colère de Charles; réponse de l'accusé, fière et noble; calomnies nouvelles et mensonges d'Amaury. Le tout devait se terminer et se termine en effet par un défi, par un jugement de Dieu, par un duel. Amaury s'arme, son adversaire aussi; ils fournissent leurs otages, qu'on charge de lourdes, chaînes durant le combat. La Messe du jugement commence. Huon met Dieu de son côté en faisant aux pauvres de belles largesses, et, par un premier miracle, Dieu révèle en effet l'innocence du fils de Seguin. L'Empereur cependant s'est mis en place, et le duc Naimes donne le signal du combat. Le duel est long, trop long peut-être; les trouvères se complaisaient en ces descriptions savantes de beaux coups d'épée. De telles pages sont tout un cours d'escrime. Le dénouement, du reste, n'est douteux pour personne. D'un dernier coup, plus terrible que tous les autres, le jeune Bordelais fait voler la tête d'Amaury sur le champ du combat. Le voilà tout joyeux de son triomphe; mais, hélas! il s'est trop hâté : les lois du duel exigent que le vaincu fasse avant sa mort l'aveu de son crime. Or, les lèvres froides d'Amaury ne peuvent plus faire cet aveu, et la victoire de Huon est inutile. Charlemagne le déclare au jeune vainqueur : « Votre duché de Bordeaux est à moi. - J'en appelle à mes pairs », s'écrie Huon.Les onze Pairs se jettent alors aux pieds de l'Empereur irrité et lui demandent la grâce du vainqueur. Mais Charles n'a que la mort de son fils en mémoire; il ne peut supporter la vue de l'innocent meurtrier, et résiste à toutes ses prières : « Laissez-moi, laissez-moi, dit-il. Quand tous les. hommes me supplieraient pour Huon, je ne les écouterais point. »Et il s'obstine dans sa fureur. Jusque-là le grand Empereur a joué passablement son rôle. Le Charlemagne de Huon de Bordeaux ne s'est pas montré trop distinct du Charlemagne de la Chanson de Roland. Mais ici va commencer la débâcle. Le duc Naimes, plein de cette insolence féodale qu'il sait parfois concilier avec sa sagesse, déclare au Roi de Saint-Denis que, puisqu'il ne veut pas accorder son pardon au vainqueur d'Amaury, les Pairs ne veulent plus demeurer davantage à sa cour. Et, en effet, les onze Pairs s'éloignent du pauvre Empereur, qui, les voyant partir, se met à fondre en larmes. Il les rappelle, il leur promet d'en passer par toutes leurs volontés; la royauté s'humilie, elle s'abaisse aux pieds de ces vassaux rebelles. Ils consentent à rester. près de cette vieillesse suppliante. Huon, du moins, comprend mieux son devoir-: il s'agenouille devant le Roi, et va même trop loin dans ses protestations de dévouement : « Il n'est pas de travail, il n'est pas de peine que je n'endurerais pour faire votre volonté, même en enfer, si j'y pouvais aller. »Puis, il, lève les yeux vers Charlemagne, qui lui va dicter ses conditions de paix. Ces conditions, quelles sont-elles? Si nous voulions répondre à cette question d'après le commencement de notre chanson, d'après, cette première partie que nous venons d'analyser, nous supposerions volontiers que les épreuves imposées à Huon par la volonté de Charlemagne vont avoir un caractère héroïque. Sans doute, dirions-nous, il s'agit de quelque cité païenne il emporter d'assaut, de quelque beau royaume à conquérir. Eh bien! nous nous tromperions étrangement. L'auteur de Huon de Bordeaux a jusqu'ici suivi résolument le grand chemin de l'épopée; mais tout à coup il va gauchir, et prendre le sentier des romans d'aventures. Voyant devant lui deux écoles poétiques, celle des chansons de geste, celle des poèmes bretons, il n'a voulu appartenir ni à l'un ni à l'autre de ces partis extrêmes : il a voulu être du juste milieu. Et c'est précisément ici, c'est à cet endroit de son poème qu'il va changer de route. Au lieu de ces conditions épiques que les deux mille, premiers vers de Huon de Bordeaux nous permettaient d'espérer, Charlemagne impose au vainqueur des épreuves dignes des contes de fées. Il faudra que le jeune Bordelais, pour obtenir le pardon de l'Empereur; aille à Babylone porter un message à l'amiral Gaudisse; il faudra qu'il coupe la tête au premier païen qu'il rencontrera dans le palais, et qu'il donne trois baisers à la belle Esclarmonde, fille de Gaudisse; il faudra enfin qu'il fasse à l'Amiral une sommation insolente, et que le roi sarrasin envoie à Charles sa barbe blanche et quatre de ses grosses dents! Huon sera chargé de rapporter ces gages de la soumission de Gaudisse. Et, s'il ne remplit pas heureusement cette mission plus que délicate, notre héros sera pendu. Nous sommes bien en plein roman d'aventures, et que tout cela a un parfum de Table ronde. Selon L. Gautier, on tombe même ici du drame aux tréteaux de la foire... Pélerinages de Huon à Rome et à Jérusalem. « Lors s'en va Huon qui moult se lamenta;Mais Dieu prend soin d'essuyer les larmes du fils de Seguin. Il lui envoie un ami : c'est Garin de Saint-Omer, qui exerce a Brindes (Brindisi) la profession de marinier, et qui est la fois le parent du Pape et celui de notre Bordelais Garin n'a pas un de ces dévouements pusillanimes qui reculent devant un grand sacrifice. Pour s'attacher à la fortune de son neveu, il quitte comme lui femme, enfants, tout. Et les voilà qui, tout d'abord, vont faire ensemble un pèlerinage à Jérusalem et poser leurs lèvres sur la pierre du Saint Sépulcre. Ils veulent attirer sur leur entreprise les bénédictions de Celui qui fut « navré de la lance. » Et maintenant, tous les préliminaires du grand voyage sont achevés; Huon s'apprête à remplir les rudes conditions que lui a imposées la colère de Charlemagne, et se dirige vers la mer Rouge, vers la cour du roi Gaudisse. Nous allons entrer en plein merveilleux-: Oberon, le petit Oberon, va paraître. Le petit roi sauvage, Oberon. Le Nain va maintenant faire la rencontre de Huon de Bordeaux, et réellement il était temps : car notre roman compte déjà plus de trois mille vers.
Dans le Songe d'une nuit d'été, Shakespeare a conservé à son Oberon le caractère qu'il avait déjà dans la chanson du XIIe siècle, et le « petit roi salvaige » est bienfaisant dans l'oeuvre du dramaturge anglais comme dans celle de notre trouvère. A peine l'enchanteur a-t-il vu le Bordelais, qu'il se prend d'affection pour lui et veut devenir son protecteur. C'est en vain que « l'enfes Hues » veut échapper à cette protection dont il a peur : Oberon, par mille enchantements terribles, le retient de force dans le bois merveilleux. Il suscite un orage épouvantable contre son protégé involontaire. Huon s'enfuit, Huon refuse de parler au magicien : car il sait qu'une parole, une seule parole le perdrait pour toujours et le placerait malgré lui sous le joug d'Oberon. Mais le roi de trois pieds touche son cor, et quatre cents cavaliers-fées jaillissent du sol et se disposent à poursuivre énergiquement le fils de Seguin et ses compagnons, dont la résistance sera inutile. C'est par excès d'amour qu'Oberon veut leur faire tant de mal. Enfin, Huon est vaincu par tant de bonté... et par tant de puissance : il se décide à capituler et se jette de lui-même sous la suzeraineté de l'enchanteur. Oberon le va récompenser dignement de cet hommage forcé : il se fait dès lors son conseiller, son ami, son soutien. Les pauvres Bordelais meurent de faim : tout aussitôt un « grant palais plenier » se dresse devant eux et, chose plus désirable, dans ce palais s'épanouit une table abondamment servie. On croit lire Aladin ou la Lampe merveilleuse. Huon n'est pas retenu par tant de merveilles; il ne veut pas s'endormir dans ces délices de Capoue : « Je voudrais bien m'en aller », dit-il fort naïvement au petit roi fée. « Attends au moins que je t'aie fait mes présents, dit Oberon. Tu en auras peut-être besoin pendant que tuHuon, qui se croit la conscience très pure, fait l'expérience du hanap, et fort heureusement elle réussit. « Vous plairait-il maintenant de me laisser partir? » - Non », répond le Nain, « je t'aime tant, que je veux encore te donner mon cor d'ivoire. Toutes les fois que tu seras en péril, sonne de ce cor, et je viendrai à ton secours avec une armée de cent mille hommes. Mais n'en sonne pas inutilement. Et maintenant, adieu, tu peul t'en aller. »Oberon embrasse le jeune Bordelais, et pleure à chaudes larmes en le voyant partir. Huon, plus joyeux, court à ses aventures. Aventures de Huon avant d'arriver à Babylone. « Pardon, pardon », s'écrie-t-il, « de vous avoir invoqué sans besoin. » -« Je te pardonne », dit le petit roi sauvage; « mais je pleure à la pensée des malheurs qui vont t'arriver par ta faute. Adieu : tu emportes mon coeur avec toi. »Huon aime Oberon, mais il en est bien plus aimé. C'est d'ailleurs une âme bien faible que celle de notre héros : il est ondoyant, léger, curieux, fragile, jeune enfin, et beaucoup trop jeune. Il court au-devant de dangers qu'il est tout à fait inutile de braver. Par exemple, il apprend qu'un de ses oncles, un traître, un renégat du nom d'Eudes, habite à Tormond, et que Tormond n'est pas loin : tout aussitôt il y veut aller, il veut affronter la puissance de ce misérable qui tous les jours persécute, emprisonne et tue les chrétiens. Il est, au reste, plein d'une confiance aveugle dans le hanap et dans le cor de son protecteur Oberon; mais il perd le cor merveilleux, et avec lui sa meilleure défense. Le voilà en présence du duc Eudes, son oncle, et il a l'imprudence de vanter devant lui les vertus de son hanap. Eudes se sent d'autant plus vivement blessé par les forfanteries de son neveu, que, n'étant pas en état de grâce, il n'a pu tremper ses lèvres dans le vin de la coupe magique. Bref, il veut assassiner son neveu : procédé à l'usage de tous les traîtres des romans médiévaux. Le malheureux Huon est saisi, est emprisonné, va mourir. Mais, ô bonheur! il retrouve son cor et, nouveau Roland, le sonne avec une telle force, qu'il se rompt les veines et que le sang jaillit, rouge, de sa bouche. Un grand bruit se fait et maintenant on croirait une scène de Star Wars : ce sont les cent mille hommes d'Oberon qui se précipitent dans Tormond, s'abattent sur les païens et les taillent en pièces. Oberon est à leur tête : il commande le massacre et sauve une fois de plus son cher protégé. Eudes a la tête tranchée, et c'est Huon lui-même qui délivre le monde de ce « félon prouvé »! Il semble, vraiment, que le jeune vainqueur ait le ferme propos de désobéir toujours aux sages recommandations de son protecteur. C'est contrairement à l'avis d'Oberon qu'il a affronté la colère de son oncle le renégat; c'est encore malgré le « petit roi sauvage » qu'il veut aller se mesurer dans le château de Dunostre avec le terrible géant l'Orgueilleux. Il oublie le but de son voyage; il oublie Charlemagne, Gaudisse, Esclarmonde, et se transforme de plus en plus à nos yeux étonnés en un véritable chevalier de la Table ronde, aimant les aventures pour elles-mêmes et les cherchant avec volupté. Il n'hésite pas à faire cet aveu à son ami Oberon : « Car por çou vin de France le rené,Hélas! Oberon aime Huon de Bordeaux comme une mère aime son enfant, et soyez sûrs qu'il le secourra quand même... Voilà Huon parti. C'est ici que nous sommes décidément en plein roman d'aventures; c'est ici que l'on croirait lire un fragment de Perceval, n'étaient ces couplets monorimes et ces vers décasyllabiques si caractéristiques de la chanson de geste. Le château de Dunostre ressemble étrangement aux châteaux magiques tant de fois décrits par Chrétien de Troyes et ses prédécesseurs. A la porte se voient deux hommes de cuivre qui ont chacun un fléau de fer à la main et ne cessent de battre hiver comme été. Le géant a dix-sept pieds de haut. Il possède un haubert merveilleux plus blanc que les fleurs du pré : ce haubert appartint jadis à Oberon, et rend invulnérable celui qui le porte. C'est cette armure qui a séduit Huon : il la veut conquérir à tout prix, il la conquerra. Pour achever de rendre la ressemblance de notre chanson plus frappante encore avec les Romans de la Table ronde, il nous manquait une damoiselle persécutée,« une L'auteur n'a pas voulu déroger à cet usage littéraire. Aux fenêtres du château de Dunostre apparaît un clair visage: c'est celui de la « pucelle Sebile ». Elle ouvre à Huon les portes terribles de ce palais de l'Orgueilleux, et bientôt il la reconnaît. C'est la propre nièce du duc Sequin de Bordeaux, et sa cousine : elle est deux fois intéressée à son salut. Huon s'aperçoit alors que le géant est paisiblement endormi; mais le jeune Bordelais est trop peu félon pour le tuer durant son sommeil : il l'éveille et le défie. Faut-il raconter le reste? Un duel inévitable, un duel terrible aura lieu entre le géant de dix-sept pieds et le pauvre petit Huon qui n'a plus rien à espérer de son ami Oberon. Notre héros, par bonheur, ne perd pas la tête et se tire spirituellement d'affaire. Jamais on n'a mieux vu que dans cette circonstance se réaliser la parole du poète : « D'affreux géants très bêtes vaincus par des nains pleins d'esprit. » L'Orgueilleux manque évidemment de clairvoyance; il permet à son jeune adversaire de revêtir un moment le fameux haubert. Or, nul ne peut endosser cette armure, s'il n'est prud'homme et sans péché mortel, « et nés et purs com s'il fust noviax nés ». Huon remplit toutes les conditions de ce difficile programme il revêt le haubert et, malgré les prières du géant, ne veut plus s'en dessaisir. Puis, assuré du triomphe, il bondit, et coupe la tête de l'Orgueilleux. Il jette alors un cri de victoire, appelle ses compagnons qui étaient restés sous les murs du château, et, sans prendre le temps de se reposer dans sa gloire, part pour le royaume de Gaudisse et confie sa cousine Sebile à ses Bordelais. Ces amis dévoués l'attendront toute une année, s'il le faut. Il était temps, d'ailleurs, que Huon pensât enfin à ses affaires et n'eût plus tant de distractions en route. Comme il est sur le bord de la mer, tout en pleurs et ne sachant comment la traverser, un lutin s'offre à ses yeux, sous la forme du plus bel homme qu'on puisse voir. « Comment t'appelles-tu? dit Huon. - Ma labron est mon nom. -D'oie viens-tu? - C'est Oberon qui m'envoie. - Que peux-tu faire pour moi? - Monte sur ma croupe, et je te transporterai en un instant jusqu'aux portes de la cité de Gaudisse. »Malabron prend alors la forme d'une bête marine et reçoit l'ami d'Oberon sur sa croupe docile. Une minute après, Huon était en effet aux portes de la cité de Gaudisse, et le lutin avait disparu. Huon à Babylone. « Je ne vous aimerai point, dit-il, tant que vous serez païenne. - N'est-ce queElle dit très rapidement son Credo, et se préoccupe beaucoup plus vivement de la délivrance de son ami. Elle fait passer Huon pour mort, attend avec anxiété l'heure ou elle pourra s'enfuir librement avec lui, et, pour hâter cet heureux moment, va jusqu'à lui faire une de ces propositions qui sont si communes chez les nouvelles converties des anciens romans : « Si vous le voulez, nous couperons le cou à mon père. »Huon refuse. Il se réjouit d'ailleurs d'être réuni, à la suite d'aventures quelque peu compliquées, avec ses treize compagnons, et il espère en l'avenir Bientôt il va trouver une excellente occasion de se réconcilier avec Gaudisse lui-même, qui le croit mort depuis longtemps. Un horrible géant, frère de l'Orgueilleux (il porte un nom redoutable, Agrappart), vient, jusque dans Babylone, insulter le père d'Esclarmonde et le défier. Qui oserait relever un tel défi? Ah! si Huon n'était pas mort! « Il vit », s'écrie Esclarmonde, et, si vous le voulez bien, mon père, il sera votre champion contre Agrappart. »Le Bordelais reparaît alors, et dicte ses conditions à Gaudisse. Il exige qu'on lui rende le cor d'Oberon, le hanap merveilleux et le haubert magique. Puis, fier et sûr de sa victoire, il attaque soudain le géant, qui est rapidement vaincu. Mais Gaudisse, une fois ce grand péril heureusement dissipé, témoigne au jeune vainqueur moins de reconnaissance. C'est en vain que le représentant de Charlemagne le somme de se convertir à sa religion : Gaudisse déclare qu'il n'est pas suffisamment convaincu; il va, jusqu'à mettre en doute les vertus du cor d'Oberon. Mais Huon lui ménage une démonstration formidable : il fait un appel au roi-fée, et soudain les cent mille chevaliers d'Oberon tombent sur Babylone et, de leurs épées terribles, tranchent la tête à tous les païens qui ne veulent pas se convertir. Deux mille Sarrasins tombent aux genoux de cette armée miraculeuse : « Nous croyons en Dieu », s'écrient-ils. On les épargne, on les baptise. « Et toi, Gaudisse, ne te convertiras-tu point? - Mahomet est mon Dieu; je mourrai avant de le renier », répond l'Amiral avec fierté. Huon n'hésite plus, il tue Gaudisse; puis, d'une main fiévreuse, lui coupe la barbe et lui arrache les quatre, dents mâchelières Voilà donc enfin toutes les exigences de Charlemagne satisfaites : Huon peut maintenant rentrer en France; il est sûr d'y recevoir un bon accueil et d'y trouver le grand Empereur tout a fait apaisé. Et voilà aussi où le roman aurait dû finir. Avec un tel dénouement, cette histoire aurait du moins offert une apparence d'unité qui lui fait défaut. Mais, hélas le lecteur a encore à lire trois mille huit cents vers! Décidément, il faut résumer le résumé. Retour à Bordeaux. Pendant que l'ami d'Oberon rend son nom illustre dans tout l'Orient; pendant qu'il sait donner à tant de hauts faits leur digne couronnement. en conduisant Esclarmonde aux pieds de l'Apostole; pendant qu'on baptise la païenne qui se confesse de tous ses «-peciés creminés » et que le Pape célèbre le mariage de Huon avec la fille de Gaudisse, un traître commande à Bordeaux; un traître s'est emparé de l'héritage légitime du jeune duc, et a usurpé tous ses droits. Et ce misérable n'est autre que Gérard, le propre frère de notre héros. Gérard n'attendait plus Huon : il avait épousé la fille du traître Gibouard, et voulait garder à tout prix un si beau fief si injustement usurpé. C'est donc en vain que le fils aîné du duc Seguin a couru tant de dangers, traversé tant de mers, vaincu tant d'ennemis; c'est donc en vain qu'il montre à sa jeune femme les belles murailles de Bordeaux : il ne pourra même plus entrer dans sa ville, ni commander dans son fief; il sera un étranger sur sa propre terre. Tout d'abord, son frère Gérard lui montre un visage charmant, « et chil le baise en autel loiauté - Que fist Judas qui traï Damedé ». Et, en effet, une embuscade est dressée contre Huon, qui ne sait pas se défier de son frère : les compagnons du légitime seigneur sont mis à mort et leurs corps sont jetés à l'eau; Huon lui-même est brutalement emprisonné. L'innocence, comme on le voit, est bien loin de triompher et le crime est insolemment victorieux. Mais qu'on se rassure : le roman ne peut ainsi finir. L'innocence triomphera. Le fils de Seguin a deux défenseurs : l'un dans le monde merveilleux, c'est le petit roi Oberon; l'autre dans le monde réel, c'est le vieux duc Naimes. Surtout, il a pour lui la justice. Charlemagne, qui de plus en plus perd la tête et devient « rassoté », commence par entrer en une de ses colères d'enfant contre Huon qui, au dire du traître Gérard, n'a pas rempli sa mission auprès du roi Gaudisse : « Sire », lui dit Naimes, « allez à Bordeaux, et jugez par vous-même. » L'Empereur s'y laisse conduire, mais c'est pour ordonner la mort du malheureux Huon, qui décidément est déclaré coupable et ne peut fournir les preuves de l'heureux succès de son voyage à Babylone. Gérard, en effet, s'est emparé des dépouilles du roi Gaudisse, et Naimes essaye fort inutilement de défendre un accusé qui n'a pour lui que le sincère accent de sa parole. Ce prétendu coupable sera pendu. Esclarmonde, dont la conversion fut trop légère, n'hésite pas alors à blasphémer le Dieu qu'elle a confessé dans un accès de sensibilité amoureuse : « Si vous mourez, je renierai la chrétienté », dit-elle.Mais qui s'intéresse à Esclarmonde? Comme toutes les princesses sarrasines des romans médiévaux, comme presque toutes les femmes épiques, elle n'a pas d'âme vivante, elle n'a même pas de passion vraie, elle ne sait pas ce que c'est que la lutte morale, et la plus injustement traitée des héroïnes de roman moderne a plus d'épaisseur que toutes ces poupées mécaniques et sensuelles imaginées par les trouvères. L'auteur s'attache davantage à Huon : « Trestuit proioient pour le caitif HuonUn héros qui pleure est un héros qui vit. Naimes, hélas! ne peut rien pour lui, et il a en vain recours à un dernier argument qui ne touche guère Charlemagne : « Sire », lui dit-il, « vous ne pouvez juger les Pairs qu'à Saint-Omer, Orléans ou Paris. » Le vieux duc espère par là gagner du temps. Mais l'Empereur a soif du supplice de Huon. Il est temps qu'Oberon paraisse Le merveilleux petit nain est le Deus ex machina qui va mettre fin à ce trop long roman, et ce ne sera pas le moindre de ses prodiges. Aux portes de la ville, autour du palais, un bruit effrayant se fait entendre, comme le bruit d'une armée immense : cliquetis de fer, hennissements de chevaux, tempête de voix. C'est Oberon avec ses cent mille hommes qui accourt enfin à la délivrance de son malheureux protégé. Le petit roi de Monmur entre, fier et presque insolent, dans le palais du Roi de Saint-Denis. A sa voix, les fers de notre héros tombent à terre, et cet innocent se relève, Oberon devant lui, sur une table plus haute de deux pieds que celle de Charlemagne, a placé son fameux hanap, son haubert et son cor d'ivoire. Il paraît que les barons français n'avaient pas alors leurs consciences très nettes : car aucun d'eux ne peut boire dans la coupe magique, qui ne se remplit que sous les lèvres d'un chrétien en état de grâce. Charlemagne, par-dessus tout, est accusé par Oberon d'un péché monstrueux (peut-être un inceste, selon Léon Gautier), que le Nain, en sa bonté, ne veut pas révéler aux barons. Après avoir ainsi convaincu tous les Français de sa puissance et du misérable état de leurs âmes, il en arrive à proclamer la parfaite innocence du frère de Gérard. Il raconte les voyages de Huon, et tout ce qu'a fait son jeune ami à la cour de Gaudisse, pour obtenir enfin sa réconciliation avec l'empereur Charles. Puis, le petit roi-fée se tourne, terrible, vers les traîtres Gérard et Gibouard : «-Faites l'aveu de votre crime », leur crie-t-il. Ils le font, tout tremblants, et, sur-le-champ, malgré les supplications de Huon en faveur de son frère, ils sont pendus. L'innocence triomphe et le crime est puni. Et au milieu de tous ces prodiges, des éclats de cette joie et des baisers de cette réconciliation, au moment même où Charles vient de rendre enfin tous ses fiefs au protégé d'Oberon, quand le vieux Naimes est plus joyeux que tous les autres de ce dénouement inespéré, Oberon s'apprête à quitter ce palais où il a fait triompher la justice : « Huon, dans trois ans, vous viendrez à ma cité de Monmur, et je vous donnerai mon royaume. Vous porterez au front couronne d'or. Quant à moi, je ne veux plus demeurer dans le siècle; je vais aller là-haut, là-haut, en paradis. Notre-Seigneur m'appelle, et mon siège est préparé à sa droite. Adieu. »Oberon disparaît, et le roman finit enfin. (L. G.). Le cycle de Huon de Bordeaux. Ce poème a été continué, refondu, rajeuni plusieurs fois dans les siècles suivants : au XIVe siècle déjà, il s'était accru d'une suite, qui le portait de 10 000 vers à près de 30.000, et d'une espèce de prologue intitulé le Roman d'Auberon. Dans les manuscrits du XVe siècle, on lui trouve une suite différente, ou bien la forme du roman entier est remaniée, l'alexandrin ayant remplacé le vers de 10 syllabes. En 1454, on en fit une version en prose, imprimée pour la première fois en 1516, puis fréquemment reproduite. Avec le Roman d'Auberon et les suites de Huon, c'est tout un cycle qui s'est formé. • Auberon. • Huon, roi de Féerie. « Oiez, seigneur,. [oiez] que Diex vous soit amis,Esclarmonde accouche d'une fille, nommée Judic : « Plus belle rien ne vit nulz hons vivant. »Cependant, le temps est proche où Huon doit monter au royaume de Féerie, près d'Auberon. Il réunit sa gent et laisse sa terre à Geriame. Regrets universels. Adieux de Huon à Esclarmonde et à sa fille. Son voyage à Rome, où il se confesse à l'Apostole (248 v°). De Rome il va à Brandis (Brindisi), et s'y embarque. Il recommande une dernière fois son royaume, sa femme et sa fillette à Geriame qui l'a « convoié » jusque-là. Puis, il part et se dirige vers la Terre-sainte, où il va adorer le saint sépulchre (249 r°). De là il va vers la mer Rouge, puis traverse le Famenie (C'est une terre où moult ait povertel), et le pays des Commans (Se sont teil gent qui ne goustent de bleif : maix la chair crue). Après un long voyage, il arrive enfin au bocage d'Auberon. Le petit roi de Monmur est sur-le-champ instruit de l'arrivée de son cher Huon à qui il veut donner « toute sa royauté »: Il lui envoie Malabron (249 v°). Grand repas : dix mille Fées, sont présentes. Couronnement de Huon qui prend possession du royaume de Féerie, où il règne encore, dit l'auteur. Le lutin Malabron a été chargé de lui amener sa fille Judic et Esclarmonde, qui est couronnée reine (250 r° et v°). Ici le poète laisse Huon et nous entretient d' « Agrappart le malvaix » . C'est un géant « qui tant parestoit lais ». Guerre de Huon, le roi de Féerie, avec les géants. Il a coupé l'oreille d'Agrappart, en un combat singulier, et celui-ci ne rêve que de se venger. Il y est excité par sa mère, un véritable monstre qui a douze pieds de haut; tous les fils de cette géante sont des géants dont le moins grand a douze pieds. Guerre terrible dont le lutin Malabron est le héros; il sauve Huon et tue Agrappart. Pour le remercier, Huon lui donne sa fille Judic en mariage. Noces (250 v°). Une nouvelle guerre s'élève, où Geriame joue un rôle important ; mais elle ne doit pas être de longue durée : car le roman n'a plus qu'un feuillet, plus qu'à moitié déchiré et difficilement intelligible (251 r° et v°). • Esclarmonde. « Si choisi ung tonnel de fin cueur de chesne, lequel estoit lyé et bendés de fortes bendes de chesnes et alloit rondelant par le marchaiz (ung grant marchaiz lequel duroit bien trois getz d'arc de long)... Moult se donna grandes merveilles quelle chose se povoit estre que ainsi veoit ce tonnel courre et racourre par le desert, bruyant comme une tempeste. Et ainsi que assez près de lui alloit passant, il ouyt une voix moult piteuse qui dedans le tonnel se pletgnoit. Et quand il l'eut ouy par deux ou trois fois, il s'aprocha et dist : « Chose qui dedans ce tonnel es, parle à moi, et me dis qui tu es ne quelle chose il te fault, ne pourquoi tu es là mis ». Et quant celui qui là dedans estoit se vuyt ainsi conjurer, il respondist : « Sachez pour verité que, j'ay à nom Caïen, et fuz fiz d'Adam et de Eve, et fuz celui qui occis Abel, mon frère. »Après cet épisode étrange et qui nous fait penser à Dante, Huon rentre dans la vie active en s'emparant de Coulandres; accomplit dévotement son pèlerinage au Saint-Sépulcre et fait voile vers la France. Il était temps qu'il y arrivât. L'Empereur, dont le neveu avait été victime d'une embuscade de l'abbé de Cluny, avait ordonné qu'Esclarmonde fut brûlée vive; mais Auberon, que le romancier s'est bien gardé de faire disparaître trop tôt, est venu au secours de la femme de Huon, par ses deux messagers, Gloriant et Malabron. Huon arrivé à Cluny rend, avec une autre de ses pommes, une jeunesse florissante à l'abbé de cet illustre monastère qui méritait bien ce présent, et il se réconcilie avec l'Empereur. Puis, il quitte de nouveau sa femme Esclarmonde et sa fille Clairette, et va rendre visite à Auberon. Un lutin qui a pris la forme d'un moine, l'emporté en l'air jusqu'au pays d'Auberon, qui donne son royaume à Huon et Esclarmonde. • Clairette et Florent. • Ide et Olive. • Godin. • Croissant. La descendance du texte médiéval. Oberon figure dans le drame de Jacques IV par Robert Greene; Spenser, dans sa Reine des fées, lui fait une généalogie; Shakespeare lui a donné un rôle dans le Songe d'une nuit d'été, à l'époque où l'on jouait encore en Angleterre un drame de Huon de Bordeaux; enfin Ben Johnson, et, au XIXe siècle, Sotheby, l'ont mis en scène dans ces pièces de fantaisie que les Anglais nomment masque. En Allemagne, on l'a dit, Wieland prit le sujet de son poème d'Oberon dans l'analyse que Tressan avait faite de Huon de Bordeaux pour la Bibliothèque des romans; il inspira à son tour l'opéra d'Oberon par Weber, oeuvre qui date de 1826, et qu'on n'a jouée à Paris qu'en 1857. (B. / L. Gautier).
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