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Le cycle de Garin de Monglane
(La geste de Guillaume)
La Geste de Garin de Monglane ou de Guillaume au Court-Nez est un cycle de chansons de geste regroupant au total vingt-quatre chansons qui s'ordonnent, selon l'ordre généalogique, autour des noms de Garin de Monglane (ou Montglane), d'Hernaut de Baulande, son fils, d'Aymeri de Narbonne, son petit-fils, et de Guillaume d'Orange ou Guillaume au Cort-Nez, son arrière-petit-fils. 

Les vingt-quatre chansons du cycle

1° Les Enfances Garin de Montglane; 
Garin de Montglane
Girart de Viane
4° Hernaut de Beaulande; 
5° Renier de Gennes; 
Aimeri de Narbonne
Les Enfances Guillaume;
8° Le Département des enfants Aimeri;
9° Le Siège de Narbonne (longtemps confondu avec les Enfances Guillaume);
10°  Le Couronnement Looys
11° Le Charroi de Nismes;
12° La Prise d'Orange
13° Les Enfances Vivien;
14° Le Covenant Vivien;
15° La bataille d'Aleschans ou Aliscans, qu'on l'a quelquefois séparé en deux parties, dont la seconde a été intitulée Renoart ou Rainouart
16° La Bataille de Loquifer
17° Le Moniage Rainouart
18° Le Siège de Barbastro et Beuve de Commarcis, qui en est le remaniement; 
19° Guibert d'Andrenas
20° La Prise de Cordres;
21° La mort d'Aimeri de Narbonne ou la Bataille des Sagittaires; 
22° Renier
23° Foulque de Candie;
24° Le Moniage Guillaume.
Le plus ancien manuscrit cyclique est celui de l'Arsenal 6562, qui nous offre le texte plus ou moins complet des quatre chansons suivantes, dont le lien est encore plus ancien et plus intime : Aliscans, la Bataille Loquifer, le Moniage Rainouart (ou Renoart) et le Moniage Guillaume

Quelques Chansons ajoutées après coup et destinées trop visiblement à combler certaines lacunes de la légende portent le nom d'incidences : tels sont le Siège de Barbastro et la Mort d'Aimeri

La plupart de ces chansons de geste ne sont que des remaniements de poèmes antérieurs. Pour un des romans les plus récents et les plus médiocres, on a conservé à la fois l'original (Siège de Barbastro) et le rifacimento, dû à Adenet le Roi (Beuve de Commarcis). Il est aussi resté quelques fragments d'un remaniement de Girart de Viane.

Deux des chansons, Hernaut de Beaulande et Renier de Gennes, ne nous sont parvenues que sous la forme d'un roman en prose. Toutefois, dans chacun de ces romans, un couplet en vers  a été heureusement conservé.

Contenue dans des manuscrits qui, tous sauf un, sont des manuscrits « cycliques », la geste se développe comme une vaste histoire dont toutes les parties sont solidaires les unes des autres. Les légendes qu'elles mettent en oeuvre se laissent pour la plupart localiser en des sanctuaires qui, de Saint-Julien de Brioude à I'église de Martres-Tolosane (Vivien), marquaient des étapes sur l'une des principales routes du pèlerinage de Compostelle, la Via Tolosana

Toutes ces chansons enfin procèdent d'une même idée qui circule de l'une à l'autre. Aux temps anciens, un petit seigneur, sans terre, Garin, s'était taillé un fief en s'emparant du château sarrasin de Monglane; puis, ayant élevé ses quatre fils : Girard, Hernaut, Milon, Renier, il les avait chassés de chez lui pour les animer à conquérir, eux aussi, leurs fiefs sur l'ennemi.
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Manuscrit du Departement des Enfants d'Aimeri
Page d'un manuscrit du 
Departement des Enfants d'Aimeri.

De même, Aymeri, fils d'Hernaut, a conquis à son tour le fief de Narbonne, puis a chassé ses sept fils : Guillaume, Bernard, Bovon (Beuve), Hernaut, Garin, Guibert, Aïmer, lesquels, selon l'usage héréditaire, se taillent à leur tour chacun leur fief par l'épée : les fiefs d'Orange, de Brusban, de Commarcis (ou Comarchis), de Gérone, d'Anseüne, d'Andrenas (ou Andernas), à l'exception toutefois d'Aïmer, qui ne joint à son nom celui d'aucune cité, parce qu'il a juré de ne jamais coucher sous un toit tant que les Sarrasins occuperont la terre chrétienne.

La destinée de tous ces héros est, comme celle de Charlemagne et de ses pairs, de lutter contre les païens; toutefois, il s'agit pour eux, non seulement d'exalter la chrétienté, mais de se faire leur place au soleil; et s'ils sont, comme les Roland et les Olivier, les champions de Dieu, ils portent cependant en leur coeur un nouveau principe d'honneur : le souci de la tradition familiale. Donnée moins grande que celle de la geste du Roi (Les Chansons de geste), mais qui n'a pas abouti à des effets moins beaux et qui n'a pas atteint, malgré des brutalités, à une moindre pureté héroïque.

Les caractères de tous les personnages qu'on rencontre ici se ressemblent étrangement, tous faits de hardiesse, de brusquerie, de sincérité farouche, de droiture; mais cette absence de variété, qui, dans la geste du Roi, a nui à plusieurs chansons, s'est chargée, dans la geste de Garin de Monglane, d'une signification hautement poétique : c'est un air de famille, par lequel s'exprime l'immuable vertu héritée des ancêtres.

Une fois posée l'idée du « lignage », dont la voix dicte à tous ses enfants la même loi, les trouvères la développent et la nuancent sans fin. Les épisodes se pressent, imaginés avec fertilité, et d'un relief énergique. Il arrive qu'ils se répètent en plusieurs chansons; mais souvent le retour du même thème, d'ailleurs ingénieusement renouvelé, est par lui-même un élément de beauté; ainsi dans les scènes qui mettent le lignage aux prises avec le roi de France : la capture de Charlemagne par les fils de Garin dans la forêt de Vienne (Girard de Viane), I'octroi du fief de Narbonne à Aymeri (Aymeri de Narbonne), l'arrivée des fils d'Aymeri à la cour de Charles (les Narbonnais), le couronnement de l'enfant Louis par Guillaume (le Couronnement de Louis), les reproches de Guillaume au roi ingrat (le Charroi de Nîmes, Aliscans).

Entre tous les membres du lignage brille Guillaume d'Orange, Guillaume « au courb nez-», dont on a fait Guillaume  « au Court-Nez », dont le prototype historique fut un personnage du VIIIe siècle, ce Guillaume que Charlemagne nomma comte de Toulouse en 790. A ce titre, il soutint de longues guerres contre les Gascons, qui prétendaient conserver leur indépendance, contre les Sarrasins non loin de Narbonne en 793, puis en Catalogne en 803. Enfin, il devint moine, vers l'an 804, dans une abbaye du diocèse de Lodève, Aniane. A une dizaine de kilomètres de là, il avait, paraît-il, édifié et doté richement une autre maison religieuse, Gellone. Il y mourut quelques années plus tard sous la robe bénédictine, et y fut enseveli. On a conservé, grâce aux moines d'Aniane et de Gellone, l'acte, dicté par lui-même en décembre 804, par lequel il dispose de ses biens en leur faveur, pour son propre salut et pour le salut de ses proches, au nombre desquels il mentionne sa femme, Witburgis. En cette Witburgis, chacun reconnaît la Guibour (ou Guibourc) des chansons de geste. Mais le nom de cette femme, comme il est naturel, ne se rencontre dans aucune chronique des temps carolingiens. Seuls les moines d'Aniane et de Gellone le conservaient dans leurs archives : c'est donc eux, nécessairement, qui ont renseigné sur elle, plusieurs siècles après sa mort, les poètes. 

De fait, les fils de saint Benoît, établis par Guillaume dans cette région, avaient commencé de bonne heure à vénérer sa tombe : dès le début du Xe siècle, son
nom figure, comme celui d'un saint, dans la titulature du monastère. Son culte se développa si bien que le vieux nom de Gellone disparut de l'usage au temps des chansons de geste, ces lieux s'appelaient, ils s'appellent encore Saint-Guilhem-le-Désert. Pour entretenir le souvenir de leur fondateur, les moines, rassemblant leurs traditions domestiques, combinant les documents de l'abbaye avec les récits des chroniques relatifs à la vie guerrière menée par Guillaume au temps de Charlemagne et du roi Louis le Débonnaire, avaient composé, vers l'an 1124, un ample recueil de ses actes, la Vita sancti Wilhelmi. Or, les chansons de geste du cycle de Garin de Monglane arrêtent leurs héros à Aniane et à Saint-Guilhem et en bien d'autres lieux encore, tels que Brioude, le Puy-en-Velay, Nîmes, Saint-Gilles, les Aliscamps (Aliscans ou Aleschamps) d'Arles, Narbonne, Ensérune près de Béziers : et tous ces lieux jalonnent une même route, la Via Tolosana. Les pèlerins qui la suivaient dans la direction de l'Espagne entendaient donc, dans tous les sanctuaires où ils s'arrêtaient, des récits où saint Guillaume était loué. Venus à Montpellier, ils avaient pris coutume de visiter, aux environs de la ville, les deux monastères qui se disputaient l'honneur d'avoir reçu ses bienfaits et qui gardaient ses reliques. Sans doute est-ce en ces lieux, familiers aux jongleurs, que sa légende a d'abord germé; et sans doute est-ce sur cette légende que sont venues fleurir à leur tour les autres légendes de la geste, celles des pères et des aïeux, la légende d'Aymeri, la légende de Garin, celles aussi des fils et des petits-fils, la légende de Vivien, la légende de Foulque de Candie. Certainement, en tout cas, c'est Guillaume qui domine la Geste de Garin de Monglane, comme Charlemagne domine la Geste du Roi. C'est son entrée en scène que préparent douze chansons, ce sont ses exploits que tant d'autres chansons exaltent.
 

Un poème perdu : Aïmer le Chetif

Plusieurs chansons de la geste de Guillaume ne sont pas parvenues jusqu'à nous. L'étude des manuscrits de ce cycle rend certain qu'Aïmer le Chétif a été le héros d'un poème aujourd'hui perdu. Nous en trouvons la preuve dans un passage important de la Mort d'Aimeri de Narbonne

« Ne manda pas Aïmer le Chetif
Que en Espagne ont Sarrazin assis » (v. 549). 
Et, d'après ce même roman, Aïmer ayant été tué par un païen : 
« A Porpaillart la teste li toli. » 
A la fin du Siège de Narbonne, nous trouvons une allusion à une tradition différente sur le même personnage : 
« Quar Aymers à l'aduré talant, 
S'en est ralez en Venise la grant. 
Là guerroia païens en son vivant. » 
C'est cette légende qui a été adoptée par Albéric de Trois Fontaines : 
« Hic inserenda est etiam historia de Aymero captivo, Nemerici de Narbona penultimo filio, qualiter auxilium Romanis et Papae praestitit contra Saracenos, et captus et vulneratus ibi fuit, et in Venetiam ductus ». 
La grande compilation italienne du quatorzième siècle qui est connue sous le nom de Nerbonesi (V. ci-dessous) nous a laissé sur Aïmer des récits fort développés, qui semblent se rapprocher de la version de la Mort d'Aïmeri de Narbonne et peuvent être considérés comme un résumé très libre d'un ancien poème français (liv. II, chap. XXIII et ss. ; liv. IV, chap. XIV et ss.) 

(N. B. :Il est également certain (d'après la compilation en prose française du ms. de la Bibl. Nat. fr. 1497), qu'Hernaut le Roux avait été l'objet d'une chanson héroï-comique. Il n'est pas démontré, en revanche, que des chansons analogues aient été consacrées à Bernard de Brebant et à Garin d'Anseüne.)

La chanson de Guillaume

D'un certain nombre des 24 chansons que l'on range dans le cycle de Garin de Montglane, on peut dire plus particulièrement que ce sont les chants d'un même poème. Ces chansons, qui ont entre elles un lien plus étroit sont signalées en gras dans le tableau ci-dessous. On peut y joindre Le Covenant Vivien (réuni à la Bataille d'Aliscans), Foulque de Candie, dont l'importance cyclique a été considérable, Guibert d'Andrenas, Rénier de Gennes et, en tête de cette série Garin de Montglane, qui est comme un point de départ obligé, Girart de Viane et Aimeri de Narbonne. Au total cela forme dix-huit branches (soit les trois quarts du cycle), dont la réunion forme une grand poème d'une simplicité fruste, mais puissante, d'environ 420.000 vers, intitulé la Chanson de Guillaume

Les dix-huit branches de la Chanson de Guillaume

I. Garin de Monglane
Il. Gérard de Viane
III. Aimeri de Narbonne
IV. Les Enfances Guillaume
V. Le Couronnement du roi Louis
VI. Le Charroi de Nîmes
VII. La prise d'Orange
VIII. Beuve de Comarchis
IX. Guibert d'Andrenas
X. La mort d'Aimeri de Narbonne
XI. Les Enfances Vivien
XII. La Bataille d'Aliscans
XIII. Le Moniage Guillaume
XIV. Rainouart
XV. La Bataille de Loquifer
XVI. Le Moiniage Rainouart
XVII. Renier de Gennes
XVIII. Foulque de Candie

La Chanson de Guillaume ou de Guillaume au Court Nez raconte les exploits d'Aimeri de Narbonne, de ses enfants et petits-enfants. Cette chanson prend le nom du plus célèbre des enfants d'Aimeri, Guillaume au court nez, autrement dit Guillaume d'Orange, Guillaume Fierebrace, Saint-Guillaume de Gellone. Ce Guillaume, comme on l'a dit plus haut, n'est pas un personnage imaginaire. Les traditions les plus anciennes, relatives aux luttes des Chrétiens contre les Sarrasins, paraissent avoir été recueillies d'abord à Gellone et s'être répandues, de là, par l'intermédiaire des pèlerins; ce sont elles que reflètent quelques-uns des plus beaux morceaux épiques du cycle : le Charroi de Nîmes, la Prise d'Orange, le Couronnement de Louis (ou de Looys), le Moniage Guillaume. Bientôt, à ces légendes vinrent s'en mêler d'autres, d'origine arlésienne, qui célébraient un héros nommé Vivien, qu'on rattacha au cycle précédent en faisant de lui un neveu de Guillaume. Enfin, dans une troisième période (XIIIe s.), on chanta la jeunesse de Guillaume (Enfances Guillaume), ses ascendants (Aymeri de Narbonne, Garin de Montglane) ou ses neveux (les Narbonnais, Girartde Vieane, Guibert d'Andrenas, Rainouart, etc.) dans une série de poèmes dont les éléments sont fournis par des lieux communs, mais qui offrent encore, çà et là, quelques belles scènes.

Les Narbonnais.
Au XIVe siècle est parue en Italie, sous le titre des Narbonnais (I Nerbonesi) une compilation (présentée comme une traduction) de plusieurs chansons de geste françaises dont la plupart se rattachent au cycle de Guillaume au Court-Nez. Les unes figurent parmi les 18 branches citées plus haut (Enfances Guillaume, Couronnement Looys, Guibert d'Andrenas, Charroi de Nîmes, Prise d'Orange, Chevalerie Vivien, Aliscans, Foulque de Candie, Rainouart, Bataille Loquifer,  Moniage Guillaume), quatre autres y sont ajoutés (Departement des enfans Aimeri, Siège de Narbonne, Moniage Rainouart). Un de ces textes (Macaire) est ordinairement rattaché au cycle de Charlemagne, un autre, comme on l'a vu, a été perdu (Aïmer le Chétif).

L'appellation de cycle des Narbonnais a aussi été appliquée aux oeuvres suivantes : Girart de Vienne et Aymeri de Narbonne (par Bertrand de Bar-sur-Aube); Le Département des enfants d'Aimeri et le Siège de Narbonne (formant ensemble les Narbonnais dans le sens le plus restreint); Guibert d'Andrenas; La Mort d'Aymeri. Ces textes racontent l'histoire de Girart, père d'Aimeri, les exploits de jeunesse de celui-ci, la façon dont il conquit Narbonne; comment, assiégé dans cette ville par les Sarrasins, il fut délivré par ses fils, et le début de la carrière de quelques-uns de ceux-ci. Ce sont des poèmes dont le fond traditionnel est très pauvre, et qui se recommandent par des qualités de forme assez rares dans les chansons de geste. C'est des deux premières que Victor Hugo a tiré le sujet du Mariage de Roland et d'Aymerillot.
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Eglise Saint-Honorat, près d'Arles.
L'église romane de Saint-Honorat-des-Aliscamps, près d'Arles.
Elle a été bâtie sur l'emplacement prétendu de la légendaire bataille d'Aliscans.

Le sujet de la Chanson de Guillaume.
Cette chanson de geste commence par le récit d'une bataille douloureuse, où un faible parti de chrétiens, commandé par Vivien, neveu et fils adoptif de Guillaume, lutte contre une armée sarrasine dans la plaine de Larchamp (ou des Aliscamps, près d'Arles). Dès le début de l'action, Vivien aurait souhaité près de lui celui que jamais on n'appelle en vain, son oncle Guillaume. Il a conseillé à ses compagnons de le mander :

« Mandum, seignurs, Willame le marchis [= le marquis]; 
Sages hom est por bataille tenir
Se il i vient, nus veintrum [= nous vaincrons] Arabiz. » .
Mais Guillaume est au loin, il ignore le péril des siens. Vivien combat seul, avec une petite troupe de vaillants : naguère, au jour où il a été armé chevalier devant Guillaume et le lignage assemblé des Narbonnais, il a fait le serment de ne jamais fuir de la longueur d'un arpent devant l'ennemi. Il fait donc avec ses compagnons de belles chevaleries mais le nombre les accable. Alors, quand leurs forces déclinent, il dépêche vers son père d'adoption son cousin, « l'enfant  » Girart, qui a tant peiné déjà dans la bataille. Le jeune messager va, épuisé, à demi mort de faim et de soif. Il chevauche vers le château lointain de Guillaume. Son cheval crève sous lui. Il va toujours.
Dunc li comencent ses armes a peser,
Et il les prist durement a blamer.

« Ohi! grosse hanste, comme peises al braz!
N'en aiderai a Vivien en Larchamp, Qui se combat a dolerus ahan! » Dunc la lançat Girard en mi le champ.

« Ohi! grant targe [= bouclier], comme peises al col! 
N'en aiderai a Vivien a la mort ! »
El champ la getat, si la tolid de sun dos.

« Ohi! bon healme, com m'estones la teste! 
N'en aiderai a Vivien en la presse. 
Ki se combat en Larchamp sur l'herbe! »
Il le lançad e jetad cuntre terre.

Il n'a gardé que son épée sanglante et marche, s'appuyant sur elle comme sur un bâton. Il arrive enfin et fait son message :  « Hâtez-vous, sire Guillaume! » Guillaume rassemble en hâte trente mille hommes et les entraîne vers Larchamp. ll y parvient trop tard : Vivien meurt entre ses bras. Et que peut-il lui-même contre tant d'ennemis? Toute sa belle armée succombe. Sa femme Guibourc lui avait confié un sien neveu, un tout jeune homme, Guichard, autrefois païen comme elle et comma elle converti. L'enfant a été tué; en mourant, il a renié Dieu : et c'est avec le corps du petit renégat, qu'il porte sur son arçon, que Guillaume revient à son château. En son absence, Guibourc, la vaillante, pressentant la défaite, a levé une autre armée : car elle est l'animatrice qui souvent a excité les Narbonnais à bien faire. Il repart, emmenant cette fois avec lui un jeune frère de Vivien, Guiot. Un nouveau désastre l'attend. Tous les siens maintenant sont morts, et Vivien, et Bertrand, et Guiot, et Gautier, et Guielin, et Renier; et, quand il reparaît seul, en vaincu, presque en fuyard, déguisé sous des armes sarrasines, à la porte de sa cité d'Orange, Guibour refuse de lui ouvrir : 
« Tu mens, tu n'es pas Guillaume, car, quand mon seigneur Guillaume revient de bataille, des barons joyeux l'environnent et des jongleurs viellent devant lui! »
Elle cède enfin, lève la herse, et prosternée à ses pieds :
« Sire, dist ele, qu'as tu fait de ta gent? »
Il lui dit la lutte inégale, le désastre, et tous deux, pleins de douleur, en silence, montent vers la grande salle du palais, où les tables sont dressées, comme naguère, pour de nombreux convives, et qui désormais restera déserte : « O bonne salle », s'écrie Guillaume,
« O bone sale, cum estes lungue et lee [= large]!
De Lutes parz vus vei si aornee!
O, haltes tables, com vus estes levees [= dressées]! 
Napes de lin vei desur vus getees. 
Cez escueles emplies et rasees... 
N'i mangeront les filz des franches meres 
Qui en Larchamp unt les testes colpees! »
Il pleure, et maintenant que tout est consommé : 
« Je m'enfuirai, dit-il, dans un désert où nul ne me retrouvera; je me ferai ermite, et toi, Guibour, prends le voile en quelque couvent. - Sire, répondelle, oui, nous le ferons un jour, quand d'abord nous aurons achevé dans le siècle notre tâche :
« Sire, dist ele, ço ferum nus assez.
Quant nus avrum nostre siecle mené... »
Elle le réconforte : il faut qu'il aille à Laon réclamer le secours du roi de France. Il part, nouvelle épreuve. Humble est son équipage, et si chétif son écuyer, un enfant, qu'il doit se charger lui-même de ses armes et qu'il ne les lui donne à porter qu'à la traversée des villes, pour faire figure honorable. A Laon, en voyant sa pauvre mine, les jeunes chevaliers de la cour, jadis accoutumés à recevoir de ses mains l'or d'Espagne, lui tournent le dos; et le roi accueille mal la demande du vaincu. Cependant, devant tant d'ingratitude, Guillaume s'indigne, il laisse déborder sa colère et obtient une armée de vingt mille chevaliers. Pour la troisième fois il revient à l'ennemi, et dans une décisive bataille, les Sarrasins sont enfin taillés en pièce. Ainsi s'achève sur une victoire la douloureuse épopée, belle comme une passion de martyrs. 

La Chanson de Guillaume n'a pas la perfection littéraire de la Chanson de Roland; elle n'en a pas la noblesse égale et soutenue. Le style est dépourvu d'art; le récit est brusque, abrupt même, au point que la suite des faits n'y est pas toujours facile à saisir; parfois des scènes se répètent; on note aussi des invraisemblances trop fortes, un mélange inattendu du tragique et du comique. Pourtant, l'idée profonde du poème, ces coups redoublés du destin qui martèlent les coeurs indomptables de Vivien, de Guibourc, de Guillaume, se traduisent en des scènes d'une grande force pathétique; et même dans celles de ces scènes qui traitent des thèmes moins sublimes, les reproches véhéments de Guillaume au roi ingrat ou les exploits étranges du géant Rainouart, on admire la puissance du souffle héroïque et cette fougue qui anime la Geste. (J. Bédier et P. Hazard).

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Dictionnaire Le monde des textes
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