.
-

Guignol
Guignol est l''une des marionnettes françaises les plus populaires et les plus célèbres, mais une marionnette locale, si l'on peut dire, et qui ne s'est jamais éloignée du lieu où elle a vu le jour. De même que Punch est né à Londres, Casperl à Vienne, Meneghino à Milan et Stenterello à Florence, Guignol est né à Lyon, et, comme chacun d'eux, il est resté le type de la terre natale, qu'il ne pouvait abandonner sans cesser en quelque sorte d'être lui-même. Guignol est un enfant du terroir, il personnifie l'ouvrier en soie, le canut lyonnais; il en reproduit le langage, l'esprit, les habitudes, si bien que, hors de Lyon ou de son voisinage immédiat, il perdrait la plus grande partie de sa saveur et de son originalité. 

On s'est souvent demandé quelle est l'origine de Guignol, l'âge qu'il a, d'où lui vient son nom, quel est l'inventeur de ce type curieux, gouailleur par nature, bon enfant, satirique, à la fois sceptique et naïf, parfois un peu pratique, mais toujours amusant et gai, fertile en saillies, et ayant souvent dans sa petite tête de bois plus d'esprit naturel que n'en montrent certains comédiens en chair et en os. Il paraît certain que l'existence de Guignol à Lyon ne remonte pas au delà des dernières années du XVIIIe siècle. Il doit sa célébrité et peut-être la vie à un Lyonnais nommé Laurent Mourguet, qui mourut en 1844 au moment où il allait accomplir sa centième année. On aimait beaucoup les marionnettes à Lyon, et il en existait plusieurs théâtres en cette ville, dont l'un était précisément la propriété de Mourguet. Comme tous ses confrères, celui-ci avait pris pour figure principale de ses petits bonshommes le type de Polichinelle, qui ne le différenciait pas d'eux.

Mais Mourguet était homme d'esprit et d'esprit avisé; il recherchait l'originalité, et, autant par ses efforts que par le fait des circonstances, il en vint petit à petit à créer le personnage qui était appelé à devenir si fameux. II avait pour voisin et ami dans le quartier Saint-Paul, où il demeurait, un brave homme de canut, comme lui plein d'esprit et de gaieté, et dont il appréciait les conseils. Et comme il écrivait lui-même toutes les petites pièces, les pochades qu'il faisait représenter par ses marionnettes, il n'en risquait pas une devant le public sans en avoir préalablement éprouvé l'effet sur ce compagnon dont il prisait le jugement très sûr. Celui-ci devenait même en quelque sorte son collaborateur, car il lui arrivait parfois de trouver quelque bon mot, quelque saillie, quelque trait piquant dont Mourguet faisait son profit. 

On raconte enfin que quand cet ami avait bien ri, s'était bien diverti à l'une des scènes de Mourguet, il avait coutume, pour exprimer sa satisfaction, de s'écrier : Ah! c'est guignolant! ce qui voulait dire, dans son esprit: « C'est très drôle, c'est très amusant! » Lorsqu'il avait obtenu cette exclamation, Mourguet était sûr de son fait, et sans crainte il offrait sa pièce à ses spectateurs ordinaires, ne doutant plus du succès qu'elle devait remporter devant eux. Mais Mourguet avait été amené, presque par la force des choses, à introduire parmi ses marionnettes le type de l'ouvrier en soie, du canut lyonnais, avec son langage local, ses idées, ses coutumes, son esprit bon enfant et parfois bizarre, et ce type, reproduit avec une amusante fidélité, fit bientôt fortune auprès du populaire.

Et comme il lui arrivait fréquemment de placer dans la bouche de son bonhomme l'exclamation favorite de son vieil ami : c'est guignolant, le public lui-même finit par désigner le personnage sous le nom de Guignol, qui lui est resté et qui est devenu le sien. Puis, petit à petit, Guignol empiéta sur les droits et la faveur de Polichinelle; il en vint à accaparer toute l'attention, à s'emparer des meilleurs rôles, si bien que ledit Polichinelle, bientôt réduit à la portion congrue et peu à peu délaissé, finit par disparaître absolument et par laisser Guignol complètement maître de la place. De ce jour, la gloire de ce dernier ne connut plus de bornes.

Voici donc tantôt un siècle que Guignol avec son ami Gnafron, qui lui sert de compère, fait le bonheur et la joie des Lyonnais, qui raffolent de ces deux héros burlesques. Et ceux-ci l'ont en telle affection, ils lui ont fait un tel renom, toutes les classes de la société lui portent un tel intérêt qu'il s'est trouvé un grave magistrat, d'ailleurs homme d'esprit, pour écrire l'histoire de Guignol et pour publier sous ce titre : Théâtre lyonnais de Guignol, un recueil choisi des petites farces jouées sur ce petit théâtre. 

« Mourguet, dit cet écrivain, a développé ce type de Guignol dans une longue série de pièces, en lui conservant toujours son costume, celui des ouvriers lyonnais de la fin du siècle dernier, son accent, qui est aussi lyonnais de la même époque, sa bonne humeur et son originalité d'esprit. Le caractère de ce personnage est celui d'un homme du peuple : bon coeur, assez enclin à la bamboche, n'ayant pas trop de scrupules, mais toujours prêt à rendre service aux amis; ignorant, mais fin et de bon sens; qui ne s'étonne pas facilement ; qu'on dupe sans beaucoup d'efforts en flattant ses penchants, mais qui parvient presque toujours à se tirer d'affaire. La carrière dramatique de Mourguet a été longue. Le premier théâtre permanent où il se soit montré parait être celui qu'il ouvrit dans la rue Noire, qu'il vendit ensuite à un M. Verset et qui a été longtemps une des crèches les plus appréciées de Lyon. Il joua ensuite dans la rue des Prêtres, dans la rue Juiverie, aux Brotteaux dans la Grande-Allée, près du lieu où l'on a vu plus tard le café du Grand-Orient, et enfin, un peu plus loin, au Jardin Chinois. Il avait là pour aide et pour compagnon une autre célébrité des rues de Lyon, le père Thomas, dont le nom véritable était Ladray. Il transporta ensuite son théâtre dans différentes villes des départements voisins et fixa enfin son dernier établissement à Vienne, en Dauphiné, où il mourut en 1844,à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, encore entouré de ses chères marionnettes. Il avait toujours eu l'amour de son art; il l'avait inspiré aux siens, et l'inspiration est restée dans sa postérité. Son fils, Jacques Mourguet, a longtemps fait, à l'aide de Guignol, la fortune du café du Caveau sur la place des Célestins, à Lyon. Il a aussi joué à Grenoble et à Marseille. Il a eu un fils qui a porté en Algérie notre marionnette lyonnaise. » 
Mais Guignol est difficilement transportable loin de son centre, où il ne serait plus complètement compris. Les montreurs de marionnettes parisiens ont bien pris pour enseigne aux Tuileries, au Luxembourg, à la place des Vosges, le nom de Guignol, mais sans adopter le personnage, et en continuant d'exhiber Polichinelle, le diable et le commissaire. Toutefois, cette importation du nom seul de Guignol suffit à établir la gloire de celui-ci et à prouver sa popularité. Guignol est plus qu'un type, c'est un symbole, Guignol est le produit d'une civilisation, Guignol est immortel! (Arthur Pougin).
.


Dictionnaire Le monde des textes
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2008. - Reproduction interdite.