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Comme
l'indique l'étymologie, la littérature érotique (du latin eroticus;
du grec érôtikcos ; de érôs = amour)
a pour objet de peindre la passion amoureuse,
la part de sensualité et de volupté de l'amour, et non pas seulement,
si l'on peut s'exprimer ainsi, sa sentimentalité.
Il est assez difficile en fait d'isoler absolument la littérature érotique et de la considérer comme un genre à part. On n'y arrivera à peu près qu'en laissant de côté tout poème de longue haleine, tel, par exemple, que l'épopée, où le thème érotique ne se trouve qu'incidemment développé, tel encore que la tragédie et le drame, où il n'entre que comme ressort de l'action. La plupart du temps, on exclura également des oeuvres moins longues, dont l'amour fait le sujet, mais en y revêtant un caractère particulier : ainsi l'élégie, l'églogue et l'idylle (difficile d'écarter au demeurant plusieurs idylles de Théocrite, la 2e églogue de Virgile, la plupart des élégies de Tibulle, de Properce). - Frontispice des Contes de La Fontaine. Il est plus difficile de tracer une ligne précise de démarcation entre la littérature érotique proprement dite et la littérature qu'on a tour à tour appelée sotadique chez les Anciens, sadique chez les modernes et pornographique chez les contemporains. Bon nombre de contes en vers du Moyen âge, les oeuvres de Bertin, beaucoup de chansons, pourraient y être rangés. Mais quel critère choisir pour tracer la limite ? Chaque époque, chaque culture, semble avoir le sien. Le Cantique des cantiques, texte éminemment érotique, appartient à cette collection de livres religieux qu'est la Bible; le Kama Sutra, dans une Inde qui peut être aussi bien pudibonde, voit ses thèmes servir à l'ornementation de temples. A l'inverse, Madame Bovary se voit infliger un procès en obscénité. Et, aujourd'hui même, la page que vous êtes en train de lire s'est vue interdite de publicité à cause de son contenu jugé "trop adulte". La bêtise et l'inculture ne sont pas d'une époque et d'un lieu. La littérature érotique tiendrait ainsi une sorte de milieu entre deux asymptotes : une littérature purement sentimentale et désincarnée, absolument éthérée, et une littérature idéalement pornographique où, à l'opposé, la sensualité et la sexualité anéantiraient entièrement le sentiment amoureux aussi bien que le sujet ressentant. L'obscène, le grivois, le polisson, le licencieux, le libertin, le courtois, le galant, le voluptueux, le tendre, composeraient dans ce vaste territoire une société hétéroclite, où chacun reconnaîtra peut-être les siens. En Grèce et à Rome. On peut faire rentrer dans la littérature érotique de l'Antiquité tous les genres secondaires, poésies légères, épigrammes, romans, dont l'amour, sous ses différentes formes, est le principal sujet. Cette définition exclut naturellement les genres plus élevés où peut être célébré l'amour, tels que les hymnes, les tragédies, les traités philosophiques. En
Grèce.
Nous avons dans l'Anthologie une collection de poésies dites anacréontiques, environ soixante morceaux, mais qui sont d'une époque postérieure à Anacréon. Au Ve siècle, Antimaque de Colophon avait écrit une élégie érotique célèbre, aujourd'hui perdue, à sa maîtresse Lydé. Athénée a conservé un long fragment d'Hermesianax de Colophon. Mais c'est surtout dans la littérature alexandrine que se développa la poésie érotique, en s'enrichissant d'une forme nouvelle, la bucolique. Elle compte alors des poètes de grande valeur, Philétas de Cos, dont il nous reste quelques fragments d'élégies; Callimaque, que nous connaissons surtout par la traduction qu'a faite Catulle d'une de ses pièces, sur la Chevelure de Bérénice, et peut-être aussi par la vingtième Héroïde d'Ovide; Cydippe, puis Méléagre et surtout Théocrite dont on peut citer ici les idylles dixième, douzième (l'Amour de Gynisca), treizième (les Syracusaines). C'est à la littérature alexandrine qu'appartiennent directement ou se rattachent les nombreux auteurs des trois cent neuf épigrammes érotiques de l'Anthologie grecque. Ils sont généralement compris entre le IIIe siècle avant et le VIe siècle après J.-C.; ils rejoignent donc la période byzantine; quelques-uns sont d'origine latine, mais la plupart sortent des pays grecs. Le roman a fait une première apparition dans la littérature grecque au IIe siècle av. J.-C., avec les Histoires milésiennes d'Aristide qui ont été traduites en latin par l'annaliste Sisenna nous n'avons pas ces oeuvres, mais nous possédons toute la série des romans grecs qu'elles ont inspirés plus tard, lorsque la nouvelle sophistique gréco-latine remit ces compositions à la mode et leur donna de plus amples développements. Le recueil des Scriptores erotici Graeci comprend des oeuvres entières ou fragmentaires de Parthenius, d'Achille Tatius, de Jamblique, d'Antonius Diogenes, de Longus, de Xénophon d'Ephèse, d'Héliodore. On peut encore faire rentrer dans la littérature érotique les lettres de plusieurs sophistes du IIIe siècle, de Philostrate, d'Alciphron, de Lesbonax et celles d'un autre sophiste du Ve siècle, Aristaenète de Nicée. A
Rome.
Les poètes latins ont fait au ler siècle av. J.-C. de nombreuses traductions de poésies alexandrines ; beaucoup de poètes grecs sont venus à Rome; on petit citer, par exemple, Parthénios de Nicée, qui exerça une certaine influence sur Cornelius Gallus et surtout sur Virgile. Le premier nom à citer est celui de Varron d'Atax (82-37) qui avait écrit des élégies dont il ne reste rien. De l'époque de César
nous avons perdu les oeuvres de Ticidas, de C.
Licinius Calvus, de C. Helvius Cinna, de Cornelius
Nepos, de Cornelius Gallus, à qui est adressée la dixième églogue
de Virgile et qui avait traduit les oeuvres poétiques de l'Alexandrin
Euphorion. Nous avons seulement le poème des Dirae, faussement
attribué à Virgile, et les oeuvres de Catulle.
La plupart des cent seize poésies de Catulle sont érotiques, pleines de la passion la plus fougueuse et la plus incurable : citons particulièrement les Noces de Thétis et de Pélée, la Chevelure de Bérénice, la Lettre à Manlius en vers élégiaques, l'Attis et quelques-unes des épigrammes. L'orateur Hortensius et Marcus Brutus avaient peut-être aussi écrit des poésies érotiques. Les dix églogues de Virgile rentrent en partie dans la littérature érotique, surtout deuxième et la dixième, adressée à Cornelius Gallus. Plusieurs des odes d'Horace sont également érotiques. Horace y fait aussi une large place à de sages réflexions sur l'instabilité des choses humaines. La poésie légère
fut en grande vogue à l'époque d'Auguste et
pendant tout le Ier siècle ap. J.-C.
Chez Tibulle, la passion tendre et mélancolique
paraît vague et effacée; elle est, chez Properce,
plus sincère et plus forte. Ovide, dans ses Amours,
ne chante peut-être que des maîtresses fictives, et il donne, dans son
Art d'aimer,
la théorie d'une galanterie spirituelle et corrompue. Outre ces trois
maîtres du genre, Pline le Jeune nous fait connaître
une liste considérable de poètes connus ou obscurs qui ont cultivé la
poésie amoureuse, même des personnages politiques, Servius Sulpicius,
César, Auguste, Tibère, Néron,
Nerva; nous connaissons encore C.
Valgius Rufus et Domitius Marsus, contemporains d'Horace,
Alfius Flavus, contemporain de Sénèque l'Ancien,
Arruntius Stella sous Domitien, ami de Stace
et de Martial et auteur d'élégies érotiques
sur sa femme Violantilla qui ne nous sont pas parvenues, de la même époque
une Sulpicia, à qui on attribue sans doute à tort une pièce, composée
vraisemblablement au IVe siècle, Sulpiciae
satura ou Heroicum carmen.
On avait dû composer de bonne heure une Anthologie érotique où ont puisé Pline le Jeune (Epist., 5, 3, 5), Aulu-Gelle (Nuits Attiques, 19, 9, 7), Apulée (Apol., 9, 7), et d'où dérivent sans doute les numéros 23-25, 29, 427, 435, 446, 448-453, 458-460 de l'Anthologie Latine. Les sept églogues de Calpurnius, contemporain de Néron, rentrent aussi, jusqu'à un certain point, dans la littérature érotique; il faut certainement y comprendre aussi une grande partie des épigrammes de Martial. Il n'y a plus à citer dans la littérature érotique, après l'époque de Marc-Aurèle, que des oeuvres insignifiantes : le Pervigilium Veneris, petit poème en strophes de septénaires trochaïques, qui est peut-être de l'époque d'Antonin, la petite épopée De Concubitu Martis et Veneris attribuée à un certain Reposianus; une lettre de Didon à Enée en cent cinquante hexamètres dont l'auteur et l'époque sont inconnus (Wernsdorf, Poetae Latini minores, IV, p. 439-461); parmi les idylles d'Ausone, la treizième, le Cento nuptialis; quelques-unes des épigrammes de Claudien; quelques pièces de Luxorius, poète africain de l'époque des Vandales (Anthologie latine, éd. Riese, n°s 18, 203, 287-375). Moyen âge et Renaissance. Le
Moyen âge.
Encore y trouverait-on la manifestation d'un culte platonique assez conforme aux idées de l'époque, plus que l'expression d'une passion véritable. Les troubadours provençaux célèbrent l' « amour courtois », épris de perfection, et qui prend toutes les formes de l'amour divin : poésie d'esprit, dit Diez, et non poésie de sentiment. Les trouvères
et des seigneurs poètes font vite écho dans le Nord (XIIe
et XIIIe s.) . Thibaut
de Champagne, Quènes de Béthune, Gasse
Brulé, le châtelain de Coucy, Thibaut de Navarre,
Bodel et Adam de La Halle,
Villon lui-même, encore qu'il perde vite toute
vergogne, peuvent être cités comme les meilleurs érotiques de leur temps.
Dans les poèmes à forme fixe du XIVe siècle (rondeaux, virelais, ballades, etc.), chez Guillaume de Machault ou Froissart, les règles de la galanterie sont exposées avec une froideur des plus pédantes. Charles d'Orléans, au XVe siècle, chante de nouveau l'amour courtois, puis il s'en moque, encore plus qu'il ne l'a chanté. La
Renaissance.
Rappelons encore, parmi ceux de ses disciples qui le suivirent dans cette voie, Joachim Du Bellay (l'Olive), avec une tendresse sensuelle dans les poésies latines du même et dans les Baisers de Jean Second; Baïf (les Amours de Métine et les Amours de Francin), Pontus de Thyard (les Erreurs amoureuses), Olivier de Magny (Soupirs et Gayetez), Remy Belleau, Jacques Tabureau, Jean Doublet, Claude de Morenne, Richard Renvoisy, Pierre Tamisier, Gilles Durant, Colin Bucher, Jacques Bercau, etc. (odes imitées d'Anacréon). Quant aux recueils de Desportes et de Bertaut, l'expression seule en saurait passer pour érotique, et aussi bien est-ce un peu le défaut des oeuvres précédentes, à de rares exceptions près. Plus licencieux sont les sonnets de l'Arétin, et, plus tard, les écrits d'un Pietro Liberi, surnommé le Libertin. Temps modernes. Le
XVIIe siècle.
Tout ce qu'on dit
alors d'élevé sur l'amour passe dans les grands genres (tragédie
surtout). Ou alors l'amour redevient, comme au
Moyen âge, une science compliquée, transcendante,
inaccessible à qui n'a pas pâli sur les formulaires et les plans topographiques
des régents de ruelles. A peine si l'on peut citer çà et là quelques
strophes, deux ou trois vers où parle une vraie passion, dans les petites
pièces fugitives de Malherbe, de Théophile,
de Racan, de Chaulieu,
qui s'inspire de l'esprit d'Horace, de La
Fontaine surtout (mais son érotisme avait plutôt le tour gaillard
et vif, comme témoignent les Contes, pleins du gros sel des fabliaux).
Le
XVIIIe siècle.
Bertin, Bonnard,
Léonard mêlent au souvenir de leurs plaisirs une douce mélancolie. André
Chénier, outre la manière sensuelle de considérer
l'amour, qu'il a en commun avec son siècle, a une idée tout antique de
la passion invincible qu'inspire la beauté physique. Citons encore André
Chénier, tout passion, jeunesse, sincérité, dans ses pièces à Camille
et dans ses Elégies. Et il y a aussi Piron, Dulaurens,
Crébillon fils, et le Recueil de pièces
choisies sous la direction du duc d'Aiguillon et de la princesse de
Conti; sans parler des provocations de Sade,
qui avec sa Justine ou les malheurs de la vertu, et sa Juliette
ou les bonheurs du vice, s'érige aussi en philosophe libertaire.
Le
XIXe siècle.
Aussi bien n'est-il pas un poète de ce temps qu'on ne puisse ranger par quelque côté parmi les érotiques : chez tous la passion parle, différemment sans doute, et avec des nuances dans la mélancolie ou l'emportement. Qu'il nous suffise de rappeler les noms de Sainte Beuve (le Livre d'amour), de Théophile Gautier (Emaux et Camées), de Arsène Houssaye (la Symphonie de vingt ans), de François Coppée (les Intimités, Arrière-Saison), de Sully-Prudhomme (les Vaines Tendresses), de Catulle Mendès (Philoméla), d'Alphonse Daudet (les Amoureuses), de Jean Richepin (les Caresses), de Paul Bourget (les Aveux, la Vie inquiète), de d'Edmond Haraucourt (l'Ame nue, Seul!), d'Armand Sylvestre (les Ailes d'or), de Maurice Rollinat (les Névroses), d'Amédée Pigeon (les Deux Amours), de Jean Marius (les Cantilènes), de Laurent Tailhade (le Jardin des Rêves), d'Auguste Dorchain (la Jeunesse pensive), de Marsolleau (les Baisers perdus), de Jean Ajalbert (Paysages de femmes), de Jacques Madeleine (l'Idylle éternelle), d'Henri de Régner (Poèmes anciens et romanesques), de Daniel de Venancourt (les Adolescents), etc. Moins sages sont les audaces neurasthéniques qu'on rencontre en des livres, comme l'Examen de Flora, né au Palais de Justice, ou comme ce Gamiani attribué aux mauvais jours d'Alfred de Musset, mais surtout dans ces réimpressions du passé suivies de quelques oeuvres du moment. La Bibliothèque Nationale créa, pour conserver de pareilles oeuvres, un cabinet spécial qui s'appelle l'Enfer. (Ch. Lécrivain / Ch. Le Goffic / E. Bricon).
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