| Les différentes écritures employées en France présentent les plus grandes analogies avec les écritures usitées en Angleterre, en Allemagne, en Espagne et en Italie, et ce que l'on dira dans cette page à propos de l'histoire de l'écriture en France vaut, pour l'essentiel, pour celle des écritures dans ces autres pays. On distingue dans leur développement deux périodes : l'une, qui commence au Ve siècle et finit au XIIe, est appelée romaine, ou mieux romane, en empruntant ce nom à la langue de l'archéologie (l'architecture romane); l'autre, qui part du XIIIe siècle et s'étend jusqu'au XVIe, peut être appelée gothique, à défaut d'un nom plus juste (l'architecture gothique). Pendant la première période, les formes de l'alphabet romain se conservent plus complètement que pendant la seconde, où des modifications assez sensibles y sont apportées. Dans l'une comme dans l'autre, on remarque trois sortes de caractères, la majuscule, la minuscule et la cursive : la majuscule a été employée principalement pour les inscriptions lapidaires et métalliques, la minuscule dans les manuscrits proprement dits, la cursive dans les chartes. La période romane. La majuscule présente deux variétés, la capitale et l'onciale. La capitale. Par capitale, on entend un genre d'écriture soigné et majestueux, encore employé aujourd'hui sous des formes plus ou moins pures dans les frontispices et les titres des livres. Elle tire sa dénomination de ce qu'elle servait à orner la tête (caput) des volumes, des chapitres et des alinéa. C'est, de toutes les formes d'écriture, celle qui remonte à la plus haute antiquité, et qui nous est connue par les monuments les plus anciens; c'est aussi celle qui a le moins varié, et dont le déchiffrement présente le moins de difficultés. Elle se montre avec toute sa simplicité et sa beauté dans les inscriptions lapidaires des beaux temps de l'Empire romain. Rarement les manuscrits nous la présentent sous une forme aussi parfaite. Sous la plume des écrivains, elle devait naturellement s'altérer, surtout après que le dépérissement de la littérature; on donne le nom de rustique à cette capitale dégénérée. Elle se distingue en ce que les lettres sont, en général, dépourvues de bases, de traverses, de sommets, en ce qu'elles sont tracées avec négligence, et inégales en hauteur. Elle a été fréquemment employée surtout pour les titres des chapitres et dans certains passages destinés à attirer l'attention d'une manière toute spéciale. Cette écriture est d'une lecture facile; mais on éprouve de grandes difficultés quand on veut en fixer l'âge avec quelque précision. - Lettre ornée. Calligraphie anglo-saxonne (Seconde Bible de Charles le Chauve, ca. 875). Voici toutefois deux principes importants à retenir. Les manuscrits entièrement écrits en lettres capitales sont antérieurs au IXe siècle. Si, dans ces manuscrits. les mots ne sont pas séparés, ou s'ils ne le sont que dans les endroits où le sens indique un repos, c'est un indice qu'ils remontent pour le moins au commencement du VIIe siècle. Du Ve au XIIe siècle, la capitale est employée sur les sceaux; elle affecte des formes plus régulières sur les sceaux des Carolingiens. Cependant les mots ne sont pas encore isolés, et les abréviations ne sont indiquées par aucun signe; les signes abréviatifs ne paraissent qu'au XIe siècle. L'onciale. Le mot onciale, dont l'étymologie ne pourrait qu'induire en erreur, désigne une écriture majuscule dont les caractères présentent en général des contours arrondis. La différence entre l'onciale et la capitale réside dans la forme des lettres A, D, E, G, H, M, Q, T, V. On peut voir un alphabet de cette écriture dans les Éléments de Paléographie de Natalis de Wailly. Les Bénédictins distinguent plusieurs variétés d'écriture onciale, qu'ils désignent par les épithètes d'anguleuse, massive, tortueuse, élégante, ou par les qualifications suivantes : à double trait, à simple trait, à plein trait, à traits obliques. L'onciale atteignit un assez haut degré de perfection sous Charlemagne et ses premiers successeurs. Les manuscrits en écriture onciale sont antérieurs à la fin du Xe siècle, quelle que soit leur nature; et dans le cas où ce ne seraient pas des ouvrages liturgiques ou des livres écrits pour l'usage spécial des princes, on pourrait les faire remonter avec assurance au delà du VIIIe siècle. A cette règle ajoutons ces judicieuses observations de Wailly : parmi les différentes espèces d'onciales, celles dont les formes libres et courantes n'excluent pas une certaine simplicité, appartiennent aux temps les plus reculés. Du Ve siècle au commencement du VIIe, l'onciale est tantôt plus négligée, tantôt plus correcte, mais aussi tracée avec moins de liberté; ce dernier genre d'écriture se rencontre ordinairement jusqu'au commencement du VIIIe siècle. Quand le travail de l'écrivain est poussé jusqu'à la recherche, on approche du temps où l'usage de l'onciale sera bientôt abandonné. L'écriture cursive. Maffei, les Bénédictins et les autres diplomatistes sont d'accord pour reconnaître que l'écriture cursive était en usage chez les Romains. On devrait naturellement le supposer, même en l'absence de preuves positives; la cursive, en effet, était absolument nécessaire dans un pays où l'instruction était répandue et les écritures extrêmement communes. Les Bénédictins citent à l'appui de leur sentiment d'anciens documents, le Josèphe de la traduction de Ruffin écrit sur du papier d'Égypte et conservé à Milan, des manuscrits du chapitre de Vérone, la note du Saint Hilaire du Vatican écrit l'an 500, et le catalogue écrit du temps de Grégoire le Grand et publié par Muratori La cursive se distingue en ce que les lettres sont liées ensemble; il est difficile de dire où une lettre finit, où une autre commence; d'ailleurs, dans leur union, les lettres se transforment. Aussi est-il impossible de se rendre un compte exact de cette écriture par l'alphabet qu'on en dresserait; il faut l'étudier dans son ensemble, sur les pièces elles-mêmes, ou sur des fac-simile exactement faits; comme on en peut voir dans les traités spéciaux de diplomatique. L'écriture minuscule. L'écriture minuscule emprunte, en les modifiant, quelques lettres aux différentes espèces de majuscules et à la cursive. C'est d'après elle qu'ont été composés les caractères typographiques appelés Petit romain. Suivant les Bénédictins, ce genre d'écriture aurait été connu des Romains; mais Wailly a rejeté cette opinion, et a fait remarquer que les deux caractères qui distinguent essentiellement l'alphabet minuscule de l'onciale et de la cursive ne se rencontrent jamais dans l'écriture mixte du commencement du VIe siècle, où l'on trouve des lettres onciales de hauteur réduite réunies à des caractères cursifs. Quoi qu'il en soit, il paraît constant que la minuscule est au moins du VIIIe siècle. A partir de cette époque, elle ne tarda pas à se développer, et se maintint sans notables changements jusqu'à la fin du Xe siècle. Alors elle se transforma d'une manière sensible : les lettres devinrent généralement plus droites et plus serrées, et prirent, dans les diplômes principalement, des traits allongés et sinueux. Dans sa première période, la minuscule reçoit le nom de caroline ou carolingienne, et dans la seconde le nom de capétienne. Vers la fin du XIIe siècle, elle s'altéra, devint anguleuse, plus serrée, moins régulière. Elle ne fut presque plus en usage dans les actes de toute espèce après le commencement du XIIIe. Au XVIe siècle elle reparaît dans toute sa pureté sur ces beaux manuscrits italiens, qui ont servi de modèles à nos caractères typographiques. L'écriture minuscule diplomatique en des diplômes, tout en étant pour le fond semblable à celle des manuscrits, s'en distingue dès l'origine par les traits allongés des queues et des hastes, qui la rapprochent de l'écriture cursive, avec laquelle cependant la distinction des lettres ne permet pas de la confondre. La période gothique. L'écriture gothique prend naissance au XIIIe siècle; on trouve bien encore, dans les siècles antérieurs, quelques-uns des caractères qui lui sont propres, et, réciproquement, les caractères anciens qu'elle remplaça ne disparaissent pas complètement après cette époque; car dans les transformations d'un art libre et personnel, les transitions n'ont pas une date précise; elles n'ont pu s'opérer que graduellement et d'une manière insensible. L'écriture gothique, qu'il serait mieux s'appeler scolastique, n'est que l'écriture romaine, à laquelle la forme anguleuse de ses lettres donne une physionomie particulière. Elle se divise en quatre genres, la majuscule, la minuscule, la cursive, et la mixte. La majuscule gothique. La majuscule gothique ne se prête pas aux mêmes subdivisions que la majuscule romane. Quelques lettres affectent la forme capitale (a, d, g, q), d'autres (e, h, m, u) sont empruntées à l'onciale; mais comme elles sont employées dans le même texte avec les lettres majuscules, on ne saurait y voir les éléments d'écritures distinctes. Les lettres majuscules ne sont guère, employées dans les manuscrits que comme lettres initiales. Contrairement à la pratique des siècles précédents, les passages remarquables, les titres mêmes sont écrits comme le reste en lettres minuscules qui ne diffèrent des autres que par leur hauteur et par la couleur de l'encre. L'usage des lettres majuscules étant ainsi restreint, on a pu sans inconvénient les surcharger de traits inutiles, qu'il aurait fallu bannir d'une écriture suivie et commune. La majuscule gothique est d'un emploi très fréquent dans les inscriptions et sur les sceaux, où elle prend la place de la capitale romaine dès la fin du XIIe, ou le commencement du XIIIe siècle. Le mélange des lettres romaines et des gothiques n'a jamais cessé complètement cependant la plupart des sceaux sur lesquels les lettres C, E, H, M, N, présentent la forme romaine, peuvent être considérés comme antérieurs au XIVe siècle, et ceux où l'on ne retrouve plus ce mélange sont, en général, postérieurs à la fin du XIIIe. Jusqu'au commencement du XIVe siècle, les traits des lettres deviennent de plus en plus épais, et sont accompagnés d'ornements accessoires; à partir de cette époque ces ornements tendent à disparaître; les lettres s'amincissent et s'allongent; au siècle suivant, la majuscule est remplacée par la minuscule, ou s'en rapproche par la forme serrée des lettres. - Inscription gothique du XIIIe siècle. Cathédrale de Saint-Bertrand de Comminges. Photo : © Serge Jodra, 2017. La minuscule gothique. Dans l'écriture minuscule gothique, des lignes basées remplacent les lignes droites et les lignes courbes. Ce caractère s'observe principalement dans les lettres i, m, n, et u, où l'on voit la tête de chaque jambage s'infléchir vers la gauche, et le pied vers la droite, tandis que la partie intermédiaire reste verticale; l'n se confond avec l'u; l'm ne se distingue que difficilement de l'n précédé ou suivi de l'i, à moins que cette lettre ne soit surmontée de l'accent; la brisure parallèle et uniforme des jambages, le nombre infini des saillies anguleuses, la finesse des liaisons qui contraste avec l'épaisseur des pleins, donnent à cette écriture un caractère tout nouveau. Plus on avance dans la période gothique, plus il est rare de rencontrer l's final et les lettres a, c, t, sous les formes qu'elles avaient dans l'ancienne minuscule. La minuscule diplomatique se distingue de celle des manuscrits par le développement des signes abréviatifs. Cette écriture ne dure guère; ce n'est que par exception qu'on la rencontre dans les chartes du commencement du XIVe siècle. Dès lors la cursive était devenue d'un usage à peu près général. Abandonnée de bonne heure pour les chartes et les diplômes, elle persista plus longtemps dans les manuscrits; on l'y rencontre encore au XVIe siècle, et il est remarquable que ses formes anguleuses s'exagèrent, loin de s'atténuer, et que ses traits débordent les lignes en tous sens. C'étaient les derniers efforts d'une écriture à son déclin. Un goût plus épuré avait amené en Italie le renouvellement de l'écriture romaine, et bientôt les autres pays suivirent l'impulsion. Dès le milieu du XVIe siècle la minuscule gothique ne servait guère en France que pour écrire les titres de quelques ouvrages, et, à la fin du même siècle, elle avait complètement disparu. La même écriture fut très fréquemment employée sur les sceaux vers la fin du XIVe siècle, et, pendant tout le XVe, elle s'y montra constamment à l'exclusion de la majuscule. Mais au XVIe siècle elle fut elle-même abandonnée pour les sceaux aussi bien que pour les manuscrits. L'écriture cursive gothique. Vers la seconde moitié du XIIIe siècle, il se fit une réaction en faveur de l'écriture cursive, qui, tombée en désuétude au Xe siècle, avait été à peu près hors d'usage dans les actes des deux siècles qui suivirent. Ce n'est pas qu'antérieurement à cette époque de renaissance les caractères cursifs fussent absolument inconnus; mais ils n'étaient pas assez multipliés pour donner à l'ensemble de l'écriture la physionomie qui caractérise la cursive. Cette écriture ne paraît guère dans les manuscrits avant le XIVe siècle; alors elle s'y présente hérissée des abréviations les plus singulières. Il est à noter que la cursive gothique, qui s'introduisit en Italie au XIVe siècle, se maintint à la cour de Rome, sous le nom d'écriture de la Daterie, même après que l'écriture de la Renaissance eut été universellement adoptée. Celle-ci ne fut employée que dans les brefs et les bulles consistoriales. La cursive gothique continua de servir pour la transcription des autres bulles. La conservation de ces caractères barbares, très difficiles à déchiffrer, tient probablement au dessein de rendre plus difficile la contrefaçon des actes de l'autorité pontificale. L'écriture mixte. On doit reconnaître, dans la période gothique, une écriture particulière qui fut employée dans les chartes et les manuscrits à partir des premières années du XIVe siècle. Régulière et nette comme la minuscule, et comme elle sans liaisons, elle se rapproche de la cursive par les lettres a, b, d, e, f, h, l et s, qu'elle emprunta à son alphabet, et qui permirent de la tracer avec plus de rapidité. Des écritures actuelles. A dater de la fin du XVe siècle, la science scripturale s'est perdue en France; il n'y a plus de règles ni de guide, chacun trace sa pensée à sa fantaisie. La confusion est portée à un tel point aux XVIIe et XVIIIe siècles, qu'il devient très difficile de déchiffrer les écritures de ce temps-là. Les écritures dont on se sert aujourd'hui reçoivent, suivant la forme des lettres, différentes dénominations. La ronde est composée de traits légèrement inclinés vers la gauche; elle est souvent réservée au même usage que les caractères italiques dans l'impression, c.-à-d. à faire ressortir les citations et les expressions sur lesquelles l'auteur veut appeler l'attention du lecteur. La bâtarde est à peu près droite; c'est la plus lisible de toutes. La coulée est une écriture liée, penchée vers la droite, et dont les déliés joignent les traits ou le corps de la lettre, en partant de bas en haut. L'anglaise, plus inclinée encore, a de l'élégance et de la légèreté. Les écritures dites carrées, fleurisées, mariées, tremblées, etc., ne sont que des écritures de fantaisie, et ne forment pas de genres à part. Une écriture est dite posée, quand elle se fait lentement; expédiée ou cursive, quand elle se fait à main courante. La gothique est un assemblage bizarre de lettres carrées ou anguleuses, assez semblables aux caractères allemands utilisés jusqu'aux premières décennies du XXe siècle. L'écriture comme un art. Les maîtres d'écriture se plaisent à donner a leur art le nom de calligraphie, qui avait autrefois en Europe - et toujours aujourd'hui en Orient - une acception plus étendue et indiquait un art plus relevé. Pour s'en tenir ici, à la seule calligraphie occidentale, on nommera plusieurs calligraphes, qui ont eu une réputation méritée d'habileté : au Moyen âge, Girolamo Rocco à Venise, Augustin à Sienne, Creci à Milan, le Curion à Rome, A-Kempis aux Pays-Bas; dans les temps modernes, en Angleterre, Oeillard; en France, Rossignol, Michel, Lesgret, Allais, Josserand, Beauchesne, Barbedor, Legangneur, Jarry, et encore Saint-Orner, Werdet, Favarger, etc. D'autres sont parvenus à donner à leur écriture une finesse prodigieuse : ainsi, Élien parle d'un homme qui, après avoir écrit un distique, pouvait le renfermer dans l'écorce d'un grain de blé. Pline raconte que Cicéron avait vu l'Iliade entière renfermée dans une coquille de noix. II y a au collège Saint-Jihn, à Oxford un croquis de la tête de Charles Ier, fait avec des caractères d'écriture qui, vus à une très petite distance, ressemblent à des effets de burin : les traits de la figure et de la fraise contiennent les Psaumes, le Credo et le Pater. Au British Museum de Londres on voit un dessin de la largeur de la main représentant la reine Anne, et entièrement formé par des lignes d'écriture; il contient la matière d'un volume in-folio. A la Bibliothèque de Vienne, on voit un feuillet de 58 cm de hauteur sur 44 de largeur, dont une seule face contient 5 livres de l'Ancien Testament écrits en plusieurs langues. (B. et C. de B.). | |