| Le Deutéronome est le cinquième et dernier des livres dits de Moïse ou de la Thora juive, l'avant-dernier livre de l'Hexateuque quand on joint au Pentateuque le Livre de Josué, afin d'avoir le tableau complet des destinées des ancêtres de la nation israélite jusqu'à la prise de possession de la Palestine. Il a reçu des traducteurs grecs (Septante) le nom sous lequel nous le connaissons, à raison des textes législatifs qui forment la plus grande partie de son contenu et apparaissent comme une nouvelle édition de la loi rapportée aux livres précédents, comme une seconde loi. Le Deutéronome consiste essentiellement en discours placés dans la bouche de Moïse; à la fin, on y lit le récit des derniers incidents de la traversée du désert, notamment de la mort de Moïse. En voici l'analyse : Le peuple étant arrivé dans les plaines de Moab et étant à la veille de franchir le Jourdain pour pénétrer dans la terre promise, Moïse lui adresse un premier discours; après avoir rappelé les événements qui se sont accomplis depuis le départ du Horeb (ou Sinaï), l'orateur sacré adjure ses auditeurs d'adorer désormais d'une façon exclusive Yahvéh, leur libérateur et leur sauveur, et il insiste sur le caractère spiritualiste du culte qui doit être rendu à Dieu (chap. I, 1, à IV, 43). Dans un second discours, tenu au même lieu, Moïse développe le même thème avec plus d'abondance encore. Il rappelle d'abord la révélation solennelle des Dix Commandements par la divinité s'adressant directement au peuple, et annonce que Dieu l'a chargé de compléter ces instructions fondamentales par diverses ordonnances qu'il communique aux Israélites dans le moment présent. Le Dieu qui a délivré son peuple dans les circonstances mémorables dont les auditeurs de Moïse ont conservé le souvenir, prétend recevoir seul les hommages des Israélites et il tirera des vengeances terribles de ceux qui s'attacheront au culte idolâtre des nations étrangères. De l'obéissance à ces commandements dépendent le bonheur et la prospérité de la nation sur le sol que son pied s'apprête à fouler (chap. IV, 44, à XI, 32). On notera dans ces deux discours des déclarations de première importance: « Puisque vous n'avez vu aucune figure le jour où Yahvéh vous a parlé du sein du feu en Horeb, veillez attentivement à ne vous faire aucun simulacre, etc. » (IV, 15 et suivi.) [...] « Ecoute, Israël! Yahvéh, notre Dieu, est le seul Yahvéh. Tu aimeras Yahvéh, ton Dieu, de tout ton cour, de toute ton âme et de toute ta force. - Et ces commandements, que j a te donne aujourd'hui, seront dans ton coeur. Tu les inculqueras à tes enfants, etc. » (VI, 4 et suiv.) « Voici, je mets aujourd'hui devant vous la bénédiction et la malédiction la bénédiction si vous obéissez aux commandements de Yahvéh, votre Dieu, que je vous prescris en ce jour; la malédiction si vous n'obéissez pas aux commandements de Yahvéh, votre Dieu, et si vous vous détournez de la voie que je vous prescris en ce jour pour aller après d'autres dieux, que vous ne connaissez point. » (XI, 26-28). Ces deux discours sont suivis par un exposé de la législation (chap. XII à XXVI) qui forme le noyau du livre. Les clauses ne se suivent pas dans un ordre méthodique; nous noterons cependant les points principaux : ordre d'adorer Yahvéh dans un lieu de culte unique et non pas dans une multitude de sanctuaires comme font les Chananéens; pénalités terribles contre la défection religieuse ou l'apostasie; règlement de la dîme et des exemptions propres à l'année sabbatique; distribution au cours de l'année des grandes fêtes périodiques, qui doivent être célébrées dans le sanctuaire unique; institution permanente du prophétisme; une série de dispositions concernant la vie civile et la justice, etc. La législation du Deutéronome se distingue par le point de vue religieux qui la domine : adoration de la divinité unique dans un lieu unique, subordination de tous les actes de la morale et de la vie civile à cette double et inéluctable obligation. C'est ce qui explique que, à côté de recommandations vraiment touchantes en faveur des pauvres, des veuves, des orphelins, des lévites, en un mot des déshérités de ce monde, se rencontrent des prescriptions draconiennes contre l'apostasie religieuse. A la législation succèdent différentes indications et discours, toujours placés dans la bouche de Moïse (chap. XXVII à XXX), qui se prêtent difficilement à une brève analyse, mais où nous devons relever cette circonstance, que l'auteur du texte désigne les scènes qu'il relate comme constituant formellement la conclusion d'une seconde alliance, mise sur le même pied que celle du Horeb (ou Sinaï) (XXVIII, 69). Le livre se termine (chap. XXXI à XXXIV) par la désignation de Josué comme successeur de Moïse, par une remarquable poésie dite Cantique de Moïse où le législateur prédit la défection religieuse des temps à venir, la déportation qui en sera la peine et la restauration qui lui succédera, par une seconde poésie dite Bénédiction de Moïse, où le sort à venir des différentes tribus est indiqué en des termes qui indiquent une composition moderne, enfin par le récit de la mort du chef des Israélites et par son éloge. Le livre du Deutéronome offre le plus grand intérêt au double point de vue des idées dogmatiques et de la législation israélite. Cependant un est loin de s'accorder sur les caractères de sa composition, sur sa date, sur son origine, sur sa véritable relation avec les livres qui précèdent, Exode, Lévitique, Nombres. Nous nous expliquerons ici très brièvement sur ces points. Commençons par écarter les chap. XXXI à XXXIV, qui constituent une sorte d'appendice et dont les morceaux poétiques, en particulier par la connaissance de l'exil de Babylone qu'ils indiquent clairement ainsi que par une série de détails, sont d'origine post-exilienne; écartons aussi les chap. XXVII à XXX, ainsi que le premier discours placé dans la bouche de Moïse (I, 1, à IV, 43) ; la question est de savoir si le noyau du Deutéronome (second discours et législation, IV, 44, à XXVI) doit être tenu pour l'oeuvre d'un seul auteur, qui se serait proposé de faire précéder son exposé législatif par des considérations édifiantes. Faut-il, au contraire, considérer le discours (IV, 44, à XI, fin) comme ayant été, à l'origine, indépendant de la législation, en sorte que ces deux grandes compositions, de provenance et d'objets dis-tincts, n'auraient été rapprochées et réunies que par la suite? La première vue est celle que l'on défend le plus généralement; la seconde a été proposée par Eichthal et se recommande par de sérieuses considérations. Les personnes qui ont soutenu l'unité foncière du Deutéronome ont prétendu qu'il aurait été (au moins dans ses parties essentielles) composé au temps du roi Josias (environ 620 avant notre ère), afin de servir de programme à la réforme religieuse que le second Livre des Rois (chap. XXII et XXIII) attribue à ce prince. Cette opinion a été contestée de la façon la plus formelle par Ernest Havet, G. d'Eichthal et le soussigné, qui ont montré que le rédacteur des Rois avait subi l'influence du Deutéronome dont il avait le texte sous les yeux, et que ses allusions prouvent en faveur de l'existence de ce livre, non à l'époque de Josias, mais après la captivité. Si l'on se refuse à chercher l'origine du Deutéronome au sein des cercles pieux du VIIe siècle avant notre ère, désireux de rétablir la pureté du culte, en sera conduit à en placer la rédaction aux temps de la restauration. (Maurice Vernes). | |