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Le Cosmothedros, ou Conjectures sur les Terres célestes et leurs habitants (Cosmotheoros, sive de Terris coelestibus, earumque ornatu conjecturae) est une oeuvre posthume de Huygens, parue en 1698 à La Haye, où l'astronome s'emploie à décrire ce que pourrraient être la vie et les civilisations sur d'autres planètes. Huygens ne s'est pas contenté, comme Fontenelle dans sa Pluralité des mondes, de dire qu'il est vraisemblable que les autres astres sont habités comme la Terre; il a voulu, de plus, chercher quelle est la nature probable de ces astres et de leurs habitants, quelle connexion petit exister entre eux et nous, quelles sont leurs formes physiques, leurs figures , leurs manières d'être. Mais malgré sa clairvoyance pour indiquer la propension naturelle qui nous entraîne à juger toute chose sous un point de vue essentiellement humain, il s'est laissé glisser lui même dans l'illusion, et l'anthropomorphisme domine souverainement sa théorie tout entière. Contenu de l'ouvrage. Le système de Copernic est d'abord exposé et adopté. Puis viennent la grandeur des planètes, leurs diamètres et le moyen de les connaître. L'uniformité qui doit se trouver entre la Terre et les autres planètes prouvée par des expériences d'anatomie. (Ces expériences sont que la connaissance du système anatomique d'un animal quelconque donne par analogie celle de tous les autres de la même espèce.) L'auteur traite ensuite de l'excellence des choses animées au-dessus des pierres, des montagnes et des rochers, etc. Les planètes doivent avoir des choses animées aussi bien que la Terre, et qui soient de la même espèce que celles que nous voyons ici-bas. L'eau est le principe de tout ce qui s'engendre sur la Terre. Il y a des eaux dans les autres planètes : leur différence avec celles de la Terre, leur usage pour la production des choses animées. Et la thèse favorite s'établit petit à petit les plantes et les animaux croissent et se multiplient dans les planètes de la même manière que chez nous. La manière dont ils se meuvent d'une place à l'autre. Il y a des humains qui habitent les planètes. L'humain, quoique vicieux, est toujours une créature considérable et la principale du monde. Les humains qui habitent les planètes ont la raison, l'esprit, le corps de la même espèce que ceux qui habitent sur la Terre. Les sens des animaux raisonnables et de ceux qui sont privés de la raison, qui vivent dans les planètes, sont semblables à ceux de la Terre. Usage des sens. Le feu n'est point un élément, il réside dans le Soleil. Il y a du feu dans les planètes les manières dont on l'excite, son utilité et ses usages. Les animaux ne doivent pas être dans les autres sphères de grandeur différente de celle qu'ils ont sur la Terre. La grandeur et l'excellence de l'humain au-dessus des autres animaux par rapport à sa raison. Il y a dans les planètes des humains qui cultivent les sciences. Les instruments de mathématiques, l'art d'écrire et de mesurer doivent se trouver dans les planètes, peut-être avec moins de perfection que parmi nous. Ils ont aussi, comme nous, besoin d'habits : la nécessité et l'utilité des vêtements. La grandeur et la disposition du corps de ces habitants sont semblables aux nôtres. Le commerce, la société, la paix, la guerre, les autres passions et la douceur de la conversation, se doivent trouver parmi les habitants des planètes. Ces humains se bâtissent des maisons selon l'art de l'architecture, ils connaissent la marine et pratiquent la navigation. Excellence de la géométrie, ses règles sûres et invariables; les habitants des planètes la possèdent. Explication curieuse de plusieurs questions sur la musique, touchant les consonances et les variations qui se trouvent dans le chant; les habitants des planètes possèdent cette science. Description de tout ce qui se trouve parmi nous sur terre et sur mer : sciences, arts, richesses; toutes ces choses diverses doivent se trouver parmi les habitants des planètes. Le parti-pris anthropocentré de Huygens. En ce qui concerne les membres, et les mains en particulier : « Comment pourraient-ils se servir, dit-il, des instruments de mathématiques, des lunettes, et tracer des caractères et des figures, s'ils n'avaient pas de mains? Un certain philosophe de l'antiquité croyait que dans les mains se trouvaient tant d'avantages, qu'il mettait en elles le principe de toute la sagesse : ce philosophe voulait dire que sans le secours des mains les hommes n'auraient jamais pu cultiver leur esprit, ni comprendre les raisons de ce qui se passe dans la nature. Supposez, en effet, qu'au lieu des mains, l'on eût donné aux hommes la corne du pied d'un cheval ou d'un boeuf, ils n'auraient jamais bâti de villes ni de maisons, quoiqu'ils eussent été doués de la raison; ils n'auraient pu s'entretenir d'autre chose que de ce qui regarde la nourriture, le mariage ou leur propre défense. Ils auraient été privés de toute sorte de science, de l'histoire des temps et des siècles passés; enfin ils auraient fort approché des bêtes. Quel instrument peut-il donc y avoir aussi commode que les mains pour faire et fabriquer ce nombre infini de choses qui nous sont utiles? »La trompe de l'éléphant, le bec des oiseaux, les divers organes de préhension, sont passés en revue, et comme, en fin de compte, la main est reconnue l'instrument le plus merveilleux, on en conclut que tous les êtres raisonnables de tous les mondes ont des mains semblables à la nôtre. Sur les cités et les habitations planétaires : « Il y a une raison qui porte à croire qu'ils se bâtissent des maisons, puisqu'il pleut dans leurs terres comme ici ; ce qui se voit au surplus dans la planète Jupiter par des traînées de nuages qui sont changeantes. Il y a donc et des pluies et des vents, parce qu'il faut que la vapeur que le Soleil a attirée retombe sur le sol; le souffle des vents est visible dans l'atmosphère de Jupiter. Pour se garantir de cette incommodité, et pour passer les nuits en sûreté et en repos (car ils ont les nuits et le sommeil comme nous), il est vraisemblable qu'ils possèdent les choses nécessaires à leur conservation, qu'ils bâtissent des cabanes, des maisonnettes, ou qu'ils creusent des cavernes, comme toutes les espèces d'animaux qui sont sur notre terre (à la réserve des poissons) le font pour leur défense. Mais,, pourquoi ne leur donner que des cabanes et des maisonnettes? Pourquoi n'élèveraient-ils pas de superbes et magnifiques bâtiments, aussi bien que nous? Si l'on compare avec notre Terre la grandeur des globes . de Jupiter et de Saturne, on ne saurait concevoir aucune raison qui prouve que dans ces planètes ils ne connaissent pas aussi bien que nous la délicatesse de l'architecture, ni pourquoi ils ne bâtiraient pas des palais, des tours, des pyramides, beaucoup plus hauts que les nôtres, plus somptueux et mieux proportionnés. Comme l'adresse que les humains font paraître dans leurs travaux est presque infinie, principalement à tailler la pierre, à cuire la chaux et la brique, à se servir du fer, du plomb, du verre et même de l'or pour l'ornement, pourquoi les autres planètes seraient-elles privées de cette industrie?
« S'ils se plaisent au chant et aux tons harmonieux, il faut qu'ils aient inventé quelques instruments de musique, puisque c'est par hasard qu'on les a découverts, soit par des cordes bandées, nu par le sifflement des roseaux et des tuyaux, qui ont donné naissance aux luths, aux guitares, aux flûtes et aux orgues, par le moyen du vent ou de l'eau. De même ils ont pu, dans les planètes, inventer des instruments qui ne sont ni moins charmants, ni moins délicats que les nôtres. Quoique nous reconnaissions que les tons et les intervalles du chant soient fixés et déterminés, cependant il y a des nations dont la manière de chanter est bien différente, comme autrefois chez les Doriens, les Phrygiens et les Lydiens; et, de notre temps, chez les Français, les Italiens et les Persans. Il se peut faire, de même, que les habitants des planètes aient une musique différente de celle-ci, quoiqu'elle soit agréable à leurs oreilles; et comme nous n'avons point de raison qui nous oblige de croire qu'elle soit plus grossière que la nôtre, nous n'en avons pas non plus qui nous empêche de croire qu'ils ne se servent aussi bien que nous des sons chromatiques, et de dissonances agréables, puisque c'est la nature qui fournit ces tons et ces demi-tons, et qui les marque précisément par de justes proportions. Et, afin qu'ils nous égalent dans leurs concerts, et qu'ils puissent avec art mélanger leur harmonie, il faut qu'ils sachent adroitement se servir de nos tritons, de fausses quintes, etc., et qu'ils sauvent ces dissonances à propos. Quoique cela ne paraisse guère vraisemblable, il se peut cependant que dans Jupiter, Saturne et Vénus, ils aient, au-dessus du Français et de l'Italien, la théorie et la pratique de cette science. »L'auteur développe amplement la théorie du contre-point. Il ne se borne pas à cet art de société. « Outre l'utilité de la vie sociale, ils doivent avoir, comme nous, un grand plaisir à converser, dans les discours familiers, dans l'amour, dans la raillerie, dans les spectacles. Si nous imaginions qu'ils passent leur vie dans un sérieux continuel, et sans quelque sorte de gaieté ou de récréation, qui sont le meilleur assaisonnement de la vie, et dont à peine on saurait se passer, nous la leur rendrions insipide, et, contre la raison, nous ferions la nôtre plus heureuse que la leur. »L'auteur s'occupe des habitants des planètes avec autant de soin et de prévenance que s'ils étaient de sa famille; il ne les laisse manquer de rien; à tout prix il faut qu'ils soient heureux et qu'ils nous ressemblent. Aussi, tout ce qui précède n'est-il pas encore suffisant. « Après avoir parlé des arts et de ce que les habitants des planètes ont de commun avec nous pour les usages et commodités de la vie, je crois qu'il est à propos, par l'estime que nous devons avoir pour eux, de faire le dénombrement de ce qui se trouve chez nous. »Et voilà qu'il passe en revue les richesses de la nature. terrestre et de l'humanité, les imaginant volontiers sur tous les autres mondes. « Les arbres et les herbes nous fournissent des fruits pour la nourriture et pour la médecine; en outre, ils donnent les matériaux qui servent à la construction des maisons et des navires. Du lin on tisse les vêtements; du chanvre et du genêt on tord le fil et la corde. Les fleurs répandent d'agréables parfums, et, quoiqu'il y en ait qui choquent l'odorat par leur mauvaise odeur, et que l'on trouve des herbes vénéneuses, cependant ces herbes et ces fleurs ont leurs qualités et leurs vertus, comme la nature l'a voulu. Des animaux, quelle prodigieuse utilité n'en retire-t-on pas? Les brebis fournissent la laine pour le vêtement; les vaches, du lait, et ces deux animaux fournissent des viandes alimentaires. Nous nous servons des ânes, des chameaux, des chevaux, tant pour porter nos hardes et nos bagages que pour nos propres voyages. L'excellente invention des roues, qui se présente ici à mon imagination, fait que je l'attribue volontiers aux habitants des planètes.Et voici de quelle façon conclut l'auteur : « Quoique nous ayons fait voir, par des preuves assez convaincantes, que dans les terres planétaires existent des personnes raisonnables, des géomètres, des musiciens; qu'ils vivent en société, qu'ils se communiquent leurs biens réciproquement; que leurs corps sont assortis de mains et de pieds; qu'ils ont des maisons pour se garantir des injures du temps, l'on ne doit pourtant pas douter que si quelque Mercure ou quelque puissant génie nous conduisait en ces lieux-là, ce ne fût pour nous un spectacle bien merveilleux de voir la nouveauté de leurs figures et de leurs occupations; mais, quoique l'on nous ait fait perdre toute sorte d'espérance de pouvoir faire ce chemin, il ne faut pas pour cela se rebuter de chercher soigneusement, autant que nos forces le permettent, quelle est la face des choses célestes qui se présentent à la vue de ceux qui passent leur vie dans chacune des planètes. »Huygens s'est abusé en transportant sur les autres mondes la nature terrestre et les choses qui lui appartiennent. Mais, en dehors de cette manière de voir personnelle et arbitraire, son livre reste l'un des plus sérieux et des plus savants écrits sur la question, surtout dans ses chapitres relatifs aux éléments astronomiques des planètes. (C. Flammarion). |
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