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Les Contemplations
de Victor Hugo
Les Contemplations est un recueil de poésies de Victor Hugo, publié en deux volumes au mois de mai 1856. Autrefois, tel est le titre du premier volume; Aujourd'hui, le titre du second. Aurore, l'Ame en fleur, les Luttes et les rêves, Pauca mea, En marche, Au bord de l'infini : tels sont enfin les différents titres placés en tête de chacune des six parties dont se composent ces deux volumes et qui nous disent déjà le chemin que va nous faire parcourir le poète, chemin bien long, car c'est celui de la vie entière, depuis l'aurore, c'est-à-dire le berceau, jusqu'au bord de l'infini, c'est-à-dire de la tombe; 
"une destinée, dit l'auteur dans sa pré face, est écrite là jour à jour ". 
Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés rayon à rayon, soupir à soupir et mêlés dans la même nuée sombre.
"C'est l'existence humaine sortant de l'énigme du berceau et aboutissant à l'énigme du cercueil; c'est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l'amour, l'illusion, le combat, le désespoir et qui s'arrête, éperdu, au bord de l'infini. Cela commence par au sourire, continue par un sanglot et finit par un bruit du clairon de l'abîme. "
II serait bien difficile, et il n'est pas nécessaire, pour apprécier Victor Hugo dans les Contemplations, de suivre pas à pas le poète dans le chemin dont il a marqué lui-même les étapes. Une autre division se présente toute simple, toute naturelle, à la première lecture des deux volumes. On y trouve, en effet, trois parties bien distinctes : la première, consacrée à la polémique, polémique littéraire aussi bien que politique; la deuxième, dans laquelle V. Hugo, qui vient de perdre sa fille, raconte au coeur les joies infinies que lui donna son enfant et les douleurs immenses que maintenant sa perte lui cause; la troisième, enfin, qu'on a, avant nous, appelée philosophique, et à laquelle nous laissons cette épithète. On pourrait encore ajouter une quatrième partie qui contiendrait les chansons, les sourires, les propos d'amour, les fleurs rayonnantes que le poète, avec intention, a éparpillées çà et là pour égayer un peu les pages trop tristes de son livre, pour éclairer celles qui sont trop sombres. Ainsi, lorsque les nuages courent dans le ciel, ils laissent toujours entre eux un intervalle où l'on voit un peu d'azur quand c'est le jour, une étoile quand c'est la nuit.

Etudions maintenant sous ses trois aspects différents l'oeuvre dont nous connaissons déjà l'ensemble et la pensée inspiratrice.

Dans les pièces intitulées : Quelques mots à un autre, A André Chénier, surtout dans la Réponse à un acte d'accusation, réponse pleine de verve, pleine d'entrain, d'un style vraiment révolutionnaire et dont le "ci-devant Boileau"  a dû frémir dans sa tombe, le poète nous dit comment et pourquoi il a voulu être, il a été un réformateur littéraire. Mais ne répétons pas ce que déjà nous avons dit, ne nous étendons point sur un sujet qui doit nous occuper longuement. A propos de cette réforme dans la langue, nous  renvoyons encore à la préface de Cromwell. Nous ne nous arrêterions pas davantage à la partie politique de ce recueil, qui ne consiste, du reste, que dans une pièce ayant pour titre : Ecrit en 1846, si, à propos de cette pièce, nous n'avions à réfuter une critique aussi injuste que grave de Gustave Planche. A cette époque, V. Hugo venait de faire à la Chambre des pairs un discours à propos des affaires de la Galicie, lorsqu'il reçut du marquis du C. d'E... la lettre suivante-:

"... Je vous ai vu tout enfant, monsieur,, chez votre respectable mère, et nous sommes même un peu parents, je crois. J'ai applaudi à vos premières odes : la Vendée, Louis XVII... Dès 1817, dans votre ode dite A la Colonne, vous désertiez les saines doctrines, vous abjuriez la légitimité; la faction libérale battait des mains à votre apostasie. J'en gémissais... Vous êtes aujourd'hui, monsieur, en démagogie pure, en plein jacobinisme. Votre discours d'anarchiste, dans les affaires de la Galicie, est plus digne du tréteau d'une Convention que un lu tribune de la Chambre des pairs. Vous en êtes la carmagnole..."
A cette lettre, V. Hugo répondit par la poésie dont nous venons de donner le titre, et à propos de cette poésie, Gustave Planche écrivait dans la Revue des Deux-Mondes
(15 mai 1856) :
" .... La Révolution de 89 est un sujet sérieux qui voudrait des paroles sérieuses et que par malheur le poète a traité d'un ton badin. Parfois sa raillerie se laisse aller à des expressions qui manquent de délicatesse et même d'urbanité... "
Et le critique consacre une grande page à développer ce thème. Vraiment, on ne peut pas s'expliquer, quand on a sous les yeux la pièce incriminée, quel inexplicable accès de pessimisme aveuglait le critique de la Revue des Deux-Mondes en écrivant ces lignes; car V. Hugo n'a jamais été moins " badin"; jamais il n'a été plus ému et, à coup sûr, plus noble, plus digne, plus grand que dans cette poésie où il raconte par quelles transformations l'enfant royaliste est devenu l'homme républicain. Quelques vers suffiront pour prou ver que V. Hugo ne méritait pas le reproche de G. Planche :
O saint tombeau, tu vois dans le fond de mon âme. 
Oh! jamais, quel que soit le sort, le deuil, l'affront, 
La conscience en moi ne baissera le front; 
Elle marche sereine, indestructible et fière; 
Car j'aperçois toujours, conseil lointain, lumière 
A travers mon destin, quel que soit le moment, 
Quel que soit le désastre ou l'éblouissement, 
Dans le bruit, dans le vent orageux qui m'emporte, 
Dans l'aube, dans la nuit, l'oeil du ma mère morte!
Voilà la poésie que Planche appelait de la poésie "badine". Passons.

Nous sommes (d'après notre division) à la seconde partie. V. Hugo, las du tumulte de la place publique des querelles et des luttes du théâtre, vient s'asseoir au foyer de la famille... Mais à ce foyer une place est devenue vide tout à coup, c'est celle de sa fille, de " l'enfant de son aurore ", de " l'étoila de son matin", de son premier-né qui naquit, alors qu'il n'avait pas vingt ans. Elle est morte le 4 septembre 1843, elle s'est noyée dans la Seine, et celui dont elle portait le nom depuis quelques mois à peine, Charles Vacquerie, est mort aussi en voulant la sauver. Et maintenant ne parlez pas au père :

Ne lui parlez pas d'autre chose
Que des ténèbres où l'on dort.
Cependant, après être resté pendant trois années courbé sous le poids de son immense douleur, il se réveille tout à coup et pousse un cri, jette un blasphème à la face du Dieu, qu'il appelle "jaloux".  C'est comme la folie du désespoir. Puis vient la folie de l'illusion :
Oh! que de fois j'ai dit : silence! elle a parlé, 
Tenez! voici la bruit de sa main sur la clé! 
Attendez, elle vient, laissez-moi, que j'écoute!
Car elle est quelque part dans la maison sans doute. 
Enfin on voit, dans les poésies suivantes, le calme revenir peu à peu en l'esprit de Victor Hugo, et peu à peu l'image sombre des dernières heures s'effacer et faire place à la souriante figure des premiers jours. Il reporte sa pensée au temps où celle qui n'est plus était encore enfant; il fouille en son coeur, et ces souvenirs pleins de joie, pleins d'amour, pleins de rayons, reviennent un à un à la mémoire du poète. Mais c'est pour amener toujours après eux un regret et une larme.

Il la voit encore entrant, le matin, dans sa chambre, tout doucement, à pas légers. Lui faisait semblant de dormir et elle attendait son réveil. Puis, quand il ouvrait les yeux, vite elle s'approchait et lui disait : " Bonjour, mon petit père ". Ensuite elle s'asseyait sur son lit, dérangeait ses papiers... et le poète ajoute :

Parmi mes manuscrits je rencontrai souvent 
Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée 
Et mainte page blanche entre ses mains froissée
Où je ne sais comment venaient mes plus doux vers.
Ce dernier trait est à la fois plein de grâce et de vérité.

Il la voit un peu plus tard, quand elle a dix ans, faisant épeler sa petite soeur dans la grande Bible, lui servant de mère, lui disant gravement : " Sois bien sage".  Voilà donc le poète revenu, comme au temps des Feuilles d'automne, au foyer domestique et racontant ses joies pures et saintes.

Et ne craignez pas que cette poésie intime, dont le thème est toujours simple, toujours naïf, ne devienne, par cette simplicité et cette naïveté, puérile ou monotone sous la plume de V. Hugo. Cet écueil n'est pas à redouter, parce que le poète n'invente pas quand il s'agit de la famille; il raconte ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il éprouve; il écrit sous la dictée de son coeur, et, les mots allant d'où ils viennent, il émeut, il fait pleurer. Emouvoir et faire pleurer c'est une des plus belles prérogatives du poète.

Arrivons maintenant à la partie philosophique de l'oeuvre de V. Hugo, et ici nous sommes obligé, bien malgré nous, de revenir à Gustave Planche qui, décidément, était un critique étrangement bilieux.

" La partie philosophique des Contemplations, dit-il, mérite l'indulgence et le sourire... Il serait difficile, en effet, de prendre au sérieux les prétentions de M. Victor Hugo dans le domaine de la raison pure. Quand, au lieu de raconter ses émotions personnelles et depeindre ce qu'il a vu, il essaye d'expliquer l'origine du monde, la destination de l'homme, ses droits, ses devoirs, les châtiments attachés à chacune de ses fautes, il se laisse aller à des enfantillages qui ne manqueraient pas d'amuser s'il eut pris le soin de les traduire dans une langue plus claire. Malheureusement, dans les pièces qu'il nous donne pour l'expression de sa philosophie, l'obscurité de la forme s'ajoute à la puérilité de l'idée... Ce n'est pas, ajoute-t-il un peu plus loin, ce n'est pas pour nous un sujet d'étonnement. Plus d'une fois déjà les poètes ont eu de pareils caprices. Eh bien! dût-on me trouver singulier, je pense que la philosophie ne se devine pas plus que l'histoire. La connaissance du passé, l'intelligence des vérités éternelles ne se trouvent dans aucun berceau. Les plus heureux génies sont condamnés à l'étude".
Si la philosophie est cette science d'école, abstraite, inintelligible, inutile, absurde sur laquelle a pâli le front des moines de la fin du Moyen âge et qui égara leur raison, nous avouons que, pour essayer d'en parler, il faut s'être condamné longtemps à l'étude, nous admettons que V. Hugo n'est pas un philosophe, nous sommes certain même qu'il n'a pas la prétention de l'être, et nous gagerions qu'en feuilletant les pages de l'histoire où sont racontées les querelles des prétendus savants auxquels nous venons de faire allusion, le poète s'est écrié comme Sénèque le Stoïcien :
" Que de temps perdu en disputes de mots, en subtilités, en recherches oiseuses! En avons-nous donc trop, pour être si prodigues? Savons-nous vivre? Savons-nous mourir?... "
Au contraire, si la philosophie a pour but d'éclairer les esprits et de les diriger, si son privilège est de fortifier et de consoler, si elle n'est pas, en un mot, une science vaine, mais la science même de la vie..., nous affirmons qu'elle ne s'apprend pas. Qui l'avait apprise à Socrate? son démon familier, c'est-à-dire son bon sens; quel livre l'avait révélée à Descartes (un métaphysicien)? sa raison.

Notre avis, à nous, C'est que V. Hugo est philosophe depuis la première ligne de ses oeuvres jusqu'à jusqu'à la dernière. Lisez Ce que dit la bouche d'ombre, lisez Saturne; lisez plutôt tout le livre qui a pour titre Au bord de l'infini, et vous serez de notre opinion.

Nous n'avons pas à revenir sur la quatrième partie, qu'il suffit d'indiquer.

Tel est ce livre de Victor Hugo qui a été accueilli avec une faveur marquée. Jamais peut-être la forme n'avait été plus pure, plus harmonieuse. La partie consacrée, à la mémoire de sa fille est à la hauteur de ses plus beaux poèmes, et la philosophie de V. Hugo est douce, consolante et de nature à frapper vivement l'imagination en même temps qu'elle parle à la raison. (PL).

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