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Confidences, d'Alphonse de Lamartine

Sous le titre Confidences, A. de Lamartine a publié en 1849 des confessions de jeunesse que le poète a prétendu donner au public. En réalité, c'est plutôt une méditation en prose, coupée d'épisodes évidemment enjolivés, arrangés au caprice de la plus brillante imagination. L'auteur raconte d'abord son enfance et se peint lui-même avec une charmante fatuité quasi féminine. Le morceau capital du livre est l'épisode de Graziella. Lamartine, dans un autre livre, a fait au public de Nouvelles confidences (1851), en racontant l'événement le plus considérable de sa jeunesse, l'histoire poétique de ses amours avec Elvire.

Ces réminiscences ont du charme; ces tableaux, de la fraîcheur. Mais les Confidences présentent deux défauts trop d'importance attachée au moi du poète, si intéressant soit-il, et, de plus, une certaine froideur résultant de ce que le lecteur se trouve en face non d'une action qui se déroule, mais d'une exhumation de souvenirs. Si la malignité du public perd à cette réserve, la conscience de l'auteur est tranquille, et la dignité humaine y gagne, surtout après les révélations de Rousseau et les accusations cruelles de Chateaubriand. Heureux d'avoir vécu dans une atmosphère de bonté et de génie, l'auteur des Confidences ne s'est souvenu que des bons, tandis que Rousseau n'a guère vu que des méchants. Cependant est-il toujours bien inspiré dans ses souvenirs? et la mémoire de ceux qu'il a aimés n'a-t-elle rien à craindre de ses éloges? On peut hésiter à le croire; on peut douter que les mères soient très édifiées du ton que prend la piété filiale dans les Confidences.

Nous estimons trop haut la dignité et la délicatesse de ce sentiment, le plus pur de tous, pour ne pas être choqués de surprendre, dans la vénération du fils, la curiosité du peintre, la complaisance presque d'un amant ou tout au moins d'un amateur. Quelle sûreté de mémoire dans un enfant qui revoit, à quarante ans peut-être d'intervalle, 

"la taille souple et élégante de sa mère, sa peau transparente, ses cheveux très noirs, mais très fins, qui tombent avec tant d'ondoiement et des courbes si soyeuses le long de ses joues?" 
Qu'auraient dit Boileau ou Voltaire d'entendre un grand poète nous confier, avec la naïveté d'une coquetterie toute féminine, 
"qu'il était un des plus beaux enfants de son âge, avec des yeux d'un bleu noir, des traits purs et presque romains, des cheveux très souples et très fins, d'un brun doré, comme l'écorce mûre de la châtaigne, heureux de formes, heureux de coeur, heureux de caractère, etc." 
Chapelain et les Précieuses, grands faiseurs de portraits, pour être moins artistes, n'étaient guère plus affectés, et parlaient une langue plus pure.

Laissons d'autres confidences, dont l'auteur n'a pas pressenti le fâcheux effet, soit qu'il donne une couleur romanesque aux périlleux rendez-vous de ses parents sous la Terreur, et se souvienne de Roméo et de Juliette presque au pied de l'échafaud; soit qu'il explique et analyse les sentiments religieux de sa mère, 

"née pieuse comme on naît poète, et chez qui les voluptés de la prière s'étaient identifiées avec la foi."
Est-il besoin de rappeler ici l'idée que St Augustin donne du caractère et de la piété de Ste Monique? II vaut mieux renvoyer le lecteur, dans ce même livre des Confidences, à la touchante histoire de Graziella, qui fait pardonner bien des légèreté. Pour le goût et la langue,  Lamartine n'est pas plus à l'abri du reproche que Chateaubriand, et il reste, comme lui, bien loin de Rousseau, leur maître commun, qu'il traite d'ailleurs assez dédaigneusement. Le poète des Méditations s'était pourtant inspiré merveilleusement des agitations et de la mélancolie contagieuses des Confessions; et il avait créé une langue à la fois neuve et pure, pour exprimer ces sentiments devenus populaires. Le prosateur des Confidences, gâté par une admiration idolâtre et écrivant pour les journaux, n'est sévère ni pour les détails puérils, ni pour les négligences. II suffit de rappeler ce qu'il dit de son éducation, inspirée de Pythagore et de l'Émile, d'où sa mère proscrivait 
"ces immolations des animaux, ces appétits du sang, cette vue des chairs palpitantes, faites pour brutaliser et férociser les instincts du coeur." 
Ce ne sont là que des oublis du goût. Mais ce que nous avons dit des confessions et des confidences montre les inconvénients de ce genre délicat et périlleux. (A19).
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