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César Birotteau, d'Honoré de Balzac

César Birotteau (Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau) est  un  roman d'Honoré de Balzac, qui, dans la Comédie Humaine, est rangé dans les série des Scènes de la vie parisienne

C'est le 10 avril 1834 que Balzac parle pour la première fois de cette oeuvre (Lettres à l'Étrangère) : 

« Je fais une oeuvre capitale, César Birotteau ... C'est Socrate bête, buvant dans l'ombre et goutte à goutte sa ciguë, l'ange foulé aux pieds, l'honnête homme méconnu ... Ce sera plus grand, plus vaste que ce que j'ai fait jusqu'alors. »
Le souci de réaliser sa conception, « qui a pris d'immenses proportions» (26 octobre), reparaît en novembre 1834, en août et octobre 1835; mais Le Père Goriot, Le Contrat de Mariage, Le Lys dans la Vallée, etc., passent d'abord; et la résolution d'aborder « immédiatement » Birotteau ne se manifeste que le 12 février 1837 : encore Balzac songe t-il en même temps aux Employés, qui paraîtront d'abord, et à La Maison Nucingen, qui sera à peu près contemporaine de Birotteau (novembre 1837). L'insuccès de La Femme supérieure (premier titre des Employés) engendrait chez lui (8 juillet 1837) une défiance de ses forces, « peu propice à le lancer dans l'oeuvre de César Birotteau, que j'aborde, disait-il, aujourd'hui même, et qu'il faut pousser avec une grande célérité. » 
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La Comédie humaine : César Birotteau.
"La Restauration fit un persopnnage de César Birotteau".
(César Birotteau).





On peut suivre, dans les Lettres à l'Etrangère des 19 juillet et 25 août, la concurrence que d'autres sujets font à celui-ci. La lettre du 1er septembre atteste que le manuscrit (la première rédaction très hâtive) de Birotteau était alors « assez avancé. » Enfin, le 14 novembre, Balzac veut en finir : « On offre 20,000 francs de César Birotteau s'il est prêt pour le 10 décembre [Le Figaro voulait l'offrir en prime à ses abonnés]; j'ai un volume et demi à faire, et la misère m'a fait promettre. Il faut travailler pendant vingt-cinq nuits et vingt-cinq jours » (à l'Etrangère - cf. Correspondance, I. 377, à Laure Surville). Ce tour de force, Balzac l'accomplit (et Edouard Ourliac le raconta, dans un article humoristique du Figaro, 15 décembre 1837) : 

« Je viens [à l'Etrangère, 20 décembre] de terminer en vingt-deux jours César Birotteau. J'ai fait en même temps La Maison Nucingen pour La Presse. » 
Il est anéanti de fatigue. Il dort quinze ou seize heures par jour et ne fait rien (20 janvier 1838, à l'Etrangère). De son ouvrage, il n'a plus que « le plus profond dégoût » et il n'est « propre qu'à le maudire pour les fatigues qu'il lui a causées. » De fait, la production de Balzac, en 1838, est relativement faible. (Il assure bien le 17 septembre 1838, à Mme Hanska, qu'il vient d'écrire « deux volumes in-octavo intitulés : Qui terre a guerre a », les futurs Paysans; mais il ne semble pas que cette affirmation doive être prise au pied de la lettre). Il se souviendra longtemps de cet effort; en 1843, le 28 mai, il écrira à l'Etrangère :
« Un jour, j'ai fait Birotteau en dix-sept jours, et j'ai failli y rester. » 
Mettons qu'il exagère (tout à l'heure, c'était vingt-deux jours); il n'en reste pas moins que, même à tenir compte de l'élaboration inconsciente subie par le sujet, pendant cette période d'incubation qui s'étend d'avril 1834 à décembre 1837, César Birotteau est l'un des témoignages les plus expressifs, de ce que peut réaliser la verve de Balzac, enfiévrée par la hantise de la dette.
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Cossu, probe et bien pensant

[ César Birotteau, brave Tourangeau d'origine paysanne, venu à Paris  en 1793 avec un louis dans sa poche, est entré comme garçon de magasin chez M. et Mme Ragon, parfumeurs, à l'enseigne de La Reine des Roses. Il leur a succédé après le 18 brumaire. Il a rendu de grands services aux royalistes militants, qu'il a cachés dans sa boutique. La Restauration l'a bien payé de ses peines. Il est chef de bataillon de la Garde Nationale, chevalier de la Légion d'honneur. La tête tourne à cet homme excellent, scrupuleux, et un peu simple. Il rêve d'acquérir une grande fortune industrielle; Balzac le prend au moment où, malgré les sages exhortations de sa femme, il se lance dans les entreprises les plus vastes. ]

« César avait alors quarante ans. Les travaux auxquels il se livrait dans sa fabrique lui avaient donné quelques rides prématurées, et avaient légèrement argenté la longue chevelure touffue que la pression de son chapeau lustrait circulairement. Son front, où, par la manière dont ils étaient plantés, ses cheveux dessinaient cinq pointes, annonçait la simplicité de sa vie. Ses gros sourcils n'effrayaient point, car ses yeux bleus s'harmoniaient par leur limpide regard toujours franc avec son front d'honnête homme. Son nez cassé à la naissance et gros du bout, lui donnait l'air étonné des gobe-mouches de Paris. Ses lèvres étaient très lippues, et son grand menton tombait droit. Sa figure fortement colorée, à contours carrés, offrait par la disposition des rides, par l'ensemble de la physionomie, le caractère ingénument rusé du paysan. La force générale du corps, la grosseur des membres, la carrure du dos, la largeur des pieds, tout dénotait d'ailleurs le villageois transplanté dans Paris. Ses mains larges et poilues, les grasses phalanges de ses doigts ridés, ses grands ongles carrés eussent attesté son origine, s'il n'en était pas resté des vestiges dans toute sa personne. Il avait sur les lèvres le sourire de bienveillance que prennent les marchands quand vous entrez chez eux; mais ce sourire commercial était l'image de son contentement intérieur et peignait l'état de son âme douce. Sa défiance ne dépassait jamais les affaires, sa ruse le quittait sur le seuil de la Bourse ou quand il fermait son grand livre. Le soupçon était pour lui ce qu'étaient ses factures imprimées, une nécessité de la vente elle-même. Sa figure offrait une sorte d'assurance comique, de fatuité mêlée de bonhomie qui le rendait original à voir en lui épargnant une ressemblance trop complète avec la plate figure du bourgeois parisien. Sans cet air de naïve admiration et de foi en sa personne, il eût imprimé trop de respect; il se rapprochait ainsi des hommes en payant sa quote-part de ridicule. Habituellement, en parlant, il se croisait les mains derrière le dos. Quand il croyait avoir dit quelque chose de galant ou de saillant, il se levait imperceptiblement sur la pointe des pieds, à deux reprises, et retombait sur ses talons lourdement, comme pour appuyer sa phrase. Au fort d'une discussion, on le voyait quelquefois tourner sur lui-même brusquement, faire quelques pas comme s'il allait chercher des objections et revenir sur son adversaire par un mouvement brusque. Il n'interrompait jamais, et se trouvait souvent victime de cette exacte observation des convenances, car les autres s'arrachaient la parole, et le bonhomme quittait la place saris avoir pu dire un mot. Sa grande expérience des affaires commerciales lui avait donné des habitudes taxées de manies par quelques personnes. Si quelque billet n'était pas payé, il l'envoyait à l'huissier, et ne s'en occupait plus que pour recevoir le capital, l'intérêt et les frais; l'huissier devait poursuivre jusqu'à ce que le négociant fût en faillite; César cessait alors toute procédure, ne comparaissait à aucune assemblée de créanciers, et gardait ses titres. Ce système et son implacable mépris pour les faillis lui venait de M. Ragon, qui, dans le cours de sa vie commerciale, avait fini par apercevoir une si grande perte de temps dans les affaires litigieuses, qu'il regardait le maigre et incertain dividende donné par les concordats comme amplement regagné par l'emploi du temps qu'on ne perdait point à aller, venir, faire des démarches et courir après les excuses de l'improbité.

- Si le failli est honnête homme et se refait, il vous payera, disait M. Ragon. S'il reste sans ressource et qu'il soit purement malheureux, pourquoi le tourmenter? Si c'est un fripon, vous n'aurez jamais rien. Votre sévérité connue vous fait passer pour intraitable, et, comme il est impossible de transiger avec vous, tant que l'on peut payer, c'est vous qu'on paye.

César arrivait à un rendez-vous à l'heure dite; mais dix minutes après, il partait avec une inflexibilité que rien ne faisait plier : aussi son exactitude rendait-elle exacts les gens qui traitaient avec lui. Le costume qu'il avait adopté concordait avec ses moeurs et sa physionomie. Aucune puissance ne l'eût fait renoncer aux cravates de mousseline blanche dont les coins brodés par sa femme ou sa fille, lui pendaient sous le cou. Son gilet de piqué blanc, boutonné carrément, descendait très bas sur son abdomen assez proéminent, car il avait un léger embonpoint. Il portait un pantalon bleu, des bas de soie noire et des souliers à rubans dont les noeuds se défaisaient souvent. Sa redingote vert-olive, toujours trop large, et son chapeau à grands bords lui donnaient l'air d'un quaker. Quand il s'habillait pour les soirées du dimanche, il mettait une culotte de soie, des souliers à boucles d'or et son inévitable gilet carré, dont les deux bouts s'entr'ouvraient alors afin de montrer le haut de son jabot plissé. Son habit de drap marron était à grands pans et à longues basques. Il conserva jusqu'en 1819 deux chaînes de montre qui pendaient parallèlement, mais il ne mettait la seconde que quand il s'habillait. Tel était César Birotteau, digne homme à qui les mystères qui président à la naissance des hommes avaient refusé la faculté de juger l'ensemble de la politique et de la vie, de s'élever au-dessus du niveau social sous lequel vit la classe moyenne, qui suivait en toute chose les errements de la routine : toutes ses opinions lui avaient été communiquées, et il les appliquait sans examen. Aveugle mais bon, peu spirituel mais profondément religieux, il avait un coeur pur. Dans ce coeur brillait un seul amour, la lumière et la force de sa vie; car son désir d'élévation, le peu de connaissances qu'il avait acquises, tout venait de son affection pour sa femme et pour sa fille. ».
 

(H. de Balzac, extrait de César Birotteau).

Pourquoi, dans la concurrence des sujets qui vivaient en son imagination, Birotteau ne l'a-t-il pas emporté plus tôt? Il dira le 11 octobre 1846 : 

« J'ai conservé César Birotteau pendant six ans à l'état d'ébauche, en désespérant de pouvoir jamais intéresser qui que ce soit à la figure d'un boutiquier assez bête, assez médiocre, dont les infortunes sont vulgaires, symbolisant ce dont nous nous moquons beaucoup, le petit commerce parisien... Dans un jour de bonheur, je me suis dit : Il faut le transfigurer, en en faisant l'image de la probité [...] Et il m'a paru possible. » (A Hippolyte Castille; Oeuvres complètes, T. XXII).
Tel est en effet le sujet de Birotteau : un parfumeur, type de l'honnêteté commerciale, chef de bataillon dans la garde nationale, ancien juge au tribunal de commerce, et nommé par la Restauration chevalier de la Légion d'honneur en récompense de son dévouement à la cause royale, se laisse griser par le succès, est ruiné par, des spéculations maladroites, et par la banqueroute de ses associés. Il est déclaré en faillite. Mais grâce à un travail acharné, aidé d'ailleurs par une femme énergique et pleine de sens, et par son oncle Pillerault, type admirable d'austérité républicaine, il arrive à désintéresser ses créanciers, il est réhabilité, et il meurt aussitôt, tué par la joie d'avoir reconquis son honneur commercial. Nous ne résumons pas ici le drame de procédure commerciale, qui tient une bonne partie du livre. 

Lemer (Balzac) se demande si le souvenir des remarquables observations, sur la procédure en matière de faillite, contenues dans Birotteau, n'inspira pas à J. Favre et à Dupont de Bussac la proposition sur les « Concordats amiables » qu'ils présentèrent à l'Assemblée nationale en 1848. D'autre part M. Roux (Balzac jurisconsulte et criminaliste, 1906) se moque en passant de Mme Surville, qui disait qu'un avoué lui avait désigné Birotteau comme le guide indispensable en matière de faillite. Ne sutor ultra crepidam.

« Qui lit Birotteau, dit Balzac dans sa Préface de 1838, devra lire La Maison Nucingen; toute oeuvre comique est nécessairement bilatérale. » 
Et ailleurs (à Hippolyte de Castille, lettre citée) : 
« Nucingen et Birotteau sont deux oeuvres jumelles. C'est l'improbité, la probité, juxtaposées comme dans le monde.»
 Nous vérifions donc ici la loi d'antithèse qui régit une partie de la production de Balzac.

Les intrigues des fripons tiennent une grande place dans ce roman. Les « fauves » et les « reptiles » de la jungle parisienne y figurent au complet. L'oeuvre est illuminée par la figure un peu sotte, mais très pure, de Birotteau, par celle de sa femme, et par une idylle amoureuse entre leur fille et Anselme Popinot; à la fois sentimental et pratique, le gendre de Birotteau atteindra les plus brillantes destinées après 1830, il sera ministre. (J. Merlant).
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La bourgeoisie commerçante au bal

[ Birotteau veut augmenter ses dépenses, faire figure dans le haut commerce parisien. Il fait embellir sa boutique ; il agrandit son appartement, le fait décorer par un architecte de talent, enfin, il va donner un grand bal. C'est pourtant ce désir d'élévation qui le perdra. ]

« La bourgeoisie de la rue Saint-Denis s'étalait majestueusement en se montrant dans toute la plénitude de ses droits de bouffonne sottise. C'était bien cette bourgeoisie qui habille ses enfants en lancier ou en garde national, qui achète Victoires et Conquêtes, Le Soldat laboureur, admire Le Convoi du pauvre, se réjouit le jour de garde, va le dimanche dans une maison de campagne à soi, s'inquiète d'avoir l'air distingué, rêve aux honneurs municipaux; cette bourgeoisie jalouse de tout, et néanmoins bonnes, serviable, dévouée, sensible, compatissante, souscrivant pour les enfants du général Foy, pour les Grecs dont les pirateries lui sont inconnues, pour le Champ-d'Asile au moment où il n'existe plus, dupe de ses vertus et bafouée pour ses défauts par une société qui ne la vaut pas, car elle a du coeur précisément parce qu'elle ignore les convenances; cette vertueuse bourgeoisie qui élève des filles candides rompues au travail, pleines de qualités que le contact des classes supérieures diminue aussitôt qu'elle les y lance, ces filles sans esprit parmi lesquelles le bonhomme Chrysale aurait pris sa femme; enfin une bourgeoisie admirablement représentée par les Matifat, les droguistes de la rue des Lombards, dont la maison fournissait La Reine des roses depuis soixante ans.
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La Comédie humaine : Bal chez Birotteau.
Birotteau donne un bal.

Madame Matifat, qui avait voulu se donner un air digne, dansait coiffée d'un turban et vêtue d'une lourde robe ponceau lamée d'or, toilette en harmonie avec un air fier, un nez romain et les splendeurs d'un teint cramoisi. M. Matifat, si superbe à une revue de garde nationale, où l'on apercevait à cinquante pas son ventre rondelet sur lequel brillait sa chaîne et son paquet de breloques, était dominé par cette Catherine Il de comptoir. Gros et court, harnaché de besicles, maintenant le col de sa chemise à la hauteur du cervelet, il se faisait remarquer par sa voix de basse-taille et par la richesse de son vocabulaire. Jamais il ne disait Corneille, mais « le sublime Corneille ». Racine était « le doux Racine ». Voltaire! oh! Voltaire, « le second dans tous les genres, plus d'esprit que de génie, mais néanmoins homme de génie! » Rousseau, « esprit ombrageux, homme doué d'orgueil et qui a fini par se pendre ». Il contait lourdement les anecdotes vulgaires sur Piron, qui passe pour un homme prodigieux dans la bourgeoisie. Matifat, passionné pour les actrices, avait une légère tendance à l'obscénité; on disait même qu'à l'imitation du bonhomime Cardot et du riche Camusot il entretenait une maîtresse. Parfois, Madame Matifat, en le voyant près de conter quelque anecdote, s'empressait de l'interrompre en criant à tue-tête : « Mon gros, fais attention à ce que tu vas nous dire. » Elle le nommait familièrement son gros. Cette volumineuse reine des drogues fit perdre à Mademoiselle de Fontaine sa contenance aristocratique; l'orgueilleuse fille ne put s'empêcher de sourire en lui entendant dire à Matifat :

- Ne te jette pas sur les glaces, mon gros! c'est mauvais genre. ».
 
 

(H. de Balzac, extrait de César Birotteau).
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