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Littérature > La France  > Le Moyen âge > Des origines à la majorité de saint Louis
La littérature française médiévale
Le cycle d'Alexandre
La légende d'Alexandre le Grand
Alexandre le Grand est un des personnages dont l'admiration populaire a fait des héros et des dieux. La rapidité et l'immensité de ses conquêtes dans l'Asie et dans l'Inde, cette patrie des prodiges et des apothéoses; son génie extraordinaire, où semble se personnifier celui de la culture hellénique; l'intérêt de la politique ou les calculs de la flatterie, qui lui donnèrent une origine céleste; la générosité de son caractère; sa douceur confiante et magnanime envers les vaincus; sa mort prématurée; toutes les causes réunies agirent profondément sur l'esprit de ses contemporains, et enveloppèrent peu à peu sa vie d'une merveilleuse auréole. Depuis ce moment, l'Orient et la légende s'emparèrent de lui l'oeuvre de transfiguration commencée jusque sous la tente par les récits mensongers des généraux et des soldats se continua à travers ces nations et les siècles. Les historiens byzantins et les poètes persans recueillirent à leur tour cet héritage légendaire, transmis soit par des monuments écrits, soit par la renommée : leur imagination, à laquelle venait en aide le penchant de la foule, dénatura encore les actions d'Iskander, le sublime vainqueur de Darab.

Les spécialistes n'ont encore rien découvert qui se rapporte aux exploits d'Alexandre dans les livres sanscrits, bouddhiques, brahmaniques et chinois, mais les autres peuples de l'Asie, rapprochées de l'Égypte et de la Grèce par le commerce ou la guerre, ont accepté toutes les légendes qui se résument sous le nom du Pseudo-Callisthène. Ainsi les écrivains perses, arabes, arméniens, s'étendent longuement sur les conquêtes d'Alexandre dans l'Inde. En Occident, sa biographie, métamorphosée chez les historiens grecs par une recherche prétentieuse des faits surnaturels, par une exagération perpétuelle des actions les plus simples, passa entre les mains de Plutarque, de Justin, de Diodore de Sicile, de Quinte-Curce, qui ont confondu souvent les matériaux vraiment historiques avec les fictions et les fables. De la sorte, à côté d'une tradition sérieuse, qui reproduit l'image fidèle et vraie du prince qu'elle suit dans ses conquêtes, il en est une autre plus répandue, qui, accueillant et fondant dans ses récits les circonstances vraisemblables que les mémoires des contemporains d'Alexandre lui ont léguées, les modifie au gré d'une imagination intarissable, invente des exploits fabuleux, et fait du roi macédonien le fils d'un dieu, ou tout au moins d'un sorcier, d'un enchanteur égyptien. La poésie se met aussi de la partie: les Alexandréides, abusant du privilège de l'imagination et des licences poétiques, ajoutent à la vérité les plus audacieux ornements.

La combinaison de ces divers éléments, récits vrais et légendes, amplifications oratoires, traditions de la Grèce et de l'Orient, etc., produisit, au VIIe et au VIIIe, siècle de notre ère, l'oeuvre du romancier byzantin caché sous le nom de Callisthène, et qu'un autre pseudonyme, Julius Valérius, imita librement en latin.

Un cycle aussi riche en exploits chevaleresques ne pouvait manquer d'attirer l'attention des trouvères : les auteurs de nos vieilles Chansons de geste, de nos romans français ou latins, appellent Alexandre sire de l'univers; ils ont raison; nul héros n'a eu plus que lui l'admiration et la sympathie du genre humain : ses compatriotes, les vaincus eux-mêmes, en firent un dieu, et les premiers chrétiens crurent à la vertu divine de son image; il y avait, dans les hymnes ecclésiastiques et dans les chansons populaires latines antérieures au XIIe siècle, des strophes en l'honneur d'Alexandre. Un des rois de France, Henri Ier, se fit honneur d'épouser une princesse de Russie, qu'on disait issue des anciens rois de Macédoine. Au XIIe siècle, une Alexandriade en vers latins, oeuvre de Gautier de Lille ou de Châtillon, était enseignée dans les écoles. A l'époque des Croisades, les Occidentaux allèrent puiser, soit aux sources grecques, soit dans les livres qui circulaient sous le nom de Callisthène, soit enfin dans les travaux de Siméon Seth, protovestiaire de l'empereur Michel Ducas, ces légendes biographiques qui composent la Chanson ou le Roman d'Alexandre, une des productions les plus curieuses du XIIe siècle. On attribue à Lambert le Tort (le Tordu) et à Alexandre de Bernay  la rédaction de ce poème dont Alexandre est le héros. II est probable que Lambert a conçu et exécuté le poème seul et sans collaboration, mais que, plus tard, Alexandre de Bernay ou de Paris, arrangeur habile et poète de mérite, a donné plus de régularité aux vers de l'auteur original, rajeuni le style, et remplacé les assonances de la Chanson primitive par des rimes exactes et harmonieuses. Voici une analyse succincte de l'ouvrage :

Le trouvère nous fait assister à la naissance du héros macédonien, puis nous le montre recevant les leçons du philosophe Aristote et du sorcier Nectanébo, domptant Bucéphale, triomphant d'un prince grec nommé Nicolas, élisant douze pairs de Grèce, faisant le siège d'Athènes, réconciliant Philippe et Olympias qu'a séparés un divorce, enfin roi, acceptant le défi que lui envoie Daire, roi des Persans.

Il commence la guerre par l'assaut d'une roche effrayante, image évidente d'Aornos, dont la prise, mentionnée par Arrien, est citée avec admiration par le Pseudo-Callisthène et par l'auteur de l'Itinéraire d'Alexandre, et exaltée par Lucien, comme un exploit auquel Hercule lui-même avait renoncé. Alexandre fait pendre le duc qui avait défendu la place; après quoi, il chevauche, suivi de nombreux soldats, sous un Soleil ardent, et arrive à un fleuve limpide qui coulait sur le flanc d'une montagne. Tout couvert de sueur et de poussière, il s'y précipite; mais le froid de l'eau lui glace le sang; il allait périr, si Tolomé, Climon, et Perdiccas, trois de ses douze pairs, ne se fussent élancés à son secours et ne l'eussent ramené vers la rive. On le porte à sa tente, dont les trouvères nous font une brillante peinture; on le place mourant sur un drap d'Aquitaine. Son médecin, gagné par l'or du roi de Perse, apprête un poison pour le tuer; mais à l'aspect de ce prince magnanime et de la foule désolée, le remords étouffe en lui les suggestions de l'avarice, et le médecin ne songe plus qu'à sauver son roi, qui bientôt est rendu a ses soldats.

Alexandre entre ensuite en Syrie, prend Tyr et Gadres après une série d'exploits qui ne lasse point la verve un peu diffuse des trouvères, gagne la bataille de Paile (Arbelles ), et punit les meurtriers de Daire, son rival vaincu. Porus, après avoir refusé de soutenir Daire, son suzerain, ayant enfin compris que son empire tomberait aux mains d'Alexandre, avait réuni cent mille chevaliers de toutes les contrées soumises à sa domination, Indiens, Cimmériens, Samaritains, Égyptiens, etc. Alexandre le défait, et le poursuit à travers les déserts. Là nous quittons le domaine de la fiction romanesque pour entrer dans celui des prodiges et des merveilles : des monstres hideux, rassemblés autour d'un vaste étang, s'opposent au passage d'Alexandre. Le courage qu'il a déployé en s'élevant dans les airs sur un char traîné par de gigantesques oiseaux, et en descendant au fond de la mer dans une sorte de tonneau, lui fait aisément braver ces périls terrestres. Porus, devenu pour un temps son ami, le guide à travers l'Inde. L'armée macédonienne arrive aux bornes d'Hercule, franchit le val périlleux où le diable avait élu séjour, échappe aux Sirènes et aux pièges séducteurs du bois où chaque fleur est une jeune fille, visite les fontaines qui donnent l'immortalité, et vient auprès des arbres prophétiques qui annoncent au roi sa mort prochaine. Alexandre, sans s'effrayer de cet oracle sinistre, poursuit ses victoires jusqu'à Babylone; après avoir triomphé des Amazones, il tombe victime de la perfidie et du crime d'Antipater, et expire en léguant à ses chevaliers les débris de son empire et la conquête du monde.

Sur ce fond sont brodés mille curieux détails, relatifs à la chevalerie, aux coutumes et aux croyances du moyen âge, aux luttes héroïques de l'époque des Croisades; le tout se développant en plus de 20 000 vers, dont la forme est généralement coulante, malgré l'uniformité des tirades monorimes, grâce à de nombreux éclairs de poésie réelle, d'éloquence naturelle et vraie, qui animent la longueur parfois fatigante du récit. On trouve, dans le Roman d'Alexandre, des sentiments élevés, des situations fortes et des tableaux saisissants; mais ce coloris particulier qui forme l'essence du style poétique, n'y brille qu'à de rares intervalles. Toutefois en songeant que nos trouvères s'adressaient à des barons illettrés ou à la foule ignorante, on leur saura gré de ces lueurs soudaines, dont s'éclaire par moments leur prosaïque poésie. C'est surtout dans la description des armures et des joutes chevaleresques qu'ils trouvent des expressions plus vives et plus brillantes. Les grandes scènes de la nature leur fournissent aussi quelques formes élégantes et fleuries : ils rencontrent assez bien, toutes les fois qu'il s'agit de peindre le printemps, l'aurore, le retour de la nuit, un orage, un fleuve, une prairie; cependant leur souffle est court, leur richesse bornée : ils ne s'aventurent pas au delà d'un ou deux vers. La vénerie et la fauconnerie, alors en grand honneur, suggèrent encore aux auteurs du poème d'Alexandre des vers ou des comparaisons d'un heureux effet. (Talbot, 1879).



En librairie - Pseudo-Callisthène, Le Roman d'Alexandre, Flammarion (GF), 2001.

Corinne Jouanno, Naissance et métamorphose du Roman d'Alexandre, CNRS, 2002. - Aimé Petit, L'anachronisme dans les romans antiques du XIIe siècle (Le roman de Thèbes, le roman d'Enéas, le roman de Troie, le roman d'Alexandre), Honoré Champion, 2002. Valerio Manfredi, Roman d'Alexandre le Grand, Plon, 2002. - Maurice Dessemond, Alexandre le Grand, l'homme dieu, Georges Naef, 2001. - Francis Fèvre, Alexandre le Grand, un héros de légende, Liana Lévi, 1999. - Catherine Gaullier-Bougassas, Les Romans d'Alexandre, aux frontières de l'épique et du romantisme, Honoré Champion, 1998. -  Jacques Lacarrière, Alexandre le Grand, la vie légendaire, Le Félin, 1993.

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Dictionnaire Le monde des textes
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