| Obermann est un roman de Sénancour publié en 1804. Comme Werther et comme René, Obermann est un des livres qui ont changé le courant littéraire d'une époque et entraîné pour longtemps dans la mélancolie la poésie et le roman du XIXe siècle. La pâle figure du héros de Sénancour a été reflétée dans d'innombrables compositions de tout genre, avant et après 1830. Ce livre est moins un roman à proprement parler qu'une étude psychologique; dans une suite de lettres écrites au jour le jour, Obermann retrace à un ami qui ne répond jamais ses désillusions, ses ennuis la ruine de ses espérances et l'état maladif de son esprit, qui ne trouve le calme nulle part. On a pensé que ces lettres étaient des confidences biographiques de Sénancour lui-même; elles donnent, en effet, une analyse de son caractère propre, de ses dispositions à la mélancolie; mais il a altéré à dessein les circonstances extérieures, il a dépaysé la scène et transposé quelques événements réels afin d'être plus à l'aise dans une fiction. Obermann ne peut pas s'analyser. Le héros du livre est un rêveur qui essaye d'échapper autant que possible à la vie en se plongeant dans des songes; vieux avant l'âge, il n'a que des paroles brèves et tristes pour tout ce qui fait l'animation et le mouvement de le vie; il n'espère plus rien, ne croit plus à rien et creuse ses moindres sentiments de façon à en extraire une souffrance. L'atmosphère des villes l'étouffe, le contact les humains l'exaspère, il s'enfuit dans les solitudes et ne se plaît que sur les pics déserts, avec les aigles pour seuls témoins de sa rêverie inquiète. « Obermann, dit Sainte-Beuve, est le type de ces sourds génies qui avortent, de ces sensibilités abondantes qui s'égarent dans le désert, de ces moissons grêlées qui ne se dorent pas, des facultés affamées à vide, et non discernées et non appliquées; de ce qui, en un mot, ne triomphe et ne surgit jamais; le type de la majorité des âmes tristes et souffrantes, de tous les génies à faux et des existences retranchées. » L'uniformité des lacs tranquilles, la bris des pins battus des vents, la lune à travers les vapeurs, et toute cette poésie vague de l'infini, voilà ce que poursuit Obermann! Il cherche dans la nature ce bonheur dont la soif intérieure le travaille; car son coeur, comme un champ labouré jusqu'au sable, est devenu stérile. Et puis, un jour enfin, fatigué de lui-même, il s'aperçoit qu'il faut renoncer au vide de ces dangereuses extases et demander à l'habitude des travaux vulgaires le calme oublieux des jours; mais il n'y réussit même pas et continue à traîner péniblement sa vie, à charge à lui-même, inutile aux autres. Le livre d'Obermann n'arriva pas du premier coup à la réputation dont il jouit aujourd'hui; un petit nombre seulement d'esprits délicats, et peut-être bien aussi atteints de la même maladie que le héros de Sénancour, goûtèrent cette oeuvre dans laquelle les écrivains de la fin de l'Empire et de la Restauration s'ingéniaient surtout à trouver des épigraphes, suivant la mode d'alore; presque toutes les pensées d'Obermann étaient ainsi connues par lambeaux, et ces citations commencèrent à faire au livre, très peu lu jusqu'alors, une immense renommée. Il prit fantaisie à Sainte-Beuve, qui y avait puisé comme les autres au temps de sa ferveur romantique, d'en opérer la résurrection, et une nouvelle édition, précédée d'une étude de ce fin critique (1833), fut accueillie avec toute succès d'une nouveauté. L'influence d'Obermam fut très grande sur toute une période de la poésie romantique. (PL). | |