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Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue

Les Mystères de Paris est un roman d'Eugène Sue (Paris, 1842-1843, 10 volumes).

De même qu'avec Atar-Gull, la Salamandre, la Vigie de Kout-Ven, Plick et Plock, Eugène Sue avait été l'un des premiers à introduire en France le roman maritime, ou, comme l'a si bien dit Sainte-Beuve, « avait découvert notre Méditerranée en littérature-»; de même avec les Mystères de Paris, on peut dire qu'il nous a initiés au roman social.

C'était l'époque où l'on poursuivait à coups d'articles da journaux, de discours, de livres et de brochures, la so lution de tous les grands problèmes sociaux que 1789 avait soulevés, que 1830 avait laissés de côté, et que 1848 devait soudainement remettre, en question. Eugène Sue voulut connaître à fond cette société qui réclamait si
impérieusement des réformes, ce peuple que jusqu'alors il s'était contenté de voir à la sur face, et dont les plaintes, chaque jour plus accentuées et plus menaçantes, attiraient son attention. Alors il se fit peuple lui-même, afin de pouvoir observer de plus près; de degré en degré, bravant, l'horreur et le dégoût, il descendit jusqu'en bas de l'échelle sociale, et il se heurta à des voleurs, à des assassins, à des filles perdues, à toute la hideuse population des bagnes, des prisons et des lupanars; il toucha du doigt cette léproserie morale et physique, cette gangrène humaine qui s'agite dans tous les recoins fangeux des grandes villes. Sur sa route; il avait rencontré le vice et la fortune accouplés, la misère et la vertu réunies; il avait vu, glacé, nu, mourant de faim, sans appui, sans secours, l'orphelin tendre la main à l'aumône; il avait vu la jeune fille, pâlie par les veilles; demandant un mauvais gîte et un morceau de pain à un travail repoussant ou au-dessus de ses forces; partout enfin, en haut et en bas; chez les privilégiés de la naissance et de la fortune, aussi bien que chez les déshérités du sort, il avait trouvé, l'avilisse nient et  la dégradation, le mensonge et l'hypocrisie, toutes les souffrances, toutes les ignominies, toutes les misères, toutes les hontes. Et Eugène Sue entreprit de photographier cette société qui demandait à être réformée, et de lui donner à elle-même son portrait. 

« Prends et regarde, lui-dit-il, et, avant de songer à te modifier, sache bien ce que tu es, pour bien savoir ce que tu veux et ce qu'il te faut. Connais-toi toi-même, connais la plaie qui te ronge, le mal qui te dévore et, ensuite; tu pourras songer utilement aux moyens de te guérir!  » 
Telle est l'idée, profondément féconde qui à présidé aux Mystères de Paris. Nous n'entrerons pas dans les innombrables détails du tissu romanesque dans lequel l'auteur a enveloppé ses enseignements et ses critiques. Contentons-nous d'indiquer la fable en quelques lignes, et d'esquisser les principales figures de ce drame gigantesque. Dès les premières lignes du récit, on est introduit dans un de ces bouges infects, repaire des forçats évadés ou libérés, et qui s'appelle un tapis franc. On n'y parle qu'une langue, l'argot, et c'est pourquoi la maîtresse de ce hideux taudis, qui débite à ses clients d'ignobles amours, et des boissons frelatées, s'appelle l'Ogresse. A côté d'elle, et pour lui faire contraste, est une jeune et charmante jeune fille, Fleur-de-Marie, qui est, sans le savoir, la fille naturelle d'une jeune Ecossaise, Sarah, et du prince Rodolphe de Gérolstein. Sarah mit au monde la pauvre petite en l'absence du prince, et, pour sauvegarder sa réputation, elle chargea son frère de faire disparaître le témoin de sa faute. Le frère abandonna l'enfant au coin d'une borne, et Fleur-de-Marie fut recueillie par une vieille mégère, sordide et méchante, surnommée la Chouette. Celle-ci envoyait la petite mendier le long des rues, et la battait tant chaque fois qu'elle revenait les mains vides, qu'elle prit un beau jour son parti de ne plus rentrer au logis. Trouvée par la police en état de vagabondage, elle fut arrêtée, enfermée dans une maison de correction jusqu'à l'âge de seize ans, puis mise à la porte avec une somme de 300 F qu'elle eut bientôt dépensée, et finalement enrôlée par l'ogresse au nombre des filles de joie de la Cité, parmi lesquelles sa voix harmonieuse et douce lui a valu le surnom de la Goualeuse. Eugène Sue a voulu, dans cette création, montrer la femme restée pure moralement au milieu de la plus terrible dépravation; aussi lui a-t-il donné toutes les grâces, toutes les nobles aspirations, tous les bons instincts, et l'on peut dire que la Goualeuse, cette pauvre bohémienne du Paris moderne, est quelque peu cousine, par sa nalveté poétique et sa chaste dégradation, de la Esméralda, la bohémienne du vieux Paris. Le prince de Gérolstein, n'ayant jamais, pu obtenir de Sarah aucun renseignement sur le sort de son enfant, a résolu de remuer ciel et terre pour la retrouver, et le hasard la lui faitt rencontrer, en effet, sous la sobriquet de la Goualeuse, dans la bouge honteux du tapis franc. Longtemps il ignore que c'est sa fille, mais il s'est pris d'amitié pour cette pauvre créature, embourbée dans les steppes fangeuses du vice et de la honte, et qui lui semble née pour marcher dans les sentiers fleuris de la vertu. Il veut l'arracher à l'atmosphère impure qu'elle respire, il veut qu'elle secoue son joug de prostituée et redevienne honnête. 
« Honnête! mon Dieu! Et avec quoi veux-tu donc que jes sois honnête? répond la pauvre enfant. Les habits que je porte appartiennent à l'Ogresse; je lui dois pour mon garni et pour la nourriture... Je ne puis pas bouger d'ici... elle me ferait arrêter comme voleuse ... Je lui appartiens... il faut que je m'acquitte!  » 
Cependant Rodolphe parvient à retirer la Goualeuse du tapis franc pour la rendre au bonheur et à la vertu; plus tard, il apprend qu'elle est la fille de Sarah, lui fait donner, de l'instruction, l'emmène avec lui dans sa principauté de Gérulstein, et l'y fait reconnaître sous le nom de princesse Amélie. Là, elle est aimée d'un jeune homme de noble naissance, pour lequel la pauvre enfant ressent, pour la première fois de sa vie, un véritable amour. Mais elle a conscience de son horrible passé, et elle refuse de l'épouser. Peu de temps après; elle se fait religieuse, et meurt d'une maladie de langueur, après avoir prononcé ses voeux. 

Nous n'avons donné là qu'un squelette informe de l'intrigue que viennent traverser cent épisodes divers, amenant en scène autant de personnages, qui tous sont des types pris sur levif et magistralement dessinés le Chourineur, un forçat libéré, qui a fait quinze ans de galères; le Maître d'école, le plus redoutable des brigands du quartier de la rue aux Fèves, échappé du bagne où il était enfermé pour la vie, et qui s'est mutilé le visage pour se rendre méconnaissable et éviter les poursuites; Jacques Ferrand, un notaire voleur, faussaire, assessin, espèce de satyre qui meurt d'amour pour une belle et infernale créature appelée Cécily; la Louve et Martial, des ravageurs, qui habitent l'île de ce nom, à Asnières; Tortillard, le gamin de Paris vicieux et corrompu; Rigolette, une gentille grisette pleine d'humour, de franchise et de coeur; Pipelet et son épouse Anastasie, deux caricatures de portiers, parisiens en butte aux scies d'un peintre loustic appelé Cabrion; tous enfin, car nous en oublions, sont autant de types dans lesquels Eugène Sue a incarné quelque misère, quelque,vice, quelque honte sociale. II n'a pas reculé devant les tableaux les plus hideusement vrais, pensant avec raison que « comme le feu, la vérité morale purifie tout  » .

Une des réformes que réclame le plus ardemment l'auteur des Mystères de Paris, est l'abolition de la peine de mort. Par malheur, le mode de châtiment qu'il propose pour remplacer la peine capitale, et qui consiste dans l'aveuglement du criminel, est presque aussi intolérable.

Que les projets de réforme proposés par le romancier soient ou non réalisables, peu importe. Son grand mérite est et sera toujours d'avoir appelé l'attention des penseurs sur des questions ignorées ou mal connues, d'avoir forcé la société à se connaître elle-même, de lui avoir indiqué le mal, sinon le remède.

Les Mystères de Paris furent publiés d'abord dans la Journal des Débats, et, par toute la France, on attendait chaque soir le feuilleton du lendemain avec une impatience qui n'avait d'égale que l'avidité avec laquelle on le lisait. La vogue était grande dans les salons, mais la popularité plus grande encore dans les ateliers.

« On sait, lit-on dans une revue mensuelle de 1843, la Ruche populaire, rédigée et publiée par des ouvriers, on sait le plaisir extraordinaire et les émotions que les ouvriers éprouvent à la lecture des Mystères de Paris, l'un des ouvrages les plus neufs et les plus remarquables, sans contredit, qui soient jamais apparus sur la scène littéraire. C'est un poétique et hardi tableau des dangers, des duplicités infernales et des misères affreuses qui assiègent et moissonnent les prolétaires ou travailleurs sans ressource, sans providence ou protection tutélaire. La lecture en est attrayante, toujours variée et saisissante; aussi chacun le voudrait-il avoir en propre et le conserver comme un des livres les plus chers à son coeur [...]. Mais d'où vient que la manifestation de M. Sue a tant d'éclat et de puissance? Selon nous, il osa montrer du courage; il se débarrassa du frac et de l'allure bourgeoise, et se jeta résolument, lui, intrépide marin, dans le gouffre des tortures populaires. Enfin, il se fit ouvrier pour observer à loisir et peindre avec plus de vérité la situation de ceux qui travaillent au milieu de souffrances de toutes sortes, ou qui, par représailles, livrent enfin à l'ingrate société haine pour haine et guerre pour guerre. » 
Qu'on tienne compte de la date et de la source de cette publication, et on aura la mesure exacte de l'enthousiasme que souleva ce livre, et, par cela même, celle de l'influence qu'il dut avoir sur les événements qui allaient s'accomplir quelques années plus tard.

Dans ce roman, dont le succès fut immense, Eugène Sue a fait preuve d'une étonnante facilité d'invention, aune grande habileté de mise en scène, d'une variété et d'une souplesse extraordinaires. Au point de vue de la forme, les Mystères de Paris n'ont pu échapper aux conséquences de la rapidité avec laquelle ils ont été écrits. Le style en est peu châtié, quelquefois même incorrect; mais, à défaut d'élégance et de pureté, certains chapitres sont écrits avec cette éloquence du coeur qui séduit et qui charme, qui convainc et qui entraîne. (PL).

Les Mystères de Paris est un drame en cinq actes et onze tableaux, d'Eugène Sue et Dinaux, représenté au théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1843. Le sujet de ce drame est emprunté au roman du même nom, aussi nous dispenserons-nous d'en donner une analyse. La censure retint longtemps le manuscrit des auteurs et ne se décidua à en autoriser la représentation qu'après avoir pratiqué de nombreuses coupes. Tel qu'il sortit des mains des censeurs, ce drame eut un succès immense, et les journaux de l'époque rapportent que, le jour où on lut sur l'affiche du théâtre l'annonce de la première représentation des Mystères de Paris, ce fut un véritable événement. A la première représentation, on applaudit et on siffla beaucoup. Frédérick Lemaître jouait le rôle de Jacques Ferraud, et Clarence celui de Rodolphe.
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