| Graziella est un roman de Lamartine (Paris, 1849). C'est le principal et le plus charmant épisode des Confidences. C'est tout un petit roman, historique paraît-il, et dont le poète de Jocelyn et des Méditations est le héros. Malheureusement, comme Jocelyn, comme aussi Raphaël, il pêche par le manque d'action réelle; défaut que l'on remarque dans tout ce qu'a écrit Lamartine. Il raconte, avec un grand mélange de beautés et de longueurs descriptives, une aventure de sa première jeunesse dans une famille de pécheurs napolitains. Il partageait leurs travaux, il vivait avec eux, il était le dieu de la maison. Bientôt leur fille, jeune et charmante enfant du nom de Graziella, éprouva pour lui un de ces sentiments profonds, irrévocables, qui absorbent la vie et en disposent pour toujours. Tout ce début du récit est empreint d'une grâce charmante, plein d'émotion et de poésie. « Un des plus heureux passages de l'épisode de Graziella, dit Sainte-Beuve, c'est quand le poète, après une tempête qui l'a jeté dans l'île de Procida, réfugié au sein d'une famille de pêcheurs, se met à lire et à traduire à ces pauvres gens, durant la veillée, quelques-uns des livres qu'il a sauvés du naufrage. Il y a trois volumes en tout : l'un est le roman de Jacopo Ortis, l'autre est un volume de Tacite, le troisième est Paul et Virginie. Le poète essaye vainement de faire comprendre à ces bonnes gens, tout voisins de la nature, ce que c'est que la douleur de Jacopo Ortis, et ce que c'est que l'indignation de Tacite; il ne réussit qu'à les ennuyer et à les étonner. Mais Paul et Virginie! A peine a-t-il commencé à le leur traduire, qu'à l'instant la scène change, les physionomies s'animent, tout a pris une expression d'attention et de recueillement, indice certain de l'émotion du coeur. La note naturelle est trouvée, les larmes coulent; chacun a sa part dans l'attendrissement. La pauvre Graziella surtout va puiser dans cette lecture charmante du livre innocent le poison mortel qui la tuera. Il y a là une admirable analyse de Paul et Virginie, telle qu'un poète seul a pu la faire. » Le poète répond à l'amour de la jeune corailleuse, ou du moins il croit y répondre, il croit l'aimer; mais ce qu'il ressent, l'émotion qui l'agite en présence des beaux yeux noirs de Graziella, ce n'est pas l'amour, ce n'en est que le frisson. Cette passion, d'ailleurs restée pure, le poète la raconte aussi naïvement que si c'était un autre qui en fût l'objet; il se dit, il se montre adoré, il veut que le lecteur comprenne bien tout le prestige qui s'attachait à sa personne. Et pourtant, quoi qui ait fait le poète pour rester au premier plan dans le tableau qu'il a tracé, il n a pu y réussir. C'est la douce et pure physionomie de la jeune Napolitaine qui illumine chaque page du récit, et l'intérêt tout entier se concentre d'autant mieux sur elle qu'on pressent la triste réponse qui sera faite à son coeur le jour où il ne pourra plus s'enpêcher de parier. En effet, la mère du voyageur qui s'oublie à Naples exige absolument son retour; il part, mais il promet de revenir à une époque fixée. A cette époque, malheureusement, il se trouve à Paris, et il y mène une vie de plaisir et de dissipation. Ses compagnons se seraient trop moqués de sa liaison avec la fille d'un pêcheur; il aurait rougi de la leur avouer, et, son orgueil l'emportant sur son amour, il reste. Il reste sans songer que là-bas on compte sur sa parole, et qu'à force d'attendre. un finit par se désespérer. La pauvre Graziella meurt de son amour. Le poète a consacré à ce funèbre souvenir l'un des plus beaux morceaux de ses Harmonies, l'élégie intitulée le Premier regret, que nous ne pouvons donner en entier : Sur la plage sonore où la mer de Sorrente Déroule ses flots bleus aux pieds de l'oranger Il est, près du sentier, sous la haie odorante, Une pierre petite, étroite, indifférente Aux pas distraits de l'étranger! La giroflée y cache un seul nom sous ses gerbes, Un nom que nul écho n'a jamais répété! Quelquefois seulement, la passant arrêté, Lisant l'âge et la date en écartant les herbes Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir, Dit : Elle avait seize ans! C'est bien tôt pour mourir! « L'épisode de Graziella, a dit Gustave Planche, commence d'une façon délicieuse. Au moins dans cette passion, il y a quelque chose de vrai. Si le poète n'est pas sincèrement épris, et la fin du récit ne le prouve que trop; si, malgré sa jeunesse, qui devait allumer dans son coeur un foyer de tendresse, il se laisse adorer comme Goethe par Bettina, sans éprouver un seul des sentiments qu'il inspire; s'il accepte l'admiration et l'extase comme un tribut légitime, l'amour de Graziella pour le jeune étranger est tour à tour plein de grâce, d'abandon, de confiance, calme dans sa douleur, résigné jusque dans son désespoir. Cette pauvre fille qui s'enfuit pour ne pas épouser son cousin qu'elle ne peut aimer, qui s'enfuit sans dire un mot de plainte on de reproche à l'homme qu'elle aime de toutes les forces de son âme, offre un mélange touchant d'exaltation et de naïveté. Le poète a eu raison de pleurer sur la mort de Graziella comme sur une faute que nul repentir ne pourrait effacer. Quand on a eu le bonheur de rencontrer sur sa route un coeur aussi pur, aussi candide, aussi passionné, fût-on incapable de partager l'amour qu'on lui inspire, il faut le traiter avec respect, avec piété, et ne pas l'abandonner comme un hochet inutile, après s'être donné le spectacle de cet amour condamné eu désespoir. » Jules Barbier et Michel Carré ont essayé de mettre sur le théâtre le sujet de Graziella, dans un drame-vaudeville représenté au Gymnase en 1849, et le talent de Rose Chéri, qui jouait le rôle principal, assura le succès de leur pièce. (PL). | |