| La Dame aux camélias est un roman d'Alexandre Dumas fils, publié à Paris en 1848. Voilà encore l'histoire d'une de ces bayadères qui brillent dans le jour douteux de ce monde aux secrets duquel Dumas fils semblait s'être donné mission d'initier ses contemporains. Marguerite Gautier, qu'on surnommait la Dame aux camélias, parce que sa délicatesse nerveuse ne lui permettait de supporter le parfum d'aucune autre fleur, était plongée dans le tourbillon des bals, des soupers et des fêtes. Mais sous le fard qui couvrait ses joues on eût pu découvrir la pâleur de son visage, et, malgré les emportements fébriles et les convulsions de sa gaieté, il eût été facile de comprendre que son coeur était « triste jusqua la mort ». C'est que, si Marguerite avait eu bien des amants, elle n'avait jamais eu d'amour; cet amour, dit Paul de Saint-Victor, que les courtisanes désirent comme les damnés la goutte d'eau, le diamant limpide qui les empêcherait de sentir l'ardeur du brasier éternel. Mais un soir, Armand Duval, un jeune homme bon, loyal et candide, apparaît à Marguerite, qui croit enfin avoir rencontré l'oasis tant désirée dans le désert de son coeur. En effet, Armand Duval devient l'amant de Marguerite; mais cette fois ce que demande la courtisane, ce n'est ni le plaisir, ni la fortune, c'est l'amour et la vie paisible, c'est d'être arrachée à cette vie dévorante de Paris qui l'épuise. Les deux amants se retirent donc dans un frais cottage à Auteuil, et, là, oublient dates les bras l'un de l'autre le bruit joyeux des grelots qui s'agitent dans les bacchanales de Paris. Mais voilà que le père d'Armand, un honnête provincial, grand faiseur de sermons, débarque chez les amoureux, et supplie Marguerite de lui rendre son fils. D'abord Marguerite résiste et cherche à démontrer au vieillard que son fils ne se perd nullement en restant avec elle, puisqu'elle vit aussi chastement avec lui que si elle était sa femme; mais le père insiste; il descend à la prière; il pleure même un peu, et Marguerite promet enfin de rompre avec Armand. En effet, la pauvre fille lui annonce dans un billet qu'elle a accueilli favorablement les propositions d'un certain marquis qu'elle repoussait jadis. On devine l'indignation d'Armand et la douleur de Marguerite. Celui-ci s'éloigne, la haine et le mépris au coeur, et Marguerite, qui s'est tuée plus sûrement par le sacrifice qu'elle s'est imposé que si elle avait avalé du poison, languit dans la solitude, pleurant sa vie passée et la perte de son bonheur. Peu à peu ses joues se creusent, ses pommettes se colorent faiblement; bientôt elle ne peut plus même se lever, et la misère vient s'asseoir au chevet de son lit. Cependant le père d'Armand, instruit des résultats de sa démarche et attendri de toutes ces douleurs, dont il ne peut plus suspecter la réalité, écrit une lettre de pardon à son fils, et Armand revient en toute hâte. Mais il est trop tard; il n'arrive que pour recevoir, dans un baiser suprême, l'âme de celle qu'il a tant aimée et qui meurt contente d'expirer dans ses bras. Il serait bien facile de faire un rapprochement entre la Dame aux camélias et Manon Lescaut; mais assez d'autres l'ont déjà fait, et nous nous contenterons de louer tout spécialement dans cette oeuvre le style jeune, ardent et nerveux de l'auteur, pour céder ensuite la parole à Gustave Planche : « Il y a dans la Dame aux camélias plusieurs scènes d'un intérêt très vif et très bien racontées; la sobriété du langage ajoute encore à l'émotion produite par le récit. Si c'est un roman, et l'opinion accréditée ne veut pas que ce soit un roman, il faut rendre justice à la vraisemblance de la fable, au rapide enchaînement de tous les épisodes. Réel ou inventé, peu importe, ce livre mérite une mention à part, parce qu'il émeut et peint avec une déplorable fidélité toute une face de la société contemporaine. Il se trouve parmi nous des hommes qui s'attachent de préférence aux femmes perdues, comme il se trouve des femmes, d'ailleurs bien nées, bien élevées, entourées d'exemples excellents, qui se proposent pour tache unique la régénération d'un homme dépravé. Sous ce double acharnement, il ne faut chercher qu'un vice unique : l'orgueil. M. Dumas fils, sans se préoccuper de cette question, s'est borné à raconter ce qu'il a dû voir ou savoir; il y a dans son récit un accent de sincérité qui n'appartient qu'au témoin oculaire ou à l'écrivain qui a recueilli d'irrécusables témoignages. Il serait facile de relever çà et là plusieurs pages où les sentiments exprimés manquent d'élévation et de délicatesse; où l'affection filiale et l'affection fraternelle sont profanées comme à plaisir par d'impudentes comparaisons. Cependant, malgré ces taches, qui frapperont tous les yeux exercés, la Dame aux camélias ne peut être confondue avec les romans qui se publient chaque jour. Si les amours de Duval et de Marguerite Gautier n'ont rien de poétique à leur début, elles se transforment dans la retraite d'Auteuil et perdent peu à peu la trace de leur souillure originelle. Puis, l'agonie de Marguerite est si douloureuse et si cruelle; cette malheureuse fille, qui n'a jamais vécu que pour la splendeur et la vanité, est si durement châtiée dans la seule affection quelle ait ressentie, que les âmes les plus sévères lui pardonnent son passé de luxe et de fange, en voyant son corps épuisé, dont toute la beauté s'est évanouie. ». | |
| La Dame aux camélias est un drame en cinq actes, en prose, d'Alexandre Dumas fils représenté pour la première fois sur le théâtre du Vaudeville, en février 1852. Le roman avait eu un succès complet; la pièce fournit à Dumas fils l'occasion de débuter au théâtre par un triomphe éclatant. Nous venons de rendre compte du livre, et, comme le drame ne renferme aucun élément nouveau, nous nous contenterons de reproduire l'opinion exprimée à son sujet par Théophile Gautier : « Rien de plus simple, dit-il, que cette pièce. La situation est toujours la même depuis le commencement jusqu'à la fin. Mais un souffle amoureux et jeune, mais une passion ardente et vraie circule dans toute la pièce et donne à chaque détail un attrait sympathique. A ce mérite se joint celui d'une observation exacte et fine; les moeurs de ce monde interlope sont peintes avec une touche très juste et très-naturelle. Le dialogue est semé de traits vifs qui partent subitement, d'attaques et de ripostes qui étincellent et sonnent comme un choc d'épées. On sent partout un esprit neuf et frais qui ne garde pas trois ans ses bons mots sur son calepin en attendant l'occasion de s'en servir. Ce qui, en outre, fait le plus grand honneur au poète, c'est qu'il n'y a pas la moindre intrigue, la moindre surprise, la moindre complication dans ces cinq actes d'un intérêt si vif pourtant. Quant l'idée, elle est vieille comme l'amour et éternellement jeune comme lui. Immortelle histoire de la courtisane amoureuse, tu tenteras toujours les poètes! Le grand Goethe lui-même, a fait descendre le dieu Mahaba dans le lit banal de la bayadère. » Il serait injuste de constater le triomphe de Dumas fils sans rappeler la part qui en revint aux deux acteurs émérites qui remplissaient les rôles principaux. Mme Doche, dans son double rôle de courtisane et de jeune fille, Marguerite Gautier avant et après sa transfiguration, s'est surpassée en verve et en éclat, en grâce navrante et en charme douloureux. Quant à Fechter, on ne pouvait souhaiter un Armand plus passionné, plus entraînant, plus chaleureux, ne s'écartant jamais, comme la plupart de nos jeunes premiers, de Ia diction et des allures de la meilleure compagnie. La Dame aux camélias a été peut-être la meilleure création d'Alexandre Dumas fils. On s'intéresse fortement à cette pauvre Marguerite, à cette Madeleine si coupable et si repentante. C'est une des excentricités du XIXe siècle prise sur le vif. L'artiste a fait un tableau réel, vivant, palpitant; mais il a épuisé toutes les couleurs de sa palette, et le Demi-Monde et l'Ami des femmes n'offriront plus que des pastiches. (PL). | |