| Cinq-Mars ou Conjuration sous Louis XIII est un roman d'Alfred de Vigny (Paris, 1827). Dans ce récit, dont la conspiration et la mort de Cinq-Mars ont fourni le cadre, l'auteur a voulu peindre avant tout la grande figure de Richelieu. Le portrait qu'il a fait de ce ministre, qui avait des sicaires pour les victimes obscures et des juges vendus pour la noblesse, est vrai selon l'art et l'histoire. C'est bien là l'homme vu de près et pris sur le fait; mais c'est surtout Richelieu dans ses jours de haine et de colère, Richelieu organisant le meurtre ou l'espionnage avec le père Joseph et avec Laubardemont. Toutefois, en mettant surtout en saillie le mauvais génie de Richelieu, il ne lui ôte rien de sa grandeur réelle. Le même homme qui vient d'ordonner tout à l'heure un assassinat dans l'ombre reparaît en public et se montre à l'Europe avec une véritable grandeur et un éclat majestueux. On le voit, maître du secret de toutes les cours, à l'armée, sous la cotte d'armes, gagnant et préparant des victoires, et envoyant Louis XIII se battre dans la mêlée comme un obscur capitaine, pour le dédommager de sa nullité dans les conseils. Voilà tout Richelieu : c'est un portrait achevé, où la donnée historique n'est nullement altérée par la fiction du poète. Le caractère de Louis XIII est également bien rendu; c'est bien là cette figure étrange et morne, un fils de Henri IV qui envoie à la mort ses amis les plus dévoués, et qui, maître de la France, est l'esclave de Richelieu. Alfred de Vigny a admirablement rendu cette opposition du maître qui commande et du maître qui obéit. Il y a dans ce livre des scènes d'une haute valeur historique. Citons, entre autres, celle où Richelieu, sur le refus du roi de signer un arrêt de mort, se retire, abandonnant Louis XIII à lui-même. Il est là, ce malheureux prince, seul dans son cabinet, au milieu de dépêches dont il ne connait pas le secret, de notes mystérieuses qu'il faut interpréter. Que faire? Le roi se dépite, tente de se révolter, puis se hâte de mander Richelieu. Qu'importe que quelques têtes encore roulent sous la hache? le repos royal ne vaut-il pas quelques gouttes de sang? La figure de Cinq-Mars est nettement dessinée. Peut-être pourrait-on reprocher à Alfred de Vigny un peu d'indécision dans le portrait de de Thou; mais, malgré cette légère critique; Cinq-Mars est un des meilleurs romans historiques qu'ait produits la littérature française du XIXe siècle. (PL). | |