| Les Caprices de Marianne est une comédie d'Alfred de Musset, représentée pour la première fois en 1851. Le sujet en est très simple : Marianne, jeune et jolie femme mariée à Claudio, vieux et laid, est adorée par Coelio. Cet amant timide envoie Octave, un ami débauché et coureur d'aventures, sonder le terrain et plaider sa cause. Marianne méconnaît l'amour sincère de Coelio, qui est tué à la place d'Octave dans un rendez-vous qu'elle a donné à ce dernier. Le débauché est au fond un homme de coeur, et il répond à la déclaration de cette coquette sans entrailles : « Je ne vous aime pas, c'est Coelio qui vous aimait! ». La punition de Marianne est dans le dédain d'Octave et dans le remords d'avoir causé le trépas de Coelio. Cette pièce avait paru dans la Revue des Deux Mondes du 15 mai 1838. Elle avait été goûtée à la lecture, mais au théâtre plusieurs jours furent nécessaires pour assurer son succès. La faute en est-elle au public ou à l'auteur? C'est la question que nous allons essayer de résoudre. Les trois personnages principaux, Marianne, Octave et Coelio, sont très vrais, très originaux; leurs sentiments sont très finement observés, mais ils étonnent à la scène, parce qu'ils ne sont pas assez préparés. Ce dont le lecteur se rend compte par la réflexion choque le spectateur surpris. Le titre même est mal choisi, car il ne répond pas à la pièce. Marianne n'a qu'un caprice : son mari est vieux et laid, elle est jeune et jolie, elle ne l'aime pas, et naturellement elle cherche ailleurs des consolations; mais pourquoi refuse-t-elle celles de Coelio, qui lui a voué une affection profonde et sans bornes? Parce qu'il est, comme ceux qui aiment véritablement, timide et indécis. Vienne Octave, le débauché, qui ne voit dans l'amour que la possession passagère, Marianne sa rendra à sa première sommation, d'autant mieux que Marianne, en cédant, se donne même le mérite d'un vertueux sacrifice : elle veut gagner Octave et le tirer de ta fange du vice. L'orgueil se fait ici le complice de l'adultère. La morale est dans le châtiment subi par cet orgueil outragé. Octave refuse de la posséder. -- Octave et Marianne auprès de la tombe de Coelio « OCTAVE. [...] Coelio était la bonne partie de moi-même; elle est remontée au ciel avec lui. C'était un homme d'un autre temps; il connaissait les plaisirs, et leur préférait la solitude; il savait combien les illusions sont trompeuses, et il préférait ses illusions à la réalité. Elle eût été heureuse, la femme qui l'eût aimé. MARIANNE. Ne serait-elle point heureuse, la femme qui t'aimerait? OCTAVE. Je ne sais point aimer; Coelio seul le savait. La cendre que renferme cette tombe est tout ce que j'ai aimé sur la terre, tout ce que j'aimerai. Lui seul savait verser dans une autre âme toutes les sources de bonheur qui reposaient dans la sienne. Lui seul était capable d'un dévouement sans bornes; lui seul eût consacré sa vie entière à la femme qu'il aimait, aussi facilement qu'il attrait bravé la mort pour elle. Je ne suis qu'un débauché sans coeur; je n'estime point les femmes; l'amour que j'inspire est comme celui que je ressens, l'ivresse passagère d'un songe. Je ne sais pas les secrets qu'il savait. Ma gaieté est comme le masque d'un histrion ; mon coeur est plus vieux qu'elle, mes sens blasés n'en veulent plus. Je ne suis qu'un lâche; sa mort n'est point vengée. » (A. de Musset, extrait des Caprices de Marianne, acte 2, scène VI). | Le caractère de Marianne excite, plus d'étonnement que de sympathie, quoiqu'il soit finement développé. Le public des théâtres, habitué à voir l'amour récompensé par l'amour, acceptait difficilement au premier abord ce personnage de coquette inhumaine et presque cynique. II a trop l'air d'un paradoxe, et sort trop, sinon de la vie commune, au moins des usages reçus au théâtre. Octave convient mieux au public : on aime à voir chez lui la noblesse du coeur survivre à la corruption des moeurs. Maintenant, nous sera-t-il permis de rappeler ici les trois unités à propos d'une oeuvre de Musset? On sait le cas qu'il est permis d'en faire désormais. Toutefois, s'il est avec l'unité de lieu en particulier des accommodements qu'il serait ridicule de ne pas accepter, elle nous paraît traitée ici avec un sans-gêne par trop cavalier, En somme, on reconnaît dans les Caprices de Marianne tous les éléments d'une comédie, mais non une comédie. « Alfred de Musset, a dit G. Planche, semble ignorer les premiers principes de l'art dramatique, ou s'en jouer à plaisir . Ces défauts une fois signalés, rendons justice à la grâce, à la délicatesse, à la vivacité, à l'énergie du dialogue, à la variété pittoresque des expressions, à l'heureuse combinaison des images, à l'esprit qui pétille à chaque mot. Malheureusement, pour mettre tout cela en oeuvre l'auteur a montré une sorte de paresse ou de dédain, et le public, un autre paresseux, obligé de faire le travail que l'auteur a négligé, s'est senti indisposé par le mal qu'il se devait se donner. (PL). | |