| Le Bossu est un roman publié en 1857, par Paul Féval. C'est une histoire de cape et d'épée, comme l'auteur l'a intitulée lui-même; mais, à travers ce cliquetis de fer, ces estocades gigantesques, on peut suivre le fil conducteur qui mène au but et maintient l'unité de l'oeuvre. Le Bossu est le récit de la lutte entreprise par un seul homme, pauvre, exilé, sans appui, contre le premier des grands seigneurs de la cour, le cousin du régent, soutenu par une armée de courtisans peu scrupuleux, de valets sans foi ni loi et de spadassins prêts à tuer un homme pour un écu. D'un côté, tout favorise les desseins du grand seigneur, de l'autre, tout se tourne en obstacle, et, cependant, la balance finit par pencher du côté de l'exilé. C'est qu'il a mis son épée dans le plateau, et que cette épée est si lourde que nulle main n'en peut soutenir le choc. Philippe de Gonzague a assassiné le prince de Nevers pour hériter de sa fortune et de sa veuve, mais il n'a pu lui voler son enfant, une jeune lionne plein de coeur, d'audace et de bravoure, Henri Lagardère a dérobé Aurore de Nevers aux meurtriers, l'a sauvée au péril de sa vie et a réussi il l'élever en pays étranger, déjouant, par son esprit et son courage, toutes les tentatives formées contre elle. La veuve de Nevers est devenue l'épouse de Philippe de Gonzague, et, au moment où se lie la véritable intrigue du roman, tandis qu'elle pleure encore sa fille, son mari lui présente une étrangère qu'il veut substituer à Aurore, pour s'assurer les dépouilles de son père; mais Lagardère, fidèle à la devise de Nevers (Adsum, j'y suis), a prévenu la princesse, qui refuse de reconnaître l'étrangère pour sa fille et attend la réalisation des promesses de Lagardère, qui lui a juré de lui rendre son enfant. Philippe de Gonzague, accusé par elle a découvert, grâce à ses affidés, la demeure de Lagardère et essaye plusieurs fois de le faire assassiner. Ceux qu'il envoie contre lui sont des spadassins qui l'ont aidé au meurtre du prince de Nevers. Lagardère, implacable comme la vengeance, les tue tous l'un après l'autre, les armes à la main. Gonzague est partagé entra deux occupations qui absorbent tous ses instants, mais dont le but est le mérite : augmenter sa fortune. Faire disparaître Aurore de Nevers et monopoliser les bénéfices des opérations financières du banquier écossais Law, telles sont les deux difficultés contre lesquelles il lutte. Son hôtel, transformé en arène d'agiotage, devient le centre de toutes les petites infamies des traitants. Les marchés s'y concluent à la minute et se signent sur le dos d'un bossu, personnage inconnu, comique et terrible à la fois, dont la langue acérée fait trembler Gonzague lui-même, quoiqu'il ait l'air de servir ses projets contre Lagardère. Quel est-il? D'où vient-il? Nul ne le sait, nul ne le peut deviner. Ce bossu, énigme vivante pour chacun des acteurs du roman, les réduit tous au silence par ses railleries effrayantes; car il possède les secrets de tous et réveille le remords dans ces esprits gangrenés. En dépit des craintes qu'il lui inspire, Gonzague se sert de lui, tant il déploie d'habileté dans ses manoeuvres contre Lagardère, jusqu'au moment où le fruit de vingt années efforts, de ruse et d'un courage héroïque semble perdu par la disparition des papiers établissant la naissance d'Aurore de Nevers. Le bossu se redresse, et sous le masque du bouffon apparaît Lagardère, beau et terrible comme aux jours de sa jeunesse, et poussant le formidable cri de guerre des Nevers : « J'y suis, j'y suis! ». Les preuves qu'il a promises, il ne peut plus les donner; placé entre l'habile défense de Gonzague et les attaques de la mère d'Aurore qui l'accuse d'avoir voulu lui voler le coeur de sa fille dans un but de vil intérêt, cet homme si fort chancelle; il se sent terrassé par le destin. Il renonce à lutter, et, à l'instant où, pour prix de sa vie de sacrifice, il va périr de la mort infâme des criminels, Aurore, conduite par sa mère, qu'elle a réussi à convaincre du dévouement de Lagardère, vient lui demander de s'unir à lui. L'époux futur d'Aurore reprend courage; rien désormais ne saurait lui résister : grâce à un adroit subterfuge, il prouve au régent la culpabilité de Gonzague et le tue près du tombeau de Philippe de Nevers. Sa récompense, c'est le titre de comte et la main d'Aurore. Le bossu l'a bien méritée. La trame du roman est, on vient de le voir, tissée avec une merveilleuse habileté; elle abonde en péripéties qui expliquent son immense succès lorsqu'elle a été mise à la scène. Les exploits de Lagardère l'épée en main, tout fabuleux qu'ils puissent paraître, ne dépassent cependant pas la vraisemblance et cadrent bien avec les moeurs de cette époque, singulier mélange de boue et de diamant, ou le côté chevaleresque éclate sans cesse au milieu de scènes dignes du crayon de Callot. Dans la seconde partie, intitulée : L'Hôtel Saint-Magloire, les saturnales financières du système de Law sont dépeintes avec une vérité d'ironie inimitable. On voit agir les personnages, les nobles coudoyant leurs laquais enrichis, pour venir s'agenouiller devant le veau d'or et son grand prêtre Gonzague. Cette orgie d'agiotage a été expliquée par des historiens sérieux d'une manière aussi fidèle, mais, à coup sûr, beaucoup moins saisissante. Quant au héros du roman, Lagardère ou le bossu, c'est un de ces types chevaleresques comme on en rencontrait au Moyen âge. Corps de fer, bras d'acier, coeur d'or, aussi terrible le sarcasme à la bouche que l'épée à la main, il représente bien ces cadets sans fortune et sans famille qui peuvent dire, comme l'un d'eux : Nous n'avons pas d'aïeux, c'est vrai, mais nous sommes des ancêtres. Le style du Bossu est d'une vivacité singulière; il est étincelant, chatoyant et rapide comme l'épee du héros. Le lecteur, saisi dès le début par l'esprit chevaleresque de ce roman, est entraîné à travers onze volumes jusqu'au dénouement, sans avoir le temps de respirer. Il semble qu'il soit poussé en avant, l'épée dans les reins; il ne songe même pas à réfléchir; tant d'incidents se succèdent sous ses yeux, qu'il croit assister à une de ces scènes de féerie où les changements à vue sont si rapides qu'à peine a-t-on le regard assez ferme pour les suivre à travers l'éblouissement des décors. L'imagination règne en souveraine d'un bout à l'autre de l'ouvrage, et cependant ce récit à la vapeur est écrit d'un style assez correct, bien qu'il sente trop l'improvisation. (PL). | |