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La
nouvelle de la découverte, d'abord frappée du sceau du secret militaire,
arrive finalement sur la place publique en 1973.
Pendant les années qui suivront, les astronomes, qui disposeront à leur
tour de leurs propres satellites d'observation gamma n'en finiront plus
de faire toujours ce même et irritant constat : à n'importe quel moment
du jour ou de la nuit, pendant, le plus souvent une poignée de millisecondes,
et parfois jusqu'Ã quelques minutes, un flash gamma peut se produire dans
une direction quelconque du ciel,
puis, en général, plus rien. Un sursaut gamma par jour est signalé en
moyenne par les satellites. Mais, après plus d'un quart de siècle passé
à se creuser la cervelle, les chercheurs en sont toujours au même point
ou presque. Et, en tout cas, ils ne savent toujours pas quelle est l'origine
de ces bouffées d'énergie. En attendant la réponse, ils ont baptisé
sursauteurs (bursters) les sites émetteurs de flashes gamma.
Une indication sur la nature
des sursauteurs est cependant fournie par l'énergie caractéristique de
ces événements. Elle est formidablement élevée. En général, de l'ordre
du million d'électronvolts (1 MeV). Mais on en a détecté, au moins une
fois, atteignant les 200 MeV. C'est beaucoup. Pour comparaison, les photons
de la lumière visible - ceux qui nous proviennent du Soleil,
par exemple - sont porteurs d'une énergie tournant autour de 1 électronvolt
seulement. Les phénomènes dont sont le siège les sursauteurs doivent
donc être excessivement violents. Ainsi les astronomes ont-ils évoqué,
entre autres, la possibilité que les flashes proviennent de collisions.
Soit une collision de deux noyaux cométaires circulant dans le nuage de
Oort, à la périphérie
du Système solaire.
Soit encore d'une comète
ou d'un astéroïde
avec cette fois une étoile à neutrons.
Une comète ou un astéroïde percutant la surface d'un tel astre pourraient
sans doute provoquer une réaction thermonucléaire émettrice pendant
un court instant des photons gamma détectés.
Hypothèses
en stock
Les astronomes ont confectionné
d'autres hypothèses qui impliquent également des étoiles à neutrons.
On a, par exemple, noté qu'un tel objet perdant de l'énergie par une
émission de rayonnement X, se trouverait alors ralenti dans sa rotation.
La force centrifuge s'amoindrissant, la déformation équatoriale de l'astre
tendrait elle aussi à diminuer. D'où l'apparition de tensions poussant
à l'arrondissement de l'étoile à neutrons, et donc à des réajustements
brutaux de structure. Autrement dit à séismes éventuellement libérateurs
de brusques bouffées énergétiques, façon sursauts gamma... Une étoile
à neutrons peut aussi avoir un compagnon. Un objet très peu lumineux,
mais assez proche pour que les effets de marées
puissent aboutir à un résultat comparable : des déformations, des réajustements
structurels épisodiques et brutaux, et une courte libération de photons
gamma. La force d'attraction
gravitationnelle de l'étoile à neutrons pourrait également aspirer la
matière
du compagnon supposé. Le gaz ainsi happé viendrait alors butter à grande
vitesse sur la surface dure de l'étoile à neutrons et provoquer de temps
à autre une déflagration nucléaire, émettrice une fois encore des radiations
escomptées. Il s'agirait alors d'un mécanisme comparable à celui par
lequel les astronomes expliquent les sursauts X. les seules nuances étant
ici un taux d'accrétion
plus faible et l'intervention de champs magnétiques plus intenses.
Reste que les sursauts gamma
présentent une grosse différence avec les sursauts X : comme l'a montré
en particulier depuis 1991
Batse, l'un des instruments embarqués à bord du satellite gamma Compton,
les flashes sont uniformément répartis dans le ciel. Or, s'ils provenaient
d'étoiles à neutrons, alors leur répartition sur la voûte céleste
devrait calquer la répartition des autres étoiles de notre Galaxie,
et se concentrer donc plutôt dans son disque. C'est ce que l'on observe
pour les sursauts X. On pourrait bien sûr imaginer que la répartition
des sursauteurs gamma dans la Voie Lactée est un peu spéciale et qu'elle
se calque en fait davantage sur celle des plus vieilles étoiles
de la Galaxie, qui elles présentent une distribution sphérique. Elles
appartiennent au halo galactique. S'il en était ainsi, cependant, on devrait
enregistrer des excès de sursauts dans les directions des autres galaxies
proches, ou même plus lointaines (on pense à l'amas Virgo). Un phénomène
difficile à mettre en évidence à cause de la distance et de l'affaiblissement
des signaux qui s'ensuit. Mais là encore, les résultats de Batse paraissent
écarter cette possibilité, tout comme celle, semble-t-il, de voir provenir
les flashes du nuage de Oort.
Il y a peu de choses, en fait,
dans l'univers qui possèdent une distribution uniforme. Et si l'on veut
de l'homogénéité dans la façon dont la matière se répartit, il convient
de considérer l'espace à très grande échelle. C'est-à -dire sur des
distances cosmologiques. Disons de l'ordre du milliard d'années-lumière.
Si l'on adopte ce point de vue, les sursauts gamma représentent des événements
se produisant aux confins du cosmos, et alors caractéristiques d'une époque
où l'univers était encore jeune. Ainsi, peut-être a-t-on affaire Ã
la destruction cataclysmique des toutes premières étoiles. A moins que
ce ne soit à des phénomènes plus bizarres encore, comme la rencontre
torride de certaines de ces antiques étoiles avec un trou noir...
Il faut de toute façon que ce soit un peu spécial, car si les sursauts
gamma, avec l'intensité qu'on leur connaît, viennent d'aussi loin, alors,
ils représentent de prodigieux et inédits déferlements d'énergie. Qu'en
est-il réellement?
La meilleure façon de résoudre
le mystère, c'est encore de regarder avec de puissants télescopes au
sol dans la direction où un sursaut vient d'être signalé. Les astronomes
s'y emploient bien sûr depuis qu'ils connaissent l'existence des sursauts
gamma. Au début, c'était difficile, car leurs instruments étaient peu
directionnels. Mais au fil du temps, les satellites détecteurs de rayons
gamma, fonctionnant en réseaux, ont gagné en acuité visuelle. Ils sont
devenus capables de dire avec une précision très convenable d'où proviennent
les sursauts qu'ils enregistrent. Il est donc possible d'orienter les télescopes
vers le point du ciel où vient de se produire l'événement signalé depuis
l'espace. Pendant des années, pourtant, après le flash, on ne voyait
rien dans la région signalée par les satellites. Les astronomes expliquaient
parfois cette absence de contrepartie optique en invoquant la destruction
pure et simple de la source émettrice. Le flash témoignant alors justement
du cataclysme. Restaient les exceptions. Ainsi, Ã deux ou trois reprises,
comme le 5 mars 1979,
quand un sursaut, assez atypique il est vrai, et d'énergie relativement
faible, a semblé provenir de la direction d'un reste de supernova
(N49), dans une galaxie
proche de la nôtre, le Grand Nuage de Magellan.
Le genre d'endroit où l'on s'attend à ce que se tapisse une étoile Ã
neutrons. Mais peut-être s'agissait-il de conjonctions fortuites. Il existe
aussi des "répéteurs" : plusieurs flashes d'affilée paraissent provenir
de la même direction. Le satellite Compton, par exemple, a détecté le
même jour, dans la constellation
australe de l'Horloge, en décembre 1996, quatre
sursauts semblant engendrés par la même source. Et l'on mentionne aussi
le cas, plus troublant encore, d'un répéteur qui a dépassé les mille
flashes en quelques années. Difficile d'invoquer cette fois le hasard.
Les péripéties
de 1997
L'opaque brouillard entourant
l'origine des sursauts gamma a semblé se lever en 1997.
Un des grands événements astronomiques de l'année pourrait même ainsi
avoir été la mise en évidence enfin de contreparties optiques des sursauts
gammas. Le 28 février, un flash, initialement détecté par les enregistreurs
gamma satellite BeppoSAX dans la constellation d'Orion
est aussitôt repéré par les caméras à rayons X embarquées sur le
même satellite. Paul Groot, de l'université d'Amsterdam, et ses collègues
pointent alors dans la direction signalée le télescope de télescope
William Herschel de 4,2 mètres de l'observatoire de La Palma (Canaries).
Ils découvrent un très faible objet dont la luminosité diminue entre
le 1er et le 8 mars. Les autres observatoires
confirment la présence de l'astre et l'identifient à une galaxie lointaine.
Les sursauts gammas viendraient donc, pense-t-on à ce moment-là , de distances
de plusieurs milliards d'années-lumière. On se trouverait ainsi dans
le cas de figure cosmologique. C'est sans compter avec la surprise que
réservent à leurs confrères Patrizia Caraveo (Institut de physique cosmique
de Milan) et ses collègues, quand ils annoncent,
le 17 avril, que le sursauteur supposé, observé par le télescope spatial
Hubble, s'est déplacé dans le ciel. Oh, pas beaucoup. Quelque chose équivalent
à une demie seconde d'arc tous les ans. Mais cela signifie qu'il s'agit
un objet relativement proche. Retour donc, apparemment, aux problématiques
hypothèses galactiques...
Le 8 mai, BeppoSAX repère
un nouveau sursaut dans la constellation de la Girafe.
Aussitôt, Howard Bond, de l'Institut du télescope spatial, photographie
la région du sursaut avec le réflecteur de 36 pouces de Kitt Peak. La
nuit suivante, lumière s'est accrue d'une magnitude (autrement dit elle
est 2,5 fois plus brillante que la veille). Et d'autres chercheurs constatent
ensuite que l'astre parvient à un éclat maximal (magnitude de l'ordre
de 20) entre le 10 et le 20 mai. Dans l'intervalle, un signal radio a été
capté en provenance de la même direction par les instruments du NRAO
(National Radio Astronomy Observatory). La succession d'émissions d'énergies
de plus en plus faibles (radiations gamma, puis X, lumière visible, et
enfin ondes radio) a été interprétée comme provenant d'une explosion
dispersant dans l'espace du matériau venant se heurter avec le matériau
du milieu
environnant. Mais où cela s'est-il passé? Des astronomes de Caltech croient
avoir trouvé la réponse. Il sont en effet parvenu à obtenir un spectre
en utilisant le surpuissant Keck II du Mauna Kea (Hawaii). Ledit spectre
présente des raies
d'absorption
caractéristiques des ions de fer et de magnésium fortement décalées
vers le rouge (z = 0,8). Or, si l'on interprète ce décalage dans le contexte
de l'expansion de l'univers,
il signifie que l'astre candidat au sursaut se situerait à une distance
comprise entre quatre et huit milliards d'années-lumière. L'énergie
libérée en quelques secondes par le sursaut du 8 mai correspondrait alors
à toute l'énergie produite par le Soleil depuis sa formation!
L'hypothèse cosmologique a
donc repris le dessus quand, le 16 juin, le même scénario semble se reproduire
presque à l'identique. Un nouveau flash de près de trois minutes et demie,
est d'abord signalé par le satellite Compton et plusieurs autres observatoires
orbitaux, dans la constellation de la Baleine. Quatre
heures plus tard, un satellite de la Nasa détecteur de rayons X RXTE (Rossi
X-ray Timing Explorer) découvre dans la même région un source d'énergie
inconnue. Dans les jours qui suivent, cependant, le satellite japonais
ASCA (Advanced Satellite for Cosmology and Astrophysics) sème un peu le
trouble en révélant qu'en fait, plusieurs sources X variables existent
dans le petit secteur de ciel désigné par les satellites gamma. Laquelle
est donc la bonne? Au sol, le télescope Keck II, et son miroir de 10 m
de diamètre, repère une lumière pâlotte et qui s'affaiblit rapidement.
Aurait-on identifié cette fois encore l'objet émetteur du sursaut gamma?
A y regarder de plus près, les astronomes constatent qu'aucune de ces
sources ne se trouve exactement dans la direction du flash. A croire, qu'après
toutes ces péripéties, l'enquête sur l'origine des sursauts gamma n'a
pas avancé d'un iota. Peut-être même a-t-on simplement mis en évidence
un nouveau mystère : celui des sources variables d'un type complètement
inconnu (éventuellement comparables aux galaxies actives
du genre de BL Lacertae, qui elles aussi sont le siège de variations brusques
de luminosité), qui tapisseraient le fond du ciel à des distances inimaginables,
et dont on saurait à ce jour encore moins de choses que sur les flashes
gamma... |
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