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La spontanéité

Dans son sens le plus général, dans son sens métaphysique, la spontanéité s'oppose à l'inertie. De même que l'inertie peut se définir la tendance d'un être à persévérer indéfiniment dans son état de repos ou de mouvement tant qu'il n'est pas modifié par une cause extérieure, la spontanéité peut se définir le pouvoir que possède un être de modifier lui-même son état indépendamment de toute cause extérieure. C'est en ce sens que Leibniz disait : Spontaneum est cujus ratio est in agente. On sait que, selon lui, les monades, qui sont les vrais éléments des choses, sont incapables d'agir réellement les unes sur les autres et que, par conséquent, chacune d'elles change et se développe en vertu de sa propre force, comme si elle était seule au monde. 

La première idée de la spontanéité nous est évidemment donnée par l'observation des êtres vivants. Un être vivant nous apparaît comme capable de se mouvoir par lui-même : il semble porter en lui-même la source de ses propres modifications. Aussi, est-ce à l'image de la vie que la primitive philosophie se représente la Nature. Ainsi, selon Aristote, tous les êtres se meuvent spontanément par l'effet d'un désir intérieur qui les porte vers leurs causes finales, et c'est du concours de tous ces mouvements spontanés que résulte l'harmonie universelle. De lui-même, le feu se meut en haut, d'elle-même la terre se meut en bas, et ainsi de tous les minéraux, aussi bien que des animaux et des plantes. Epicure lui-même, malgré son matérialisme obstiné, admet chez les atomes un clinamen, c.-à-d. un mouvement tout à fait impossible à prévoir et à expliquer, par lequel ils peuvent à chaque instant dévier de la ligne droite.

La philosophie moderne a, au contraire, opposé de plus en plus à l'idée de la spontanéité celle du mécanisme ou du déterminisme universel. Descartes ne voit dans la nature qu'une suite de mouvements qui résultent indéfiniment les uns des autres, ou pour mieux dire qu'un mouvement unique qui se transforme indéfiniment sans pouvoir être accru ni diminué nulle part; et il impose cette conception à tous les savants et à tous les philosophes venus après lui. Alors se pose dans toute son acuité le problème de la coexistence de cette inertie universelle avec la spontanéité, au moins apparente, que la conscience découvre en nous, et dont notre volonté nous paraît être le foyer, problème d'autant plus redoutable que, selon la solution qu'il reçoit, toute la vie morale de l'humanité change d'aspect.

Beaucoup de nos contemporains ont pris résolument leur parti de la disparition de l'un des deux termes : la spontanéité n'est à leurs yeux qu'une apparence_illusoire : rien n'existe que l'universelle et nécessaire continuité du mouvement indéfiniment transformé. D'autres, sous le mécanisme universel, essaient, à l'exemple de Leibniz, de retrouver une spontanéité, une liberté radicales, et tels sont, par exemple en France, Ravaisson, Renouvier, Boutroux, Fouillée, Bergson, etc., dont les doctrines sont, d'ailleurs, très différentes dans le détail. Victor Cousin entendait la spontanéité d'une façon plus étroite et dans un sens en quelque sorte psychologique. Elle était, selon lui, l'un des deux modes de l'activité et de l'intelligence humaines, l'autre étant la réflexion. Spontanéité et réflexion, cette antithèse dominait à ses yeux toute la psychologie : il croyait trouver la clé de presque toutes les difficultés de la science de l'humain. C'est par elle qu'il expliquait la dualité de l'instinct et de la raison, du sens commun et des sciences, de la religion et de la philosophie, etc. En ce sens, spontané est à peu près synonyme d'instinctif : il marque ce premier état de la nature humaine où toutes les facultés s'exercent sans conscience et sans effort, l'état d'innocence des théologiens, ce que Gérard-Varet (1899) décrivait sous les noms d'ignorance et d'irréflexion. (E. Boirac.)

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