| L'histoire du Sénat romain pendant la période royale est fort obscure, et les questions qu'elle soulève sont parmi les plus controversées de l'histoire romaine. Cette obscurité et ces controverses proviennent surtout de ce que nous ne possédons pas pour cette période de documents contemporains. C'est par Tite-Live, par Cicéron, par Denys d'Halicarnasse, par Plutarque, par Festus que nous savons quelque chose des origines et des premiers développements du Sénat; nous trouvons chez ces auteurs l'écho des traditions qui avaient cours à Rome même; mais ces traditions n'étaient pas toutes d'accord. Les historiens modernes ne le sont pas non plus. Ce qui augmente encore les difficultés du problème, c'est que, dans l'Antiquité comme de nos jours, on a voulu construire de véritables systèmes avec les faits peu nombreux qui ont été rapportés. Mieux vaut, à notre avis, s'en tenir à ces faits, qui nous paraissent être les données essentielles de la question. Ils ont, en tout cas, plus de va leur que les hypothèses ou les déductions de quelques érudits modernes, plus théoriciens que vraiment historiens. Le Sénat de Rome, suivant la tradition, exista dès la fondation de la cité. C'était une assemblée qui jouait le rôle d'un conseil (regium consilium, dans Festus). Les membres qui la composaient s'appelaient patres. Sans aucun doute, ce terme désigne les chefs de ces groupes, fondés à la fois sur le culte du foyer et sur le culte des morts, qui portaient à Rome le nom de gentes. Tous les renseignements qui nous sont parvenus sur l'histoire la plus ancienne du Sénat prouvent qu'un lien très étroit existait entre les patres de l'assemblée et les gentes dont l'ensemble formait la communauté romaine. Mais le Sénat comprenait-il tous les patres de Rome, ou bien quelques-uns seulement de ces patres étaient-ils appelés à en faire partie? Presque tous les auteurs anciens, Tite-Live, Cicéron, Plutarque, Festus, racontent que l'assemblée fut d'abord créée, puis augmentée par les rois; seul Denys d'Halicarnasse mentionne un mode de désignation différent et d'ailleurs assez compliqué, dont le trait essentiel est la nomination des sénateurs par les curies. Ce renseignement, qui se trouve uniquement chez Denys, est d'autant plus suspect que, pendant les premiers siècles de la République, le droit de désigner les sénateurs appartint aux consuls; or il est invraisemblable, comme le remarque très justement Bouché-Leclercq, que les rois eussent été pri- vés d'un droit qu'eurent plus tard les consuls. Donc, si nous nous en tenons aux sources antiques, nous devons conclure que les patres, membres du Sénat royal, étaient désignés par le roi. Cette conclusion n'a pas été acceptée par tous les historiens. Dans son livre sur les Origines du Sénat romain, par exemple, G. Bloch affirme que le Sénat comprenait tous les patres de Rome. " L'identité des deux mots, patres et sénateurs, est décisive. Elle prouve que la qualité de sénateur supposait celle de pater et réciproquement ". La théorie est très ingénieuse; le système est séduisant. Malheureusement les textes antiques y contredisent formellement; d'après Tite-Live, Romulus centum CREAT senatores; plus tard, Tullus Ilostilius principes Albanorum in patres LEGIT; plus tard encore, Tarquinius centum in patres LEGIT (Cicéron, De Republica, II, 8, 20 ; Festus, p. 246 ; Plutarque, Romulus). Pendant la période royale, le Sénat est composé de patres désignés par le roi. Quel est le nombre de ces patres? Ce nombre ne fut pas constant. Mais deux points sont fixes, pour ainsi dire, dans tous les auteurs antiques à l'origine, le Sénat se composait de cent membres; sous Tarquin l'Ancien, le nombre des sénateurs fut porté à trois cents. Les auteurs sont, en outre, d'accord pour admettre une étape intermédiaire, c.-à-d. une première augmentation du nombre des sénateurs, augmentation antérieure à Tarquin l'Ancien. Mais ils diffèrent d'avis sur la cause, l'époque et les circonstances mêmes de cette augmentation. D'après Tite-Live, Romulus créa cent sénateurs; Tullus Hostilius fit ensuite entrer dans le Sénat les chefs des principales familles albaines; Tarquin l'Ancien ajouta encore cent sénateurs, ce qui nous permet de conclure que Tullus Hostilius en avait également nommé cent, puisque après Tarquin le nombre total des sénateurs fut de trois cents. Plutarque et Denys d'Halicarnasse placent la première augmentation du nombre des sénateurs après la guerre de Romulus contre les Sabins; ils sont d'accord avec Tite-Live pour n'attribuer à Tarquin que la nomination de cent sénateurs nouveaux. Une autre tradition, dont on retrouve l'écho dans Cicéron (De Republica, Il, 20), rapportait que Tarquin doubla le nombre des sénateurs; il en aurait alors nommé cent cinquante; la première augmentation doit être alors réduite a cinquante nouveaux patres; et, en effet, Denys d'Halicarnasse nous apprend que, suivant certains historiens, le Sénat primitif s'augmenta de cinquante membres seulement après l'épisode des Sabins, Quoi qu'il en soit de ces divergences de détail, les textes antiques sont d'accord pour nous apprendre: 1° que le Sénat ne comprenait à l'origine que cent membres ; 2°que ce nombre fut augmenté une première fois, lors de l'introduction dans la cité d'un élément nouveau de population, Sabin ou Albain; 3° qu'une seconde augmentation se produisit un peu plus tard, qui porta le nombre normal des sénateurs au chiffre de trois cents; les patres qui entrèrent alors au Sénat furent appelés patres minorum gentium, ce qui parait bien indiquer que cette augmentation du Sénat fut consécutive à l'admission dans la communauté romaine de nouvelles gentes, soit venues du dehors, soit choisies dans la plèbe. Plusieurs historiens modernes ont refusé d'adopter tels quels ces renseignements, qui leur ont paru contradictoires avec la constitution systématique de l'Etat romain primitif. Ainsi Mommsen déclare (Droit public romain, t. VII, p. 44, n. 4) que toutes les versions antiques sont atteintes « du vice radical de combiner pendant un temps plus on moins long avec la cité des trente curies un Sénat de cent ou de deux cents membres ». G. Bloch, pour qui tout pater était de droit sénateur, et qui admet le chiffre primitif de trois cents gentes pour la communauté romaine, cherche de même à interpréter les textes conformément à sa théorie. Pour Mommsen comme pour Bloch, le Sénat primitif de Rome comprit trois cents membres, contrairement aux affirmations pourtant très nettes de Tite-Live, de Denys d'Halicarnasse, de Plutarque. Ni l'un ni l'autre de ces deux auteurs n'essaie d'expliquer la première augmentation du nombre des sénateurs, ou plutôt ils la transposent tous les deux avant l'organisation définitive du Sénat ; ils pensent en effet que chacune des trois tribus, Ramnes, Titienses, Luceres, fournit cent patres au Sénat primitif, et que l'augmentation . mentionnée par plusieurs auteurs, soit après la guerre des Sabins, soit après la chute d'Albe, doit correspondre à l'entrée de l'une de ces tribus dans la communauté romaine. Quant à l'oeuvre de Tarquin, ils y voient non pas un accroissement du chiffre normal des sénateurs, porté dès lors à trois cents, mais un rétablissement du chiffre primitif de trois cents, qui aurait été diminué de moitié environ par la décroissance du patriciat : « Les familles nouvelles n'ont été introduites dans le Sénat que pour combler les vides laissés par les anciennes » (G. Bloch, les Origines du Sénat romain; cf. Mommsen, Droit public romain, t. VII). Après Tarquin l'Ancien, le Sénat ne subit plus aucune modification essentielle; mais Tarquin le Superbe fit périr un certain nombre de sénateurs, qui ne furent pas remplacés, de sorte que l'Assemblée ne comprenait plus trois cents membres lors de la révolution de 509. La compétence du Sénat pendant la période royale était extrêmement vague et large. Le Sénat était le conseil du roi; il devait être convoqué par le roi et consulté par lui dans toutes les affaires importantes, principalement en matière de religion, de culte et à propos des affaires étrangères. Parmi les attributions du Sénat, il en est deux qui sont citées au premier rang par les historiens, Le Sénat devait maintenir la tradition nationale, ce que les Romains appelaient le mos majorum; en second lieu, il devait ratifier les décisions prises par l'Assemblée du peuple romain réuni dans les curies (comitia curiata); c'était là ce qu'on nommait l'auctoritas patrum. Quand le roi disparaissait, quand la communauté romaine se trouvait sans chef, le gouvernement de l'Etat et la direction des affaires appartenaient au Sénat. C'est ce qui arriva, par exemple, d'après la tradition, après la disparition de Romulus. Le Sénat nomma dans son sein plusieurs interroi, qui exercèrent pendant cinq jours chacun le pouvoir suprême, jusqu'au moment où le peuple réclama la nomination d'un véritable roi; ce fut encore le Sénat qui, suivant la légende, désigna Numa Pompilius. De l'organisation intérieure du Sénat romain pendant la période royale, nous savons peu de chose. La question des decemprimi est très obscure. Il est possible que le Sénat primitif de 100 membres ait été divisé en 10 sections ou décuries, composées chacune de dix membres, ayant chacune un chef, et que ces dix personnages aient formé une sorte; de commission des Dix. Plus tard, chacune de ces décuries comprit 30 sénateurs an lieu de 10; mais l'usage de confier certaines missions spéciales à des groupes de 10 sénateurs subsista pendant longtemps. La situation respective des patres majorum gentium et des patres minorum gentium après Tarquin l'Ancien est mieux connue. Les patres minorum gentium étaient considérés comme étant d'un rang inférieur; dans les séances du Sénat, le roi ne leur demandait leur avis qu'après avoir pris ceux des patres majorum gentium. | |