|
. |
|
Le Sénat de Rome pendant la République |
| | Sous la République | |
La révolution de 509, qui chassa les Tarquins de Rome et substitua la République au gouvernement royal, est une date importante dans l'histoire du Sénat romain. La tradition nous apprend, en effet que Tarquin le Superbe avait fait mettre à mort de nombreux sénateurs et ne les avait pas remplacés; le premier soin du parti vainqueur fut de combler ces vides. Quelle fut la méthode employée? Parmi les auteurs antiques, il n'y a pas accord, Festus dit formellement que les nouveaux sénateurs furent choisis dans la plèbe; Tite-Live rapporte que le consul L. Junius Brutus appela au Sénat les personnages les plus importants de la classe des chevaliers; suivant Denys d'Halicarnasse, les plus riches ou les plus puissants d'entre les plébéiens furent admis dans le patriciat et de là dans le Sénat. Les opinions des historiens modernes sont également divergentes. Mommsen adopte, la version de Festus et croit à l'admission de plébéiens dans le Sénat dès la première année de la République; il est suivi par plusieurs érudits, entre autres par Lange. Schwegler, Ihne, Willems répondent que la révolution de 509, dont le caractère aristocratique et patricien n'est pas douteux, ne peut pas avoir eu pour conséquence d'introduire des plébéiens dans le Sénat. Willems pense que les patres proprement dits, c.-à-d. les chefs de gentes, n'étant plus assez nombreux, on leur adjoignit des patriciens qui n'étaient pas patres, que, par suite, le Sénat ne se recruta plus seulement parmi les Anciens, seniores, mais aussi parmi les patriciens plus jeunes, juniores, qui précisément formaient dans l'armée le corps des cavaliers on chevaliers. Ce qui est certain, c'est que la composition du Sénat fut modifiée. Certains auteurs ont rattaché à cette modification l'origine de la formule Patres conscripti pour Patres (et) Conscripti, les Patres étant les sénateurs patriciens, et les Conscripti les sénateurs non patriciens ou du moins les sénateurs non patres (Mommsen, Droit public romain, t. VII, p. 6, nota 1). Willems repousse cette opinion : pour lui, la formule Patres conscripti remonte à l'époque royale; elle ne doit pas être lue Patres (et) Conscripti, mais Patres conscripti, et elle signifie : les Patres inscrits ensemble par le roi sur la liste sénatoriale. La question est donc obscure. Ce qui est certain, c'est que l'un des premiers actes du nouveau gouvernement fut de compléter le Sénat, et, ce faisant, de lui rendre toute sa puissance; ce qui est certain également, c'est que pendant un siècle et demi environ, le Sénat fut, historiquement et politiquement; une assemblée essentiellement patricienne, toujours hostile aux revendications de la plèbe. Le rôle du Sénat dans la République romaine fut très considérable. C'était le seul grand corps permanent de l'Etat. Tandis que les magistrats étaient annuels, le Sénat durait, sans interruption; en lui se conservaient les traditions de la cité; seul il possédait l'expérience politique et administrative nécessaire. Sans doute, ne détenant pas la moindre parcelle du pouvoir exécutif, il ne pouvait rien par lui-même dans la pratique; il n'agissait qu'avec, la collaboration des magistrats proprement dits; mais, en revanche, sa collaboration, son appui étaient plus nécessaires encore à tous les autres organes de l'Etat; sans le Sénat, les magistrats ne pouvaient rien faire, et pendant longtemps l'approbation du Sénat fut indispensable aux assemblées populaires. Le Sénat était à Rome comme un grand Conseil national, où venait aboutir et d'où partait toute la vie publique de la cité. Ce n'est pas à dire qu'il restât impartial dans les luttes intestines. Au contraire, son rôle dans l'histoire intérieure de Rome fut très important. Il fut d'abord l'organe du patriciat; lorsque l'égalité civile et politique entre les patriciens et les plébéiens eut été instituée, le Sénat devint la forteresse de la noblesse nouvelle qui se créa peu à peu dans l'Etat romain, noblesse composée des familles les plus riches et qui finit par accaparer toutes les magistratures; c'est contre le Sénat que luttèrent les réformateurs, les révolutionnaires et les ambitieux, depuis les Gracques jusqu'à César et Auguste. Sylla fut son champion le plus ardent; mais l'effort de ce personnage pour établir définitivement l'omnipotence du Sénat dans la République ne fut pas couronné de. succès. On peut dire d'une manière générale que, dans l'histoire intérieure de la République romaine, le Sénat représenta l'élément conservateur par excellence, attaché par principe aux anciennes traditions, ennemi des réformes trop hardies. Jusqu'à l'époque de Sylla, le nombre normal des sénateurs resta fixé au chiffre de trois cents. Plusieurs historiens ont cru devoir conclure, d'un texte d'Appien, que Sylla avait doublé ce chiffre. Appien (De Bell. civilibus, 1, 59) rapporte seulement que Sylla nomma 300 sénateurs nouveaux pour donner au Sénat, que les guerres civiles précédentes avaient décimé, plus de puissance. Il ressort de là, évidemment, que le nombre des sénateurs fut alors augmenté, mais il ne s'ensuit pas que le chiffre normal de 300 ait été doublé. A l'époque de Cicéron, le nombre des sénateurs dépassait 400. César porta ce nombre jusqu'à 900. Sous les triumvirs Octave, Antoine et Lépide, de nouvelles fournées furent encore faites, et l'on compta plus de 1000 sénateurs. « la suppression de la royauté doit avoir eu pour suite l'entrée des plébéiens dans le Sénat. La tradition, qui fait concorder l'admission des plébéiens dans le Sénat avec l'établissement de la République, a pour elle les vraisemblances » (Droit public romain, t. VII, pp. 45-46).Willems, au contraire, exprime énergiquement un avis opposé. Pour lui, le Sénat, pendant tout le premier siècle de la République, fat l'organe exclusif du patriciat. L'opinion de Mommsen a été suivie par Lange; celle de Willems avait été déjà celle de Schwegler; elle a été reprise par Ihne. A vrai dire, la question de droit est peu importante; en fait, il nous paraît certain qu'une fois au moins un plébéien fut sénateur avant l'admission de la plèbe aux magistratures. Tite-Live (V, 42) rapporte que le premier plébéien élu par les comices centuriates tribun consulaire, fut, en l'an 400 av. J.-C., un certain P. Licinius Calvus, vir nullis ante honoribus usus, vetus tantum senator, et aetate jam gravis. Le texte de Tite-Live est très clair; P. Licinius Calvus était sénateur depuis longtemps déjà lorsqu'il fut élu tribun consulaire; Willems et Bouché-Leclercq commettent une erreur, lorsqu'ils affirment que ce plébéien fut nommé sénateur, après avoir exercé le tribunat consulaire. En outre, P. Licinius Calvus n'avait auparavant revêtu aucun honneur. Si donc jusqu'à cette date, il ne pouvait y avoir parmi les anciens magistrats de la République que des patriciens, l'épisode de P. Licinius Calvus nous paraît prouver qu'en dehors de ces anciens magistrats les consuls en exercice avaient la liberté de choisir comme sénateurs des plébéiens. Il est vraisemblable que la désignation d'un plébéien fut tout à fait exceptionnelle. La conclusion à la fois logique et historique de cet exposé, c'est que les plébéiens ne virent vraiment s'ouvrir devant eux les portes du Sénat qu'après la conquête de l'égalité politique, c.-à-d. lorsqu'ils partagèrent avec les patriciens les plus hautes magistratures de l'Etat. Ce partage et aussi la multiplication des dites magistratures rendirent bientôt nécessaire une réglementation nouvelle pour la nomination des sénateurs. Tel fut l'objet du plébiscite ou loi Ovinia. De ce document nous ne possédons qu'une ligne environ, dont un mot très important est douteux : ut censores ex omni ordine optimum quemque jurati ou curiatim (le manuscrit porte curiati) in senatum legerent. Les savants modernes ne sont d'accord ni sur le sens de l'expression ex omni ordine, ni sur la correction qu'il est nécessaire d'apporter au mot inintelligible curiati. Il est vraisemblable (telle est du moins l'opinion de Schwegler et de Willems, adoptée par Bouché-Leclerq) que les censeurs devaient choisir les nouveaux sénateurs parmi les personnages qui avaient géré une magistrature publique, quelle qu'elle fût, et non pas seulement parmi ceux qui avaient géré une magistrature curule, c.-a-d. qui avaient été consuls, préteurs, édiles curules. La date même de la loi Ovinia n'est pas certaine; d'après Lange, elle aurait été votée entre 351 et 339 av. J.-C.; d'après Willems et Mommsen, aux environs de l'année 312. Ce texte nous serait donc d'un faible secours, si d'autres renseignements et de nombreux exemples historiques ne nous faisaient connaître comment, dans la pratique, il était procédé à la nomination des nouveaux sénateurs pendant le IIIe et le IIe siècle av. J.-C. Ce n'étaient plus alors les consuls, mais les censeurs à qui incombait cette importante prérogative. Une seule fois, entre la loi Ovinia et l'époque de Sylla, un dictateur fut désigné pour compléter le Sénat; mais c'était en 216, au lendemain du désastre de Cannes, et le Sénat avait perdu 177 de ses membres. Sauf cette circonstance exceptionnelle, ce furent toujours les censeurs qui nommèrent les sénateurs. Voici comment ils procédaient. On sait que les censeurs étaient nommés tous les cinq ans, et qu'ils restaient en charge au plus pendant dix-huit mois. Un de leurs premiers actes était de dresser la liste du Sénat. Ils y inscrivaient d'abord les sénateurs en exercice, sauf ceux dont ils rayaient les noms et qu'ils déclaraient déchus de leur dignité; ensuite ils décernaient les sièges vacants, en choisissant, conformément à la loi Ovinia, les citoyens qui avaient géré une magistrature. Comme le nombre des magistrats annuels était assez élevé à Rome, il devait arriver très rarement que les censeurs eussent besoin de désigner d'autres citoyens; en 216. nous voyons que le dictateur M. Fabius Buteo, après avoir nommé sénateurs tous les anciens consuls, préteurs, édiles curules, édiles plébéiens, tribuns de la plèbe et questeurs, s'adresse ensuite à ceux des Romains dont les demeures étaient ornées de dépouilles prises à l'ennemi ou qui avaient mérité une couronne civique. Normalement le Sénat ne se composait que d'anciens magistrats. Ainsi, pour pouvoir être inscrit par les censeurs sur la liste du Sénat, il fallait avoir exercé une charge publique, par conséquent avoir été élu par le peuple romain en ce sens on a pu dire que le rôle des censeurs, dans la lectio senatus, se bornait à contrôler le choix populaire. Pour la désignation comme pour la déchéance des sénateurs, les deux censeurs devaient être d'accord. Lorsqu'ils avaient établi la liste du Sénat, ils la proclamaient du haut des Rostres, puis ils l'affichaient en public. Cette liste s'appelait l'album senatorium. Les sénateurs y étaient inscrits dans l'ordre des magistratures qu'ils avaient exercées : consulares ou anciens consuls, parmi lesquels étaient compris les anciens dictateurs, dictatorii et les censorii (anciens censeurs); - praetorii ou anciens préteurs; - aedilicii curules, anciens édiles curules ; - aedilicii plebeii, anciens édiles plébéiens; - tribunicii, anciens tribuns de la plèbe; - quaestorii, anciens questeurs. Dans chacune de ces catégories, les sénateurs étaient distingués en patriciens et plébéiens; les patriciens étaient inscrits avant les plébéiens; les uns et les autres étaient rangés par ordre d'ancienneté. Celui des consulares qui était le premier sur lu liste portait le titre de princeps senatus. La dignité de sénateur était viagère. Toutefois les censeurs avaient le droit de rayer un sénateur de l'album senatorium, comme ils avaient le droit d'y inscrire les nouveaux membres. En général, ils faisaient connaître publiquement les motifs de la déchéance. Ces motifs étaient soit des condamnations qui comportaient la mort civile du condamné, soit des raisons purement morales, qui souvent ne furent que des prétextes pour masquer des rancunes ou des haines politiques. Pendant le dernier siècle de la République, le recrutement du Sénat subit naturellement le contre-coup des guerres civiles et des révolutions. Sylla, investi de la dictature en 81, nomma de nombreux sénateurs; en outre, il annihila presque complètement les pouvoirs des censeurs. A partir de César, la censure fut supprimée en fait. César et après lui les triumvirs, en vertu de leur toute-puissance, firent entrer dans le Sénat une foule de personnages, qui ne remplissaient pas les conditions jadis exigées; César nomma sénateurs des Gaulois; sous les triumvirs, le même titre fut décerné à d'anciens soldats et à des esclaves affranchis. Auguste mit fin à cette situation troublée et réorganisa le Sénat. En résumé, à partir de la loi Ovinia et sauf pendant la période troublée au bout de laquelle périt la République, les sénateurs furent toujours d'anciens magistrats désignés par les censeurs. Les plébéiens comme les patriciens étaient admis au Sénat, et même les plébéiens y furent de bonne heure en majorité. Une autre distinction existait parmi les sénateurs; quelques-uns d'entre eux étaient appelés pedarii. Qu'étaient-ils? Ici encore, l'Antiquité ne nous ayant pas transmis des renseignements précis, les opinions des auteurs modernes sont variées. Suivant Mommsen, les pedarii étaient les sénateurs qui n'avaient géré aucune magistrature avant d'entrer au Sénat, qui devaient leur admission dans la curie uniquement à la désignation censoriale. D'après Willems, au contraire, étaient pedarii les sénateurs qui n'avaient pas encore géré de magistrature curule, c.-à-d. qui n'avaient pas exercé l'édilité curule, la préture et le consulat. les deux textes les plus précis que nous possédons sur ce sujet, ceux d'Aulu-Gelle (III, 18) et de Tacite (Annales, IIII, 65) nous semblent donner plutôt raison à Willems; d'une part, en effet, Gavius Bassus, cité par l'auteur des Nuits attiques, dit formellement que les sénateurs pedarii étaient ceux qui n'avaient encore revêtu aucune magistrature curule (qui magistratum curulem nondum ceperant); d'autre part, Tacite oppose les senatores pedarii aux consulares et à ceux qui praetura functi (sunt). Les pedarii étaient inférieurs en dignité et en rang aux autres sénateurs : ils étaient appelés les derniers à dire leur avis; aussi la plupart du temps se contentaient-ils de se ranger à l'une ou à l'autre des opinions déjà énoncées, mais il est peu vraisemblable qu'ils aient été privés du droit d'exprimer leur pensée sur le sujet en discussion (jus sententiae dicenda). Enfin, outre les sénateurs proprement dits, c.-à-d. les sénateurs inscrits par les censeurs sur l'album senatorium, l'assemblée sénatoriale comprenait un certain nombre de personnages qui avaient sans doute les mêmes droits que les sénateurs; dans l'édit de convocation du Sénat, on les appelait (ii) quibus in senatu sententiam dicere licet. C'étaient les magistrats sortis de charge qui, sans être frappés de déchéance civile, n'avaient pas encore été désignés par les censeurs pour occuper un siège vacant dans le Sénat (Noct. Attic., III, 18, § 5-8). Les sénateurs portaient comme insignes un anneau d'or, un laticlave, c.-à-d. une large bande de pourpre à leur toge, et une chaussure noire ornée de quatre courroies (calceus senatorius). Des sièges leur étaient réservés au théâtre dans l'orchestra, c.-à-d. aux premiers rangs de l'hémicycle, en face de la scène. Le Sénat romain ne pouvait se réunir que s'il était convoqué. Le droit de le convoquer n'appartenait qu'à certains magistrats : parmi les magistrats extraordinaires, aux dictateurs, aux interrois, aux préfets de la ville; parmi les magistrats ordinaires, d'abord aux seuls consuls et préteurs, puis, un peu plus tard, sans doute à partir de la fin du IVe siècle av. J.-C., aux tribuns de la plèbe. Les sénateurs étaient informés de la convocation, soit par des appariteurs (praecones, viatores) qui se rendaient au domicile de chacun d'eux, soit par un édit qui mentionnait le jour et le lieu de la réunion. Les séances devaient commencer après le lever et finir avant le coucher du soleil. Il y avait des jours pendant lesquels toute réunion da Sénat était interdite, par exemple quelques-uns des jours désignés pour la tenue des comices (Lex Pupia). En général le Sénat se réunissait dans la Curia Hostilia, située près du Comitium, au Nord du Forum romain; il n'était pas rare que d'autres édifices fussent choisis; il suffisait que l'assemblée se tint dans un lieu inauguré (templum). Dans l'intérieur du pomerium, les temples de Jupiter Capitolin, de Castor, de la Concorde; hors de cette enceinte, le temple de Bellone, plus tard la Curie de Pompée étaient souvent désignés aux sénateurs comme lieux de réunion de l'assemblée. La séance était toujours présidée par le magistrat qui avait fait la convocation. C'était le président de la séance qui faisait connaître aux sénateurs l'ordre du jour, c. -à-d. la question ou les questions sur lesquelles l'assemblée était appelée à se prononcer. L'ordre du jour ne pouvait être ni modifié ni complété par le Sénat lui-même. Sur D'une façon générale, et pour les affaires courantes, le vote était valable, quel que fût le nombre des sénateurs présents; mais dans quelques cas particuliers, dans les circonstances les plus importantes, la présence d'un nombre minimum de sénateurs était nécessaire. Lorsque l'ordre du jour était épuisé, le président levait la séance. Les décisions du Sénat pouvaient être frappés d'intercession; le droit d'intercession contre elles appartenait, soit aux tribuns de la plèbe, soit aux magistrats dont la compétence était supérieure ou égale à celle du magistrat qui avait convoqué le Sénat, présidé la séance, proposé l'ordre du jour et fait voter la mesura en question. Par conséquent, un consul pouvait intercéder contre une décision prise par le Sénat sur la proposition d'un consul ou d'un préteur : un préteur ne pouvait intercéder que contre une décision prise sur la proposition d'un préteur. Le droit des tribuns de la plèbe était général et sans restriction légale. Les décisions du Sénat qui n'étaient pas frappées d'intercession étaient rédigées conformément à certaines règles : dans un préambule étaient d'abord indiqués les noms des magistrats qui avaient présidé la séance, le jour de la séance, le lieu de la réunion, les noms des sénateurs qui avaient travaillé à la rédaction; la proposition de loi était ensuite énoncée; enfin on indiquait le vote de l'assemblée. La décision ainsi rédigée s'appelait un sénatus-consulte (senatus consultum); elle était déposée dans les archives publiques de Rome, c- -à-d. dans le temple de Saturne situé au pied du Capitole, à l'entrée du Forum romain. Dans la Vie parlementaire à Rome sous la République Mispoulet a reconstitué quelques-unes des séances les plus importantes tenues par le Sénat romain à la fin de la République, par exemple les séances de novembre et décembre 63 (conspiration de Catilina; jugement des conjurés), celles des années 51, 50 et 49 qui aboutirent à la rupture entre César et le Sénat, enfin la séance des ides de mars 44 où César fut tué. En ce qui concerne les rapports du Sénat avec les comices, la question capitale est celle de l'auctoritas patrum. C'est là un des problèmes de l'histoire romaine qui ont été le plus étudiés ; plusieurs solutions opposées lui ont été données. Cette incertitude provient de ce que les renseignements proprement historiques font défaut, et de ce que les savants modernes se sont surtout préoccupés de déterminer le vrai sens du terme patres. Il faut reconnaître que ce terme a eu chez les Romains plusieurs sens, delà autant de systèmes sur l'auctoritas patrum : 1° D'après Niebuhr, Schwegler, Mispoulet, les patres étaient ici les patriciens réunis en comices curiates. 4° Enfin, pour Willems et Bouché-Leclercq, le mot patres désigne ici tout simplement le Sénat, sans distinction de patriciens et de plébéiens.Ce dernier système nous paraît être le plus vraisemblable, parce qu'il est plus conforme que les autres à ce que nous savons de la vie publique à Rome. En effet, sous la République, le rôle politique des comices curiates était absolument annulé; il n'est nulle part question d'une réunion distincte des sénateurs patriciens, ni d'une assemblée des patres familias patriciens. Au contraire, le sénat est l'un des organes les plus importants de la constitution. Son intervention dans le vote des lois ou dans les élections est historiquement tout à fait justifiée. En quoi consistait cette intervention? Il est nécessaire de distinguer les époques. Pendant les premiers siècles de la République, les décisions votées par les comices curiates et centuriates n'acquéraient force de lois, les élections des magistrats par les centuries n'étaient définitivement valables, que si elles étaient ratifiées par le Sénat. L'auctoritas patrum était alors une ratification expresse. Quant aux plébiscites votés par les concilia plebis, c.-à-d. par les assemblées composées des seuls plébéiens, ils ne furent au début obligatoires que pour la plèbe, et le Sénat put s'en désintéresser. Mais lorsque les tribuns de la plèbe réclamèrent pour les votes de l'assemblée plébéienne, groupée par tribus, la même puissance et les mêmes effets que possédaient les votes des comices centuriates, le Sénat exigea sans doute, en retour, que les plébiscites fussent soumis à sa ratification. Cette procédure fut modifiée, probablement à la fin du IVe ou au début du IIIe siècle av. J.-C. par une loi Maenia, qui décida que la patrum auctoritas s'exercerait désormais avant que les assemblées législatives ou électorales n'eussent exprimé leur vote, c.-à-d. non plus sur les décisions ou les élections, mais sur les projets de lois on les listes de candidats. Enfin, il est probable que la loi Hortensia de 287 affranchit complètement les votes des comices tributes de toute ratification préalable. Le Sénat n'eut plus dès lors aucun droit de contrôle, aucun moyen d'action sur les assemblées par tribus. Seules les candidatures et les propositions de loi présentées aux comices centuriates étaient encore soumises à son examen. Par conséquent, en matière strictement législative, le rôle du Sénat alla toujours en diminuant, tandis que celui des tribuns de la plèbe devint de plus en plus actif et considérable. A la fin de la République, le Sénat était pratiquement impuissant contre les décisions de l'assemblée populaire; à la même époque, le droit d'intercession des tribuns de la plèbe contre les décisions du Sénat était plus en vigueur que jamais. La puissance du Sénat résidait ailleurs. « Si le Sénat ne fait pas les lois et si on peut en faire sans lui, c'est lui qui les interprète, les détaille, les complète, les adapte aux cas particuliers. Les magistrats se dispensent autant qu'ils peuvent de mettre en branle la lourde machine populaire; ils ont, au contraire, perpétuellement recours an Sénat, et les sénatus-consultes ont force de loi par cela même que ceux qui pourraient leur résister leur prêtent obéissance. Dans des cas particulièrement graves, le Sénat ose même prendre sur lui de suspendre momentanément l'action des lois. De même le Sénat n'a aucun pouvoir électoral, mais c'est lui qui fixe la date des élections, qui assigne aux magistrats de même ordre leurs divers ressorts (provinciae). Lorsqu'il y a interrègne, il est le seul dépositaire du pouvoir; c'est lai qui tire de son sein et nomme, sans intervention du peuple, l'interroi » (Bouché-Leclercq).Pour le gouvernement général de la République et pour toutes les branches importantes de l'administration, le Sénat était le conseil des magistrats, Il était permanent, et les magistrats se renouvelaient chaque année. Il représentait, il conservait, il défendait contre les innovations et les audaces révolutionnaires la tradition nationale, la coutume des ancêtres, la siens majorum. Ainsi entendue, sa compétence était, on peut le dire, illimitée. Elle s'étendait à tons les grands intérêts de l'Etat. Ce fut le Sénat qui, pendant plusieurs siècles, dirigea toute l'administration intérieure (culte, justice, finances, travaux publics, etc.) et toute la politique étrangère (guerres, diplomatie, organisation et gouvernement des provinces) de Rome. En aucune de ces matières, les magistrats ne prenaient une décision grave sans consulter le Sénat. « Il est vrai que les sénatus-consultes de l'ordre administratif étaient, en droit strict, non des ordres, mais des avis, communiqués aux chefs du pouvoir exécutif. A la rigueur, ces derniers pouvaient refuser d'exécuter ces décisions. Cependant il y a peu d'exemples que les magistrats, même les consuls, ne se soient pas conformés à la volonté du Sénat. C'est que, d'abord, le Sénat disposait de différents moyens indirects pour agir sur les magistrats récalcitrants refus de fonds publics, dictature, appellatio des tribuns, etc. Ensuite un magistrat annuel et responsable devait craindre d'entrer en lutte avec un corps nombreux, composé d'anciens magistrats, l'élite des citoyens, tous hommes influents et qui conservaient presque toujours leur dignité à vie. C'est là même, ce semble, le secret de cette immense puissance que le Sénat a exercée de fait, aux trois derniers siècles de la République, non seulement sur la politique générale, mais encore sur les différents départements administratifs. » (Willems, le Droit public romain).Il arriva un moment où le Sénat abusa de cette puissance. Organe exclusif de la noblesse, du parti des optimates, comme il avait été, au début de la République, l'organe du patriciat, le Sénat provoqua, par son attitude partiale, comme par sa corruption, l'opposition de plus en plus vive de la démocratie romaine. S'il réussit à triompher de C. Sempronius Gracchus et de Livius Drusus, si la victoire de Marius fut passagère, si le Sénat trouva dans Sylla un défenseur énergique, s'il réussit, guidé par Cicéron, à réprimer la conjuration de Catilina, il fut définitivement vaincu par César et par les seconds triumvirs. Il perdit alors toute indépendance, toute dignité, tout pouvoir réel. L'assemblée, telle qu'elle exista sous César, Antoine, Octave, n'était plus le Sénat romain que de nom; Auguste s'empressa de la réorganiser. |
. |
|
| |||||||||||||||||||||||||||||||
|